Mikel Dunham

Comme beaucoup, c'est la lecture de ‘Sept ans au Tibet' qui m'a plongé dedans. L'adaptation cinématographique est un massacre complet, mais l'oeuvre de départ est passionnante, et reste la plus magnifique description dont on dispose d'un monde irrémédiablement détruit. La question du Tibet est complexe, et la Chine, qui est particulièrement chatouilleuse dessus, n'hésite pas à sortir la puissance de ses 1.400.000.000 habitants et sa place de première économie mondiale dès qu'un état commence à vaguement avoir des velléités de peut-être éventuellement envisager qu'il serait possible que. L'Empire du Milieu n'ayant jamais eu son Thucydide, l'histoire y reste soumise à la parole de l'Etat, et la notion de vérité historique même est absconse.



Reste que, contrairement à un discours officiel, le Tibet n'était pas une province chinoise avant 1951, et ne le devint que sous la contrainte. Sa résistance, noyée dans le sang, fut acharnée. Peu de livres ont entrepris de retracer son histoire, et moins encore les liens que la CIA entreprit de nouer avec les rebelles, et c'est pourquoi il faut saluer le travail exceptionnel réalisé par Mikel Dunham. L'intérêt majeur du livre, et ce que peu de gens savent, est d'expliquer que l'annexion se fit en deux temps.



En 1951, le Tibet est un pays gigantesque, replié sur lui-même, totalement fermé au monde étranger. Dans beaucoup de régions, l'autorité de Lhassa est purement nominale, et les potentats locaux reconnaissent simplement l'autorité du Dalaï Lama sans la moindre forme d'impôt ou de contrôle administratif. C'est le cas notamment dans les deux régions frontalières avec la Chine, qui joueront un rôle majeur dans les évènements : l'Amdo et le Kham (aujourd'hui intégrées aux provinces du Qinghai et du Sichuan). Le Dalaï Lama est un adolescent de quatorze ans, brillant et précoce mais encore soumis à un conseil de Régence… Qui malheureusement brille par sa corruption et son incompétence totale.



C'est donc la panique quand l'armée chinoise débarque soudainement massivement dans le Kham et l'Amdo, puis trace sa route tout droit jusqu'à Lhassa. Totalement désorganisée, la faible armée tibétaine n'offre qu'une parodie de résistance. Conscient de leur situation sans espoir, le conseil de Rgence n'a d'autre choix que d'accepter les exigences de Mao. Dans un premier temps la cohabitation ne se passe pas trop mal : les soldats chinois ont reçu des consignes, se comportent bien, payent ce qu'ils prennent. Mais bien vite la situation se dégrade. le ravitaillement est déficient, l'armée rouge y supplée par les réquisitions et le travail obligatoire. Et surtout, le fanatisme antireligieux apparait. Des monastères sont profanés et pillés, des moines torturés et assassinés. Les terribles séance d'autocritique publique commencent.



La révolte éclate comme la foudre dans le Kham et l'Amdo. Face à des bergers à cheval armés de sabres et de fusils se chargeant par le canon, l'armée chinoise encaisse des pertes totalement honteuses. La supériorité numérique et technologique ne laisse guère d'espoir, mais la lutte est acharnée et d'une violence sans nom.



La CIA, évidemment, ne peut manquer de s'intéresser à des gens posant autant de problèmes à un régime communiste. Des attaches sont prises, et un premier groupe de guerrier du Kham part se former à Okinawa. L'auteur, qui a pu rencontrer plusieurs de ses membres, raconte en détail cet épisode. Un groupe d'éleveurs nomades illettrés n'ayant jamais entendu parler des Etats-Unis fait irruption dans le XXème siècle… Et y fait preuve de capacités d'adaptation phénoménales. Quelques semaines plus tard, ils savent se servir d'une radio, utiliser des explosifs et sauter en parachute ! En revanche, ils sont très désappointés de ne pas avoir le droit d'utiliser d'armes nucléaires tactiques.



Ce soutien, et les quelques parachutages d'armes de la CIA, ne suffirent évidemment pas. La révolte tibétaine gagna l'intégralité du pays, culmina avec l'insurrection de Lhassa et la fuite du Dalaï Lama en Inde. La Chine fut obligée de déployer des effectifs colossaux, et extermina quasi intégralement les peuples du Kham et de l'Amdo. Ceux qui avaient pu fuir en Inde poursuivirent la lutte via des incursions frontalières avec le soutien de la CIA. le rapprochement sino-américain mené par Nixon à partir de 1970 vint sonner le glas de leur résistance.



Le communisme, né des plus hautes aspirations et porteur des plus grands espoirs, fut l'un des pires échecs de l'histoire. Il causa des famines gigantesques, fut le motif de génocides, et ne permit que de très médiocres développements économiques et industriels à un coût environnemental hallucinant. Que le rideau se ferme à jamais sur cette idéologie.