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Citation de OlivierMaldent


Quand j'avais treize, quatorze ans, j'allais prendre des leçons de composition musicale. Non pas que je fusse un enfant prodige mais en raison de la délicatesse pudique de mon père. C’était la guerre et son ami, un compositeur juif, a dû porter l’étoile jaune ; les gens ont commencé à l’éviter. Mon père, ne sachant comment lui dire sa solidarité, a eu l’idée de lui demander, à ce moment précis, de me donner des leçons. On confisquait alors aux juifs leur appartement, et le compositeur devait déménager sans cesse vers un nouvel endroit, de plus en plus petit, pour finir, avant son départ pour Terezin, dans un petit logement où dans chaque pièce campaient, entassées, plusieurs personnes. Il avait chaque fois gardé son petit piano sur lequel je jouais mes exercices d’harmonie ou de polyphonie tandis que des inconnus autour de nous s’adonnaient à leurs occupations.
Il ne me reste de tout cela que mon admiration pour lui et trois ou quatre images. Surtout celle-ci : en m’accompagnant après la leçon, il s’arrête près de la porte et me dit soudain : « Il y a beaucoup de passages étonnamment faibles chez Beethoven. Mais ce sont ces passages faibles qui mettent en valeur les passages forts. C’est comme une pelouse sans laquelle nous ne pourrions pas prendre plaisir au bel arbre qui pousse sur elle. »
Idée curieuse. Qu’elle me soit restée en mémoire, c’est encore plus curieux. Peut-être me suis-je senti honoré de pouvoir entendre un aveu confidentiel du maître, un secret, une grande ruse que seuls les initiés avaient le droit de connaître.
Quoi qu’il en soit, cette courte réflexion de mon maître d’alors m’a poursuivi toute ma vie (je l’ai défendue, je l’ai combattue, je n’en suis jamais venu à bout) ; sans elle, ce texte, très certainement, n’aurait pas été écrit.
Mais plus chère que cette réflexion en elle-même m’est chère l’image d’un homme qui, quelque temps avant son atroce voyage, réfléchit, à haute voix, devant un enfant, sur le problème de la composition de l’œuvre d’art.
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