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Citation de Charybde2


Sur le plus isolé de tous les océans, même durant l’hiver froid et sombre, il y a de la vie. Des mouvements furtifs entre les crêtes de compression d’une hauteur vertigineuse, un plouf étouffé dans l’eau noire et lisse d’une cassure dans la glace. Une ombre glisse sur la neige. Une créature dangereuse, massive, rôde patiemment à l’affût de sa prochaine proie.
L’ours, un vieux mâle jaune tout balafré, s’était égaré bien trop au nord au cœur de cet hiver noire. Le printemps précédent, la banquise s’était disloquée inhabituellement tôt et retirée loin de la tache formée par Kvitøya, une toute petite île inhabitée au nord-est du Svalbard. L’ours avait erré sur les plages durant tout l’été sans rien d’autre que des œufs et des algues pour se nourrir.
L’hiver venu, l’animal avait de nouveau migré vers le nord. Il n’avait alors plus qu’un seul objectif en parcourant la banquise : trouver de quoi manger. Puis un jour, tout à coup, de manière inopinée, la chance lui avait souri : il avait flairé une présence humaine. Quand, ici et là, il perdait sa trace, il reniflait patiemment autour de lui, jusqu’à ce qu’il la détecte à nouveau. Il lui arrivait aussi, parfois, de tomber sur des blocs d’excréments, gelés mais mangeables – à de endroits où la neige était complètement retournée. Par moments, il se couchait pour économiser ses forces, mais la plupart du temps il suivait cette piste. Il courbait la tête face au vent, laissant derrière lui des kilomètres et des kilomètres d’empreintes de pas lourds. Dans les rafales de neige, le froid intense et la nuit hivernale. Toujours plus au nord.
Le mois le plus froid de l’année dans l’océan glacial Arctique est mars, quand la lumière revient. La neige crépite alors de froid et des colonnes de brume grise s’élèvent de la mer. Par temps clair, la lune et les étoiles qui brillent haut dans le ciel illuminent la glace tandis que les aurores boréales dansent sur la voûte céleste.
L’ours ne cessait de maigrir. La peau distendue sous son ventre se balançait à chacun de ses pas. La faim le rongeait, tel un rat vivant dans son estomac vide. Les semaines passaient et le printemps se rapprochait. Au loin, l’horizon s’embrasait, et chaque jour les flammes de lumière montaient un peu plus haut dans le ciel.
Jusqu’à ce qu’un jour, il les aperçoive : les tentes, les caisses, les hommes et les chiens. L’ours polaire s’immobilisa. Il resta ainsi longtemps, les pattes serrées, la tête levée. Puis il se tapit derrière une crête et attendit.
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