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Citation de MegGomar


Je suis bien consciente, d’ailleurs, du paradoxe et du défi, du pari
forcément perdu d’avance qui sont au cœur de ce livre : j’essaie de mettre
des mots sur une expérience qui consiste précisément à quitter le rivage des
mots pour se livrer au pouvoir des images, aux sortilèges qu’elles seules
peuvent exercer, à la jouissance qu’elles seules peuvent procurer. Je rêve,
sans trop y croire, d’une écriture qui serait suffisamment aérienne, intense
et virtuose pour se hisser à la hauteur de ce pouvoir, pour rivaliser avec lui ;
je ressens, moi aussi, « la pression de l’indicible qui veut se dire34 », pour
reprendre la formule de Roland Barthes.
La philosophe et historienne de l’art Jacqueline Lichtenstein a consacré
un livre érudit, ardu mais génial, à ce désarroi qu’ont toujours éprouvé les
penseurs face à ce qu’elle nomme « la tache éblouissante du visible35 », et
d’abord face à la peinture. Elle y montre – à l’instar de nombreux autres
théoriciens – que nous restons tributaires des conceptions imposées par
Platon. Non seulement le philosophe antique, avec son mythe de la caverne,
a décrit la réalité perceptible par les sens comme une illusion, mais il a aussi
disqualifié la peinture, devenue dès lors le simulacre d’un simulacre. Il l’a
abordée uniquement en fonction de sa conformité au réel, comme si c’était
là le seul but auquel elle prétendait. Il a interdit explicitement de l’envisager
sous l’angle du plaisir qu’elle procurait : « Le jugement concernant toute
imitation n’est pas, le moins du monde, ni du ressort du plaisir ni d’une
opinion sans vérité », écrit-il dans Les Lois36.
Pour Jacqueline Lichtenstein, cet anathème trahit « l’impuissance de
l’analyse philosophique devant un objet dont elle sait qu’il échappe à ses
prises ». Au fil du temps, ce « puritanisme moral et esthétique » a suscité
deux insurrections intimement liées, quoique survenues à des époques très
éloignées, et que l’autrice retrace : d’une part, le modèle d’éloquence établi
par Cicéron (Ier siècle av. J.-C.) et, d’autre part, la révolte des peintres
coloristes, en Italie dès la fin du XVe siècle, puis au cours des siècles
suivants en France et ailleurs en Europe.
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