AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de MegGomar


Ce qui me frappe, c’est que les mécanismes décrits par Wendy Langford en
1999 recoupent exactement le constat posé vingt ans plus tard par Carol
Gilligan dans Pourquoi le patriarcat ?. La psychologue et philosophe
américaine s’intéresse dans ce livre à la façon dont le patriarcat façonne
notre vie intime. Car il ne revêt pas seulement une dimension politique,
avec ses discriminations et ses violences, mais aussi une dimension
psychologique, dit-elle. Même quand nous sommes des féministes ou, pour
les hommes, des proféministes convaincus, tout à fait favorables à l’égalité,
nous restons prisonniers de certains « schémas de pensée inconscients ». En particulier, nous ne voyons pas comment filles et garçons, en grandissant, s’infligent une auto-amputation, subissent une sorte de rite de passage qui marque leur allégeance au patriarcat : « Les filles se réduisent au silence et les garçons s’obligent au détachement. » Les hommes doivent agir « comme s’ils n’avaient pas – ou n’avaient même pas besoin – de rapports avec autrui », tandis que les femmes doivent nier leur besoin d’une identité propre. Détachement masculin et autocensure féminine : on retrouve là les attitudes observées par Wendy Langford dans les couples aux prises avec la « contre-révolution amoureuse », c’est-à-dire avec un redoublement de leurs conditionnements de genre respectifs, que le coup de foudre avait temporairement dissous.
Ces auto-amputations causent de grandes souffrances, écrit Gilligan, car les
hommes ont besoin autant que les femmes de nouer des relations profondes et satisfaisantes avec autrui, et les femmes ont besoin autant que les hommes de pouvoir être authentiquement elles-mêmes et de s’exprimer sans autocensure. Pourquoi, alors, ne nous révoltons-nous pas ? Pourquoi le patriarcat continue-t-il de nous imposer sa loi à toutes et à tous ? Parce que, avance-t-elle, en requérant le « sacrifice de l’amour au nom de la hiérarchie », il « s’érige en rempart contre la vulnérabilité associée au fait
d’aimer ». Il est à la fois « une source de pertes de connexions et un rempart
contre d’autres ruptures à venir ». Notre fidélité au patriarcat sabote nos
histoires d’amour, et nous en souffrons, mais nous redoutons de souffrir
encore plus si nous nous livrons à l’amour sans retenue.
Les garçons apprennent à se définir par opposition à tout ce qui est féminin.
Ils apprennent qu’être un homme, c’est dissimuler ses émotions et mimer
l’indépendance, l’indifférence, le détachement. Les filles, elles, sont
confrontées à un dilemme impossible à résoudre : soit elles expriment leurs
pensées et deviennent par là « infréquentables », soit elles contrefont leur
personnalité pour être acceptées et s’insérer socialement. La société les
oblige à choisir entre « avoir une voix et avoir des relations ». En définitive,
« on finit par associer la féminité au pseudo-relationnel (se passer soi-même
sous silence) et la masculinité à la pseudo-indépendance (se prémunir
contre tout désir relationnel et toute sensibilité) ». Cela nous permet de
comprendre, au passage, pourquoi le détachement est une attitude aussi
valorisée dans les relations sexuelles et amoureuses contemporaines : « On
considère le détachement comme une preuve de maturité précisément parce qu’il reflète cet idéal de la pseudo-indépendance masculine, synonyme d’une existence pleinement humaine selon les codes du patriarcat », observe Naomi Snider, la collaboratrice de Carol Gilligan qui cosigne le livre avec elle. L’auto-amputation exigée des garçons par la loi patriarcale est devenue la valeur suprême, celle que doivent viser les femmes comme les hommes.
Commenter  J’apprécie          40





Ont apprécié cette citation (3)voir plus




{* *}