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Citation de migdal


Partout ailleurs, dans mon pays, il y a des petits cimetières à croix blanches entourés d'une barrière, un muret où la forêt s'accoude. Les cimetières allemands et américains aussi, mais leurs croix de granit ou de grès noirs et de marbre lumineux, leurs pelouses rasées, leurs beaux arbres de concours n'ont pas le caractère des champs du repos des Jean, Augustin, Emile, Léon et Mohammed. Ceux-là, avec leurs croix et leurs stèles de ciment cuites par le soleil et rangées par la pluie — ils sont trop nombreux pour le marbre —, avec leur plaque d’aluminium qu’on remplace peu à peu par du plastique, leurs prés fauchés où donnent le pissenlit, la pâquerette et la nourriture des merles, leur frange d'arbres venus comme ils pouvaient, de toutes les variétés du coin, de l’exubérant noisetier que mâchonnent les chevreuils, au chêne dont la ramure d'hiver est un soutien du gros ciel, avec, au milieu, au bout du mat, le drapeau qui vire au violet, au jaune et au rose — quand le rose s'effrange, l'Administration le change —, ceux-là gisent dans le jardin qu'ils ont défendu... un vieux jardin plein de mélancolie.

Et toutes ces croix... Jamais depuis le blanc manteau de cathédrales dont elle s’était couverte, la France n'avait élevé une telle prière vers Dieu. Et c'est la République laïque qui l’a voulu ainsi :

« Vois. Ce que tu as fait avec ton Fils, nous l’avons fait avec les nôtres ! »

Les requiems de la campagne barroise ne sont guère fréquentés. On ne sait, à voir les rues désertes des rares villages alentour, quelle main invisible entretient les funèbres clairières. Cela donne à réfléchir et au berceau des arbres un air de responsabilité qui leur va bien. On dirait de grands chiens près des tombes. Ils continueront de veiller les morts quand nous aurons oublié. Ils viendront sur les tombes quand notre nation aura disparu et aux ossements de ceux qui auront été brièvement mêleront les racines de ce qui sera longtemps.

Il n’est pas d’autre miracle sur terre, mais c’est un grand miracle. Je regarde de ma fenêtre la lisière des bois, ces milliards de petites langues qui tremblent sous le ciel des beaux jours, ces millions de bâtons d'écriture sur les cotons de l'hiver. Je les entends. Ils donnent une voix à ce qui en nous murmure.
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