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Citation de Clairoche


« Tiebia podbrossili »… c’est une des rares fois où je me souviens dans quelle langue Véra m’a parlé, elle parlait parfois français avec moi et toujours avec Lili pour ne pas « embrouiller la petite avec deux langues »… mais cette fois je le sais, c’est en russe qu’elle me l’a dit… en français elle aurait dû dire « on t’a abandonnée », ce qui ne serait qu’un mou, exsangue équivalent des mots russes… le verbe russe dont elle s’est servie…

— Mais où était-ce ? À quel propos ?

— Nous marchions côte à côte dans un jardin morne, sur le sable d’une allée qui sinuait entre des pelouses… ce ne pouvait être que le parc Montsouris… Véra très maigre et pâle, coiffée d’un large chapeau de velours marron, le cou entouré d’un boa, poussait le landau de Lili, quand elle m’a dit : « Tiebia podbrossili »… Mais alors à quel propos ? cela, je ne le retrouve pas… peut-être à propos de rien, comme ça, parce que ça l’a traversée tout à coup… elle n’a pas cherché à le retenir, ou elle n’a pas pu… les mots russes ont jailli durs et drus comme ils sortaient toujours de sa bouche… « podbrossili » un verbe qui littéralement signifie « jeter », mais qui a de plus un préfixe irremplaçable, qui veut dire « sous », « par en dessous », et cet ensemble, ce verbe et son préfixe, évoque un fardeau dont subrepticement on s’est débarrassé sur quelqu’un d’autre…

— Comme fait le coucou ?

— Oui, mais il me semble que dans l’acte du coucou il y a de la précaution, de la prévoyance, tandis que ce mot russe évoque un rejet brutal en même temps que sournois…

— Tu ne t’es sûrement pas occupée à ce moment-là à découvrir toutes les richesses que ce mot recèle…

— Je n’en étais pas émerveillée comme je le suis maintenant, mais ce qui est certain, c’est que je n’ai pas perdu une parcelle… quel enfant la perdrait ?… de tout ce que ce verbe et le « tu » qui le précédait « tiebia podbrossili », me portaient…
Et curieusement, en même temps que la rancune de Véra contre ceux qui se sont débarrassés sur elle de ce poids et qui l’obligent à s’en charger, en même temps que sa rage contre cette charge que j’étais pour elle… oui, en même temps que ces mots me blessaient, leur brutalité même m’apportait un apaisement… On ne veut pas de moi là-bas, on me rejette, ce n’est donc pas ma faute, ce n’est pas de moi qu’est venue la décision, je dois rester ici que je le veuille ou non, je n’ai pas le choix. Il est clair, il est certain que c’est ici et nulle part ailleurs que je dois vivre. Ici. Avec tout ce qui s’y trouve.

— Et tu savais déjà que le caractère de Véra, ses rapports avec toi n’étaient qu’une partie, pas la plus importance, de ce « tout ».
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