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EAN : 9782355221743
272 pages
Zones (16/09/2021)
  Existe en édition audio
4.21/5   1099 notes
Résumé :
Nombre de femmes et d'hommes qui cherchent l'épanouissement amoureux ensemble se retrouvent très démunis face au troisième protagoniste qui s'invite dans leur salon ou dans leur lit : le patriarcat. Sur une question qui hante les féministes depuis des décennies, et qui revient aujourd'hui au premier plan de leurs préoccupations, celle de l'amour hétérosexuel, ce livre propose une série d'éclairages.

Au cœur de nos comédies romantiques, de nos représen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (111) Voir plus Ajouter une critique
4,21

sur 1099 notes
Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants …. et tout s'arrête ? Non, non et non, c'est justement à partir de ce moment-là que tout commence et que ça devient intéressant. Dans ce bouquin, Mona Chollet mène une enquête très complète sur le couple hétérosexuel, sur la place de la femme dans le couple, dans la société, dans l'art.

Comme pour tout travail journalistique de qualité, la thèse est très bien argumentée et très bien documentée. de très nombreuses références sont citées, qui sont autant d'invitation à approfondir ce sujet épineux et ô combien central dans nos vies…

Mona Chollet passe en revue le traitement de l'actualité, depuis la presse people jusqu'aux événements tragiques (le féminicide de Marie Trintignant), le monde de l'art, avec par exemple une analyse des peintures, oeuvres d'hommes, pour des spectateurs masculins, qui souvent montrent la femme comme un objet, soucieuse de son apparence et en position d'attente ou de séduction. La littérature n'échappe pas à son analyse: Belle du Seigneur, les châteaux d'Eros, Histoire d'Ô, …

Elle revient aussi sur les normes sociales qui « incitent fortement » les femmes à travailler leur apparence de jour, femme qui est souvent aimée comme une icône, une figure idéalisée et désincarnée, sans aucun droit à être un estomac, des intestins, poilue, transpirante, saoule, … Et surtout cet impératif à rester en retrait par rapport aux hommes, souvent moins diplômés, car socialement la femme doit se montrer plus faible qu'eux. Ces normes sociales qui nous disent :

♫Il vous faut
Être comme le ruisseau
Comme l'eau claire de l'étang
Qui reflète et qui attend
S'il vous plaît
Regardez-moi je suis vraie
Je vous prie, ne m'inventez pas
Vous l'avez tant fait déjà

Vous m'avez aimée servante
M'avez voulue ignorante
Forte vous me combattiez
Faible vous me méprisiez
Vous m'avez aimée putain
Et couverte de satin
Vous m'avez faite statue
Et toujours je me suis tue ♫
(Anne Sylvestre – Une sorcière comme les autres)

Et bien sûr, elle aborde l'épineux sujet de l'amour, où l'on attend de la femme qu'elle soit passive, soumise, dans l'attente (♫J'attendrai le jour et la nuit, j'attendrai toujours ton retour …♫) , et espérant un amour « romantique », un amour « éternel » qui la comblera de bonheur, puisque c'est de l'homme et de son rôle de mère que viendra son plus grand bonheur. D'ailleurs pour certaines féministes américaines, le masculin et le féminin sont créés à partir de l'érotisation de la domination et de la soumission, et ce type de relation, envisagée comme une relation d'autorité, une relation hiérarchique, devient la clé pour une vie amoureuse heureuse.

L'absence de machisme, entre mecs, est souvent interprétée comme un signe d'homosexualité. Mais le pire probablement, c'est que chacun intègre inconsciemment son rôle, femme ou homme, ce rôle que la société attend d'elle ou de lui…

Alors, certes oui les choses bougent, depuis quelques décennies quand même. Par exemple, mes parents ont eu deux filles (mon père d'ailleurs s'avouait soulagé de ne pas devoir partager le pouvoir et l'autorité avec un fils !) et, conscients de la « vulnérabilité » du sexe faible, ils nous ont poussées à entreprendre de « belles études », ce qui nous autoriserait à claquer la porte en cas de maltraitance physique (la hantise de ma maman). Mais cela s'est limité aux études. Rien n'a été fait sur le plan émotionnel ou relationnel. Ils ne nous ont pas appris à être indépendantes, à nous sentir fortes et responsables, à ne compter que sur nous, à ne rien attendre de nos futurs maris, à vivre pour nous. Pire, je me souviens avoir été éduquée à me taire et à ne pas répondre aux questions (des amis de mes parents ou de la famille) qui m'étaient directement posées. Non, c'était mon père qui s'en chargeait …

Alors oui ce livre m'a fait énormément de bien. D'abord j'ai pris conscience de cet état des choses et de mon propre comportement, mes propres automatismes. Ensuite j'ai compris que je pouvais (devais même) sortir de ma position attentiste, que je n'étais pas obligée de me taire en public, que je pouvais (devais ?) changer d'amis, d'activités et de loisirs pour échapper à l'ascendant de mon mari (c'est plus fort que lui, il doit forcément marcher sur mes platebandes, et comme il est beaucoup plus charismatique que moi, dès qu'il arrive, je passe dans l'ombre, je tombe dans l'anonymat).

Ce bouquin nous invite aussi, nous les femmes, à renoncer à l'amour de l'amour et à aimer avec courage, avec audace en assumant le risque de l'échec. Lisette Lombé (une poétesse belge dont j'ai déjà parlé ici même) a d'ailleurs écrit un très bon conte électro sur ce sujet (je pense qu'elle présentera à Avignon cet été en festival off et j'espère qu'il sera publié bientôt). Il nous encourage à être nous-mêmes en amour, à ne pas nous dévaloriser systématiquement, à ne pas nous effacer, à pratiquer la spontanéité et le franc-parler. Cela contraindra les hommes à montrer leur vrai visage : soit ils acceptent que nous soyons leur égale soient ils s'en fuient. Et alors n'ayons pas peur de dire : bon débarras …
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Après Beauté fatale et Sorcières, Mona Chollet continue d'explorer les constructions sociales qui emprisonnent et empêchent les femmes. Dans ce nouvel ouvrage, elle démontre que l'hétérosexualité est un piège pour l'amour, voire un tue-l'amour, tant il doit au patriarcat dans sa construction et les représentations qu'il véhicule. « Les hommes hétérosexuels expriment leur désir pour les femmes au sein d'une culture qui les encourage à mépriser et haïr ces femmes. » (p. 18 & 19) Alors, l'hétérosexualité sans le patriarcat, est-ce possible ? Mona Chollet ouvre des pistes de réflexion en se fondant sur d'autres penseuses et penseurs des relations humaines et amoureuses. Elle interroge par exemple la vie commune : souvent décidée par commodité – notamment quand le couple devient famille et compte des enfants –, elle s'accompagne du vieux démon de la charge mentale pour les femmes, chargées d'être les gardiennes et les intendantes du foyer, au service dévoué et prévenant des hommes. « Refuser de cohabiter permettrait de savoir si on est aimée pour soi ou pour les services que l'on rend. Cela permettrait aussi à certains hommes d'acquérir quelques compétences utiles et de devenir des personnes entières. » (p. 51)

L'autrice s'attaque à la pénible injonction de la douceur ! Non, les femmes ne sont pas par nature douces et tendres et délicates et mignonnes et calmes et tout ce qui a trait à une certaine fragilité ! Et elles n'ont certainement pas à l'être dans le cadre amoureux. « Notre organisation sentimentale repose sur la subordination féminine. » (p. 55) de fait, minorer ses ambitions pour ne pas gêner son compagnon, ne pas le mettre en insécurité, c'est injuste pour la femme, mais aussi contreproductif pour la société tout entière ! Cette dernière perd ainsi des compétences, mais surtout cela entretient le mythe de l'homme fort qui dessert autant les femmes... que les hommes ! Eh oui, ces derniers gagneraient à ce que le patriarcat soit renversé, tant dans la vie professionnelle qu'amoureuse !

Passons au sujet des violences. Celles-ci sont multiples : physiques, hélas et évidemment, psychiques également. L'appropriation sexuelle mâtinée de colonialisme et de fétichisme est une version perverse de domination masculine, comme toutes les formes de sexualisation et d'objectification des femmes. Ces messieurs doivent cesser de brandir l'excuse inappropriée du traumatisme et de la douleur pour se dédouaner de leurs comportements cruels. « Tout le monde a des défauts, mais cela ne justifie en rien la violence, l'intimidation ou la déstabilisation. » (p. 108) Aux femmes aussi d'apprendre à ne plus être attirées par la violence : ce n'est pas sexy, ce n'est pas séduisant, ce n'est pas attendrissant. La violence n'est jamais une forme d'amour, pas plus que l'amour-passion n'est un idéal absolu à atteindre. « Nous avons appris à érotiser la domination masculine. » (p. 8) Et le dévouement amoureux et sacrificiel de la femme est une forme d'amour déviante : il n'y aucune beauté à se mettre en retrait pour satisfaire les désirs – parfois délirants – d'un compagnon tout puissant, ou posé comme tel. La dépendance affective et économique explique certes cette soumission, mais excuse-t-elle les hommes qui en profitent ? Réfléchissez un peu, vous avez la réponse ! L'autrice – ni moi, avec mes mots maladroits – ne disons qu'il faut cesser d'aimer avec force, mais tout mérite toujours d'être interrogé. « Non, les femmes n'ont pas tort d'aimer comme elles aiment, avec audace et courage. Il n'en reste pas moins que l'asymétrie contemporaine des attitudes féminines et masculines à l'égard de l'amour pose de nombreux problèmes. » (p. 161)

Ce qu'appelle Mona Chollet de ses voeux, c'est une rivalité féminine qui se transforme en sororité. Elle démontre aussi clairement que les hommes ont aussi tout à gagner à ce rééquilibrage des attentes et des implications amoureuses dans le couple hétérosexuel. « Au sentiment d'illégitimité systématique inculqué aux femmes répond le sentiment masculin d'être dans son bon droit, quoi qu'on fasse. » (p. 109) Les fantasmes féminins méritent d'être entendus et partagés par tou.te.s les partenaires. Mais ce qu'il faudrait – voeu pieu ou possibilité véritable ? –, ce serait réinventer l'amour. « Nous pourrions tenter d'inventer une esthétique qui repose sur l'identification plutôt que sur l'objectification ; qui célèbre le bien-être des femmes, plutôt que l'entrave et la standardisation de leurs corps. » (p. 225) Tenter, c'est déjà agir.

Cet ouvrage rejoint évidemment et sans attendre mon étagère de lectures féministes. Autant que cela me sera permis et possible, je le mettrai entre toutes les mains, féminines et masculines. Cette lecture est profitable à tous, c'est une certitude. Il n'est jamais trop tard pour essayer d'aimer mieux, ou a minima d'aimer moins mal, avant tout pour se respecter et s'accorder à soi-même amour et respect.
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Exceptionnel et passionnant, le livre de Mona Chollet est une merveille d'édification, d'érudition et d'humour.
Le vieux mâle blanc hétérosexuel cisgenre que je suis en est tout retourné.
La lecture de Réinventer l'amour est d'utilité publique.
J'ai adoré sa subtilité subversive, la fluidité de son propos même pour interpréter le glauque et le complexe.
J'ai beaucoup aimé ses références : modernes ou classiques,littéraires,cinématographiques, artistiques etcétéra..Mona Chollet pioche dans l'univers des séries ( « L'effet Don Draper » est extrêmement drôle mais aussi tellement bien vu!).
Elle dynamite Belle du seigneur que j'avais tant aimé avec une pertinence implacable.
Elle rebondit sur Eva Illouz pour bien marquer ses accords et désaccords ( le neo-libéralisme n'explique pas tout !).
Elle s'entoure d'une sororité littéraire exemplaire : Anne-Marie Dardigna, Judith Duportail, bell hooks, Manon Garcia etc…

J'ai été très convaincu par son dernier chapitre sur les fantasmes masochismes où elle parle d'elle avec beaucoup de sincérité et analyse finement Histoire d'O.
Et son travail sur Des hommes, des vrais est est un véritable morceau d'anthologie !!! Exemple :Guy Georges, le tueur de l'Est parisien, arrêté en 1998 pour viol et meurtre de 7 femmes, a reçu des dizaines de lettres de femmes qui veulent remplacer sa mère ou conquérir son coeur !!!

« Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles » est à mettre entre toutes les mains et fera un excellent cadeau du Papa Noël pour tous les mâles heteronormés (et pour tous les autres aussi évidemment)
Merci Mona Chollet pour cette lecture si stimulante.
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Après sorcières, je suis à nouveau totalement convaincue par cet essai de Mona Chollet. Elle étudie cette fois les dégâts que cause le patriarcat dans les relations amoureuses.

Elle fait référence à sa propre expérience, à des cas connus de tous, à des écrits féministes, des films ou des romans. Ces multiples exemples et le style agréable en font une lecture facile et pas du tout un pavé indigeste. de plus, l'auteure n'est jamais dans l'excès et la démesure, ce qui rend ses démonstrations d'autant plus percutantes à mon sens.

Comme dans Sorcières, elle nous démontre comment chacun peut être imprégné par une culture, sans même en avoir conscience, qui va orienter notre comportement. Ici c'est donc le patriarcat qui est sur la sellette : comment les petites filles rêvent d'un prince charmant qui viendra les sauver, comment les jeunes femmes perpétuent cette quête, pourquoi ont-elles tendance à se dévaloriser alors que les jeunes garçons partent dans la vie plein de morgue, comment cette supériorité masculine peut conduire à des comportements violents etc…Pourquoi les hommes refusent de parler de sentiments, pourquoi les femmes assument toute la part émotionnelle dans le couple ?

Voilà certains des nombreux sujets abordés par l'auteure avec tact et intelligence. Je me suis interrogée sur des choses qui me semblaient évidentes auparavant en la lisant. Franchement un essai à lire par tous, hommes ou femmes, tout le monde s'enrichira !
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C'est fait, j'ai lu le dernier Mona Chollet. Contrairement aux autres ouvrages de l'auteure, je l'ai découvert dans sa version audio.

Le sous-titre parle de lui-même : «comment le patriarcat sabote les relations sexuelles». Ça peut sembler radical mais ça prend tout son sens à la lecture de l'ouvrage.

En effet, l'épanouissement des femmes dans les relations hétérosexuelles semble difficile à atteindre dans le schéma classique de cohabitation amoureuse. La domination masculine s'impose dans toutes les sphères sociales, économiques et culturelles et ses représentations romantiques nous sont données à voir dans la pub, le cinéma et la littérature. Pas étonnant qu'elle soit ancrée jusque dans nos structures mentales. Nous nous conformons à notre genre souvent sans même nous en rendre compte.

En effet, la femme doit être plus petite, ne pas prendre trop de place, ne pas être trop brillante, ni trop ambitieuse. En fait, c'est parfait quand elle reste au foyer... En revanche, l'homme doit être fort, gagner plus, ne pas montrer ses sentiments, rire et parler fort, s'imposer. Ce que l'on appelle la virilité et qui peut devenir extrêmement toxique, notamment dans le cadre des violences conjugales. Mona Chollet leur dédie un triste chapitre exposant les violences faites aux femmes exercées par les hommes. Rien ne justifie les coups, ni les insultes, ni l'alcool, ni une «âme tourmentée», ni le génie. Elle se penche sur une analyse du traitement médiatique du cas Marie Trintignan - Bertrand Cantat. Édifiant.

Elle met à jour un concept que je découvre ici, le travail émotionnel, la plupart du temps réalisé par les femmes, qui est le fait de prendre soin de la relation, d'échanger et d'entretenir le lien et l'amour. Et qui vient s'ajouter à la charge mentale.

Le reste de l'essai traite de l'érotisation du corps des femmes et comment dans les représentations elles sont souvent infériorisées, reléguées au stade d'objet, que ce soit dans le porno ou dans la littérature érotique.

Bien sûr, on peut tenter d'en sortir en développant d'autres manières d'aimer et de faire couple, comme par exemple l'union libre ou la non-cohabitation, qui permet d'avoir plus de temps à soi, de moins faire le ménage et d'être plus indépendante.

Comme toujours, Mona Chollet fait un travail remarquable de recherche, c'est intelligent et pertinent. Elle étaye sa réflexion d'expériences personnelles, apportant un touche de sympathie et de la subjectivité à l'ensemble. C'est une bible, un ouvrage féministe de référence.

Elle se taxe elle-même de «féministe poule mouillée» et j'aimerais qu'elle s'affirme un peu plus. Les faits sont là et avec de tels arguments, elle peut se permettre de taper un peu du poing sur la table. Mais pas trop, ça ferait trop mec !

Je précise qu'entre temps j'ai lu «king kong théorie», un concentré de colère, tout aussi intéressant !



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critiques presse (4)
LesInrocks
07 janvier 2022
C’est un livre qui fera date, tant par les qualités d’écriture de son autrice que par le talent avec lequel celle-ci se saisit de son sujet, qui, s’il intéresse depuis longtemps les féministes, est devenu de nos jours incontournable.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Elle
29 novembre 2021
L’auteure explore les rouages des relations amoureuses hétérosexuelles, encrassés par des siècles d’oppression et de patriarcat. Un ouvrage brillamment documenté qui analyse en profondeur de nombreux sujets, des violences faites aux femmes, à la romantisation de l’infériorité féminine.
Lire la critique sur le site : Elle
LaTribuneDeGeneve
21 octobre 2021
L’essayiste genevoise analyse comment la culture patriarcale gangrène l’harmonie amoureuse entre homme et femme. Touffu et convaincant.
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
LesInrocks
14 septembre 2021
Dans “Réinventer l’amour”, la journaliste et essayiste s’attaque aux mécanismes de domination irriguant les relations amoureuses et sexuelles entre les hommes et les femmes. Salutaire.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Citations et extraits (189) Voir plus Ajouter une citation
Au cours d’une enquête menée au Royaume-Uni dans les années
1990, Wendy Langford s’est entretenue de manière approfondie avec une quinzaine de femmes hétérosexuelles (issues de la classe ouvrière ou de la classe moyenne) au sujet de leur vie amoureuse69. Elle s’est aperçue que le parcours de beaucoup d’entre elles suivait le même schéma. La rencontre, le fait de tomber amoureux sont vécus par les deux partenaires comme une
« révolution ». Sous l’effet du coup de foudre, chacun semble s’affranchir des limitations imposées par son conditionnement de genre : les femmes se montrent audacieuses, indépendantes, sûres d’elles, capables de déplacer des montagnes, tandis que les hommes n’ont pas peur de s’ouvrir, de se montrer à nu et de parler de leurs sentiments – « Il n’est pas comme les autres hommes », s’émerveillent alors leurs compagnes. Toutefois, même si
les amoureux connaissent durant cette période un bonheur intense et des évolutions personnelles spectaculaires, bien souvent, la félicité éternelle à laquelle ils s’étaient crus promis n’advient pas. Le miracle se révèle terriblement fragile. La femme s’est senti pousser des ailes, elle a eu l’impression de n’avoir besoin de personne, de pouvoir tout faire toute seule, mais elle devait ce sentiment, paradoxalement, au regard valorisant
qu’un homme posait sur elle. Admiratif de sa personnalité intrépide, cet homme s’aperçoit bientôt qu’elle a néanmoins des demandes affectives à son égard. Effrayé, il se ferme alors complètement. Le conditionnement de genre dont tous deux s’étaient délivrés au cours de cette parenthèse enchantée leur retombe lourdement sur les épaules. À la « révolution » de
l’amour, avec sa grande « libération d’énergies réprimées », succède une « contre-révolution ». Quand le couple n’éclate pas, il s’installe dans une routine d’où le partage et la communication sont absents. La femme, ne voulant pas renoncer au bonheur qu’elle a connu, s’obstine à réclamer à l’homme l’intimité qu’il lui
a accordée au début : « Je sais qu’il y a en lui un homme plus profond, plus aimant », se désespère par exemple Kate. Mais, plus elle insiste, plus il panique et se barricade dans sa forteresse. Cet homme mutique n’est pas l’homme au comportement orageux que nous avons vu au chapitre précédent (même s’il peut dans certains cas finir par se montrer violent, lui aussi), mais il n’en cause pas moins une grande souffrance. À travers son retrait et son silence, il exerce un pouvoir redoutable. Déstabilisée, sa
compagne se remet en question. Elle cherche à rectifier sa personnalité de manière à obtenir à nouveau l’approbation qui l’a rendue si heureuse. Elle s’« auto-objectifie », comme l’écrit Wendy Langford, c’est-à-dire qu’elle tente de se voir de l’extérieur, de son point de vue à lui, pour comprendre ce qu’elle fait de faux. Ses insécurités, que la rencontre amoureuse avait fait taire, sont réactivées et même renforcées. Paradoxalement, dans l’espoir de
retrouver la précieuse reconnaissance de son individualité que cet homme lui avait offerte, elle contrefait et renie son individualité. Elle en vient à taire les sentiments ou les désirs dont elle craint qu’ils déplaisent à son compagnon. Elle se « réduit elle-même au silence ». Elle s’épuise aussi à déchiffrer son attitude à lui, à interpréter le moindre signe qu’il lui donne, à tenter de comprendre ses dispositions ; elle en discute parfois pendant des
heures avec son entourage (en général féminin). Elle se perd en conjectures, jusqu’à l’oubli d’elle-même. Pour tenter de contrebalancer la tristesse et la frustration profondes que
cette situation lui cause – certaines tombent en dépression –, elle trouve refuge dans le maternage : elle prend en charge la logistique du foyer, le soin des enfants quand il y en a, le budget, l’organisation du quotidien, des loisirs, des vacances... Face à Wendy Langford, certaines affichent un plaisir revanchard, teinté d’amertume, à se sentir ainsi compétentes, adultes. Elles décrivent avec mépris la nullité de leur compagnon, son infantilisme : « C’est comme si j’avais trois enfants, sauf qu’il y en a un qui va au travail et deux qui n’y vont pas », lance Diane. Elles en viennent même parfois à en conclure que ce sont elles qui détiennent le pouvoir au sein de leur couple – ce qui semble douteux, puisque leurs conjoints les maltraitent émotionnellement tout en bénéficiant des innombrables services qu’elles leur rendent. Ce sentiment de pouvoir n’est toutefois qu’une consolation
dérisoire pour ce qu’une de ces femmes décrit comme l’«écrasement de sa personnalité ». Même le sexe finit par leur apparaître comme un « devoir maternel », une tâche domestique de plus. « Autrefois, résume Wendy Langford, l’amour semblait un projet partagé, avec des buts communs, mais maintenant, l’héroïne se retrouve à décider quoi mettre dans le sandwich du héros, tandis qu’il s’intéresse davantage à son ordinateur qu’à elle. » Ce type de vie commune, où les conjoints ne font que se côtoyer, hérissés de ressentiment, chacun enfermé dans la prison de son rôle de genre, apparaît très répandu.
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Dans certains cas, ce manque d’intérêt pour ce qui se passe après la reconnaissance de l’amour mutuel découle d’une vision convenue dans laquelle il n’y a rien à discuter, puisque, une fois réunis, les héros n’ont plus qu’à suivre la recette universelle : mariage (idéalement), emménagement à deux, fidélité mutuelle, procréation. Nous interrogeons peu ces éléments ; nous estimons qu’ils doivent convenir à tout le monde. Non seulement notre insécurité affective nous pousse à exiger de l’autre des preuves d’amour soigneusement codifiées, mais l’importance de notre statut conjugal et familial pour notre prestige social nous dissuade encore davantage de nous écarter des sentiers battus et de nous exposer à des jugements peu flatteurs. […] les modèles que nous offre notre entourage, le bon sens populaire, les comédies romantiques, la régulation sociale subtilement opérée chaque jour par les mille et un commentaires que nous entendons et colportons autour de nous, avec ce qu’ils contiennent d’injonctions plus ou moins voilées, réitèrent et confortent sans cesse les clichés du bonheur.
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Ce qui me frappe, c’est que les mécanismes décrits par Wendy Langford en
1999 recoupent exactement le constat posé vingt ans plus tard par Carol
Gilligan dans Pourquoi le patriarcat ?. La psychologue et philosophe
américaine s’intéresse dans ce livre à la façon dont le patriarcat façonne
notre vie intime. Car il ne revêt pas seulement une dimension politique,
avec ses discriminations et ses violences, mais aussi une dimension
psychologique, dit-elle. Même quand nous sommes des féministes ou, pour
les hommes, des proféministes convaincus, tout à fait favorables à l’égalité,
nous restons prisonniers de certains « schémas de pensée inconscients ». En particulier, nous ne voyons pas comment filles et garçons, en grandissant, s’infligent une auto-amputation, subissent une sorte de rite de passage qui marque leur allégeance au patriarcat : « Les filles se réduisent au silence et les garçons s’obligent au détachement. » Les hommes doivent agir « comme s’ils n’avaient pas – ou n’avaient même pas besoin – de rapports avec autrui », tandis que les femmes doivent nier leur besoin d’une identité propre. Détachement masculin et autocensure féminine : on retrouve là les attitudes observées par Wendy Langford dans les couples aux prises avec la « contre-révolution amoureuse », c’est-à-dire avec un redoublement de leurs conditionnements de genre respectifs, que le coup de foudre avait temporairement dissous.
Ces auto-amputations causent de grandes souffrances, écrit Gilligan, car les
hommes ont besoin autant que les femmes de nouer des relations profondes et satisfaisantes avec autrui, et les femmes ont besoin autant que les hommes de pouvoir être authentiquement elles-mêmes et de s’exprimer sans autocensure. Pourquoi, alors, ne nous révoltons-nous pas ? Pourquoi le patriarcat continue-t-il de nous imposer sa loi à toutes et à tous ? Parce que, avance-t-elle, en requérant le « sacrifice de l’amour au nom de la hiérarchie », il « s’érige en rempart contre la vulnérabilité associée au fait
d’aimer ». Il est à la fois « une source de pertes de connexions et un rempart
contre d’autres ruptures à venir ». Notre fidélité au patriarcat sabote nos
histoires d’amour, et nous en souffrons, mais nous redoutons de souffrir
encore plus si nous nous livrons à l’amour sans retenue.
Les garçons apprennent à se définir par opposition à tout ce qui est féminin.
Ils apprennent qu’être un homme, c’est dissimuler ses émotions et mimer
l’indépendance, l’indifférence, le détachement. Les filles, elles, sont
confrontées à un dilemme impossible à résoudre : soit elles expriment leurs
pensées et deviennent par là « infréquentables », soit elles contrefont leur
personnalité pour être acceptées et s’insérer socialement. La société les
oblige à choisir entre « avoir une voix et avoir des relations ». En définitive,
« on finit par associer la féminité au pseudo-relationnel (se passer soi-même
sous silence) et la masculinité à la pseudo-indépendance (se prémunir
contre tout désir relationnel et toute sensibilité) ». Cela nous permet de
comprendre, au passage, pourquoi le détachement est une attitude aussi
valorisée dans les relations sexuelles et amoureuses contemporaines : « On
considère le détachement comme une preuve de maturité précisément parce qu’il reflète cet idéal de la pseudo-indépendance masculine, synonyme d’une existence pleinement humaine selon les codes du patriarcat », observe Naomi Snider, la collaboratrice de Carol Gilligan qui cosigne le livre avec elle. L’auto-amputation exigée des garçons par la loi patriarcale est devenue la valeur suprême, celle que doivent viser les femmes comme les hommes.
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Les liens tissés au fil des années- amours ou amitiés, d'ailleurs -, nourris du génie propre de chacun, de sa générosité, de ses ressources insoupçonnées, ceux qui font s'entremêler profondément deux existences, sont ce qui donne son sens à la vie, la seule victoire possible sur la mort. L'amplitude temporelle d'une relation amicale ou amoureuse est un cadeau inestimable.
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Nous faisons continuellement l’éloge des femmes dans des termes qui soulignent leur dévouement, leur abnégation, leur souci des autres - et, en creux, leur oubli d’elles-mêmes : « toujours souriante », « le cœur sur la main », « toujours là pour ses enfants »…Toutes ces qualités sont tellement inhérentes à notre conception du féminin que nous prononçons ces paroles banales sans y penser. À l’inverse, celles qui mesurent leur générosité, qui écoutent leur propres besoins, qui ne se sentent pas directement responsables du bien-être des trois quarts de l’humanité sont vite perçues comme froides et égoïstes.
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Vidéo de Mona Chollet
Nous nous souvenons tous du succès des précédents ouvrages de Mona Chollet comme "Sorcières", "Réinventer l'amour" ou "Beauté fatale". La journaliste franco-suisse propose aujourd'hui un drôle de livre. "D'images et d'eau fraîche", chez Flammarion, est une collection d'images, sa collection d'images. Ces photos, dessins ou encore tableaux qui nous définissent sont aussi une porte ouverte à la réflexion sur la beauté. 
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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