La Nef des fous regroupent 112 poèmes qui se veulent une caricature des vices humains en tout genre. Tout y passe : des modes nouvelles, de la galanterie, des inquiétudes superflues, des voeux inopportuns, de l'adultère, de l'ingratitude, du jeu, des mauvaises manières.... Tant de thèmes qui trouvent un écho dans notre époque contemporaine, caricaturés pour mieux les critiquer. Et pourtant Sébastien Brant écrivit cette collection des folies du monde au XVe siècle.
Chaque poème part d'une constatation générale observée par l'auteur qui en propose ensuite plusieurs exemples, notamment bibliques et mythologiques, que de nombreuses notes permettent de mieux comprendre. Les différents poèmes se lisent facilement et il suffit de piocher dans un thème ou un autre selon l'envie ou parfois l'actualité. Après tout, il suffit de lire quelques lignes de ces fous pour s'apercevoir qu'ils n'ont pas entièrement disparus...
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Fou qui chante avec les corbeaux
Cras, Cras ! Demain il fera jour !
Plus fou sera dans son tombeau
De tout remettre au lendemain [...] "
Traduire et adapter au français moderne un livre de la fin du XVeme siècle n'a pas dû être chose facile, néanmoins le lecteur fou d'aujourd'hui (et pourtant déjà d'hier) que je suis est bien heureux d'avoir pu lire facilement le texte.
Présenté par chapitres, quelques vers en entrée, une gravure qui a des allures de carte de tarot avec ses personnages aux bonnets cochés, avant un texte plus conséquent, l'ouvrage a décidément de la gueul-hum- belle allure.
Néanmoins j'ai vite trouvé ça indigeste et ai continué ma lecture en sélectionnant ou piochant au hasard, les jours où j'en avais envie, une page comme certains choisiraient une psaume, un épître, enfin un truc du vieux bouquin là, avant de se coucher.
Plutôt que de folies j'y vois plus un catalogue des travers qui font de nous l'humain. Et si les exemples sont d'un autre temps, les thèmes sont toujours diablement d'actualité.
(Par exemple, on y trouve un chapitre sur la procrastination, dont j'ai cité le début en exergue) (trop fort ce Sébastien Brant!)
Je considère cependant l'ouvrage comme un faire valoir de bibliothèque. On ne va pas se lire ça tranquillou sur la plage ou dans son bain avec des bougies qui vont couler de partout. Il est joli quand on le feuillette, "pour mener la danse des fous entouré de livres points lus auxquels on n'entend rien" . Premiers vers géniaux qui nous accueillent en début de lecture (trop fort vraiment ce Sébastien). Et je comprends pourquoi son propriétaire souhaite le récupérer. Pas fou lui.
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Dans ce best-seller du XVe siècle, monument de la littérature alémanique, Sebastian Brant
Bien qu’il puisse apparaître à nos yeux modernes comme quelqu’un que l’on qualifierai aujourd’hui de «réactionnaire», il ne faut pas négliger de le replacer dans le contexte particulier de l’Alsace en cette fin de XVe siècle: l’heure est alors à la montée en puissance de la très austère Réforme protestante, qui suscite à son tour un regain d’austérité chez les partisans de l’Église de Rome (dont fait partie Brant). C’est dans ces mêmes années que Jean Geiler de Kaysersberg, un ami de Brant dont les prêches font salle comble, lance ses critiques assassines contre les abus des puissants et les dérives morales de la société, c’est à ce moment que paraît le «Marteau des sorcières» de Heinrich Kramer, véritable petit manuel de l’inquisiteur. C’est à cette époque qu’émerge, en réaction à l’oppression de l’Église et des riches, le Bundschuh, la révolte des paysans qui mit toute la région à feu et à sang.
Dans ces conditions, on peut plus aisément comprendre l’extrême pessimisme avec lequel Brant considère ses congénères, à un point qui confine, comme le fait remarquer Elouan dans sa critique, à la misanthropie.
Il est amusant de constater que les fous de Sebastian Brant n’ont pour l’essentiel pas perdu de leur actualité et quiconque lira cet ouvrage ne pourra pas ne pas reconnaître des traits agaçants de ses contemporains, voir se retrouver lui-même pris en défaut. On pourra même s’amuser à compléter la liste de Brant avec nos fous modernes, car nous ne sommes pas en peine de fous en ce début de XXIe siècle, et plutôt que des nefs, nous pourrions en emplir des porte-conteneurs entiers.
Précisons pour finir que cette édition est très bonne qualité, j’apprécie notamment les notes, nombreuses, qui viennent expliquer certaines références de Brant qui seraient autrement obscures ou nécessiteraient une très bonne connaissance de la Bible pour être comprises.
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Brant, Nicole Taubes se charge bien de nous le dire, n’a rien à voir avec Rabelais et le goût du carnaval. Il voit d’un bien mauvais œil tout débordement de la nature humaine. Il ne se fait d’ailleurs aucune illusion, concédant qu’il est lui-même un fou. Fou ? Ou plutôt misanthrope : il n’y a rien de bien exhaustif dans ces brochettes de vers dépeignant les contemporains de Brant. Même, certaines parties sont un peu de la même eau : Folie de faire bonne chère ou folie de trop aimer l’argent : folie de s’attacher aux choses « terrestres »… Folie d’oublier le ciel, folie d’oublier qu’un jour nous mourrons. Avec beaucoup de références aux mythes de l’antiquité, notamment à Diogène. J’imagine aussi que l’époque avait son lot de désordre moral, du fait de la peste ou de l’inquisition (mais de cette dernière Brant était plutôt partisan). J’en sors aussi avec l’idée que toute la force des images, poétiques ou pictographiques et du style martelant est nettement au service de l’éloquence, au cœur d’une entreprise d’édification populaire. Il me semble que ça peut être très vite contradictoire dans les termes, je ne peux pas dire que ce soit tellement mon truc en tout cas.. La Nef des Fous a eu beaucoup de succès à sa sortie, en 1494.
"Même si les fous le décrient / Le vrai est honoré partout ; / Au fond plaisent blâme et scandale. On m’a souvent apostrophé / Quand mis cette nef en chantier / Me conseillant de mieux la teindre / Et d’éviter le brou de noix, / D’ajouter lénifiant tilleul, / D’orner de glose et bavardage : / Au diable tous les envoyai / Sans céder sur la vérité. / Vérité est d’éternité / Aux yeux de chacun elle éclate / Et sans l’aide de cette oeuvrette. / Et la vérité est plus forte / Que mes ennemis et les siens. / Si je me fusse conformé / J’eusse été le plus grand des fous / Que j’ai entassé dans mes nefs."
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Un classique de la littérature allemande.
Tout les vices, péchés, folies, sont représentés, une sorte d'apologie
écrite au XVe siècle..
Toujours d'actualité pour la plupart.
Lecture érudite avec des références mythologique, religieuse.
C'est toujours préférable d'avoir quelques notions historique sur cette époque pour mieux apprécié la lecture, ce que je n'ai pas encore.
Mais cela n'empêche que ce fut une lecture intéressante.
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