Meg Wolitzer

L’amitié entre Jules et Ethan à l’âge adulte était différente, moins publique, moins explicable, plus inhabituelle et tacite, mais très profonde et difficile à exprimer, devant Dennis et Ash du moins. Les deux couples partageaient une histoire, ils avaient pris leur essor en même temps à New York, mais voilà que le déséquilibre devenait subitement flagrant et discordant. Ce déséquilibre existait depuis longtemps, mais ayant appris, quelques instants plus tôt, quelle place occupait Ethan dans la liste de Media Now, Jules comprenait maintenant, en ressentant une douleur vive et localisée, que sa vie avec Dennis ne lui paraîtrait jamais suffisamment riche pour être acceptable, du moins pas tant qu’Ethan et Ash restaient leurs plus proches amis. Jules et Dennis savaient déjà qu’Ethan Figman avait énormément de succès et de talent, mais du pouvoir ? Ethan ? Il se moquait du pouvoir. Il portait des T-shirts Félix le chat et Gepetto et il continuait à dessiner dans de petits carnets à spirale. Posséder du pouvoir, c’était différent. Aucun d’eux n’était censé avoir du pouvoir, ce n’était pas une chose à laquelle ils avaient aspiré. . Ils n’avaient pas aspiré à gagner de l’agent non plus, mais dans ce domaine, Jules et Dennis appartenaient désormais à une minorité. Lentement, le mouvement qui s’éloignait de la créativité et se rapprochait de la création d’argent devenait de plus en plus visible. Partout autour d’eux, gagner de l’argent, et vouloir en gagner, était devenu infiniment plus honorable. Les gens parlaient de leurs gestionnaires de compte avec émotion, comme s’ils évoquaient des artistes. Quant aux artistes, on parlait d’eux de manière plus franche, en termes de valeur marchande.