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Citation de Cannetille


Ma mère et ma grand-mère avaient beau afficher un même stoïcisme face aux événements, le reste de leurs attitudes divergeaient. Ma mère détestait les armes, la confrontation, alors que ma grand-mère voyait les armes comme un mal nécessaire, me serinant que la manière d’affronter un intrus était la suivante : « Tu commences par un tir de sommation et, si ça ne l’arrête pas, tu vises les jambes pour le blesser. »
Ces mots ont marqué ma première prise de conscience que le danger qui se présentait à nous ne se limitait pas au monde situé à l’extérieur de notre communauté très unie, à ce groupe de maisons, mais qu’il pouvait nous atteindre chez nous, directement dans le jardin, peut-être jusque devant notre porte. Même si j’étais trop petite pour me souvenir de la nuit où le Klan a brûlé une croix dans notre allée, j’ai très souvent entendu l’histoire et ce moment est gravé dans ma mémoire comme si je l’avais vécu. Je le vois comme si je regardais une scène dans un documentaire, silencieux à l’exception du ventilateur encastré dans la fenêtre, un bourdonnement pareil à celui d’un vieux projecteur de cinéma :
« Les hommes arrivent tard le soir, longtemps après le dîner : mes parents sont encore assis dans le salon, ils regardent la télévision ; dans la cuisine, ma grand-mère et mon oncle Charlie lavent ce qui reste de vaisselle. Ils sont aujourd’hui tous morts et je les vois se déplacer dans la maison pareils à des fantômes. Dans cette histoire, moi aussi je suis un fantôme – un moi bébé dont je ne me rappelle rien, mon expression indéchiffrable sur mon visage encore aussi blanc que celui de mon père. Ma grand-mère observe le groupe à travers les stores – sept ou huit hommes en tunique blanche qui portent une croix de taille humaine ; dans la chambre, ma mère monte la garde devant moi, les rideaux sombres tirés, toutes les lumières de la maison éteintes en dehors de la faible lueur émise par une lampe-tempête dans un coin, pour que nous soyons tous plongés dans l’obscurité ; mon père et mon oncle, fusils à la main, attendent en silence dans la pièce de devant tandis que dehors le brasier est allumé ».
Chez ma grand-mère, se souvenir de cette histoire, la raconter, visait à assurer ma future sécurité, une protection obtenue grâce au savoir et à la vigilance qu’elle faisait naître, une espèce de prudence exacerbée : les poils qui se dressaient sur ma nuque dès que j’entendais un accent du Sud bien précis, ma colonne qui se raidissait quand je voyais le drapeau confédéré ou le râtelier à fusils sur un pick-up qui nous suivait de trop près sur la route.
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