AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Charybde2


J’ai de nouveau attrapé des poux, cela ne m’étonne même plus, ne m’effraie plus, ne me dégoûte plus. Cela ne fait que me démanger. J’ai des lentes presque tout le temps, j’en fais tomber quand je me coiffe dans la salle de bains : des petits œufs couleur nacrée, à l’éclat sombre sur l’émail du lavabo. Il en reste pas mal entre les dents du peigne, que je nettoie ensuite avec une vieille brosse à dents, celle dont le manche de bois a moisi. Impossible pour moi d’échapper aux poux – je suis enseignant dans une école de la périphérie. La moitié des enfants ont des poux, on les trouve à la rentrée, lors de la visite médicale, quand l’infirmière écarte les mèches avec les gestes experts des chimpanzés – mais sans écraser entre ses dents les carapaces de chitine des insectes capturés. En revanche, elle conseille aux parents une solution crayeuse et blanche, qui sent la chimie, la même que les enseignants finissent par utiliser aussi. En quelques jours, toute l’école en arrive à empester la solution anti-poux.
Ce n’est pas si grave, car au moins nous n’avons pas de punaises, on n’en a pas vu depuis longtemps. Je me souviens d’elles, j’en ai vu de mes propres yeux quand j’avais trois ans, dans la petite maison du quartier Floreasca où j’ai vécu dans les années 1959-1960. Papa me les montrait, quand il soulevait brusquement le matelas du lit. Elles étaient comme des petits grains écarlates, aussi luisants que des fruits des bois, aussi durs que ces baies noires du lierre dont je savais qu’il ne fallait pas les porter à la bouche. Sauf que ces grains entre le matelas et le cadre du lit couraient vite vers les coins sombres et leur précipitation me faisait rire. J’étais impatient que papa soulève de nouveau le lourd matelas par le coin (au changement des draps) pour revoir les petites bêtes dodues. Je rigolais tellement que maman, qui me laissait les cheveux longs et pleins de boucles, me prenait dans ses bras en me lançant d’invisibles postillons affectueux pour me protéger du mauvais œil. Papa apportait ensuite la pompe à lindane et administrait une bonne douche malodorante aux punaises réfugiées dans les jointures du cadre de lit. J’aimais son odeur de bois, du sapin encore gorgé de résine, j’aimais même l’odeur de l’insecticide. Ensuite papa relâchait le matelas et maman venait avec les draps sur les bras. Quand elle en étendait un en travers du lit, il se gonflait et faisait comme un beignet dans lequel je me glissais avec un plaisir inouï. J’attendais que le drap retombe sur moi, lentement, qu’il prenne la forme de mon petit corps, sans se mouler sur chaque détail mais en dessinant des plis compliqués, grands et petits. Les chambres étaient alors vastes comme des hangars et, à l’intérieur, tournaient deux géants qui, on ne sait pourquoi, prenaient soin de moi : maman et papa.
Commenter  J’apprécie          40





Ont apprécié cette citation (4)voir plus




{* *}