Elle sentait le camphre. Je voyais la petite épingle dorée retenant le carré de camphre qui n’avait pas quitté sa jaquette depuis le mois de novembre.
- Tu sens l’hiver.
- T’as ben raison, j’devrais ôter ça…
Elle entreprit de dégrafer l’épingle mais ses mains s’étaient déformées un peu plus ces derniers mois ; je dus l’aider avec mes petits doigts malhabiles.
- Tu veux y aller au spectacle demain, hein ?
- Certain… Daniel Paradis y va avec sa matante, j’veux y aller moé aussi !
- J’vas parler à ta mère…
- Pourquoi tu penses qu’a’veut pas que j’aille ?
- C’est pas qu’a’veut pas que t’ailles… c’est juste que c’est pas son idée à elle… pis qu’a’l’a probablement peur d’être inquiète. Tu comprends, a’sera pas avec toé pour te surveiller…
- La madame a l’air fine, a’parle comme dans le radio !...
- Mais on la connaît pas.
Un bruit de pas dans le corridor, la tête de ma mère dans l’entrebâillement de la porte.
« Michel, laisse ta grand-mère tranquille, c’est l’heure du lit.»
Me sentant protéger par la présence de ma grand-mère, je pris mon courage à deux mains.
«C’est-tu vrai que t’as peur de la madame parce qu’on la connaît pas ?»
Maman regarda sa belle-mère avec une lueur de reproche, comme si celle-ci venait de la trahir.
- Qu’est-ce que vous y’avez mis dans’tête, encore !
- J’vois pas pourquoi c’t’enfant-là aurait pas le droit d’aller voir un spectacle…
- Même avec une étrangère qui pourrait… je le sais pas, moi… le vendre !
Elle me prit par la main d’une façon un peu brusque, ce qui ne lui ressemblait pas du tout, pendant que sa belle-mère éclatait de rire.
- Enfant insignifiant ! Arrête donc d’aller toujours bavasser à ta grand-mère comme ça… A’ rit encore de moi, là…