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Citation de Charybde2


Mais alors, que s’est-il passé ? L’explication la plus commune aujourd’hui met en cause les déprédations de l’industrie des combustibles fossiles, qui au cours des dernières décennies s’est chargée de jouer le rôle du méchant avec une crânerie de personnage de bandes dessinées. Entre 2000 et 2016, l’industrie a ainsi dépensé plus de 2 milliards de dollars, soit dix fois plus que les frais engagés par l’ensemble des associations écologistes, pour contrecarrer les projets de lois liés au changement climatique. Un pan important de la littérature consacrée au climat a dressé la chronique des machinations ourdies par les lobbyistes au service de cette industrie, des pratiques de corruption ciblant quelques scientifiques accommodants et des campagnes de communication orchestrées par les multinationales qui continuent encore aujourd’hui de fausser le débat politique, alors même que les principaux géants du pétrole et du gaz ont depuis longtemps renoncé à leur stupide numéro de déni de la réalité. Mais cette offensive de grande ampleur de l’industrie des énergies fossiles n’a vraiment commencé qu’à la fin des années 1980. Au cours de la décennie précédente, une partie des grandes entreprises pétrolières, y compris Exxon et Shell, se sont sérieusement attachées à évaluer l’ampleur de la crise, et à envisager de possibles solutions.
Nous nous désespérons aujourd’hui de la politisation des questions climatiques, ce qui est une manière courtoise de décrire l’entêtement insensé du parti républicain à nier l’évidence. En 2018, seuls 42 % des membres de ce parti savaient que « la plupart des scientifiques estiment qu’un réchauffement planétaire est en cours », et cette proportion va s’amenuisant. Le scepticisme à l’encontre du consensus scientifique sur le réchauffement climatique – et avec lui, les doutes affichés sur l’honnêteté des méthodes expérimentales et la réelle poursuite d’une vérité objective – est devenu l’un des credos élémentaires de ce parti. Pourtant, dans les années 1980, bon nombre de membres du Congrès, de membres des cabinets ministériels et de conseillers stratégiques affiliés au parti républicain partageaient avec leurs collègues démocrates la conviction que la crise climatique était l’un des rares sujets gagnants à tous les coups, d’un point de vue politique : un thème non partisan, aux enjeux extrêmement élevés. (…) En 1981, Malcolm Forbes Baldwin, président par intérim du Conseil sur la qualité de l’environnement mis en place par Ronald Reagan, déclarait ainsi à des cadres de l’industrie pétrolière : « Il n’existe pas de sujet plus important ni plus conservateur que la protection de la planète. » Un sujet absolument inattaquable, au même titre que le soutien aux militaires et la liberté de parole. Le sort de l’atmosphère concernait même un corps électoral plus vaste encore que ces thèmes-là, formé de tous les êtres humains vivant sur Terre.
L’idée qu’il fallait agir au plus vite était largement acceptée. Au début des années 1980, les experts scientifiques employés par le gouvernement fédéral américain prévoyaient déjà que des preuves formelles du réchauffement climatique apparaîtraient dans les relevés de température à l’échelle planétaire d’ici la fin de la décennie, et qu’il serait alors trop tard pour éviter le désastre. (…) Si les États-Unis avaient entériné la proposition qui, à la fin des années 1980, bénéficiait d’un large soutien – un gel immédiat des émissions carbone, puis une réduction de 20 % à l’horizon 2005 -, le réchauffement aurait pu être limité à moins de 1,5 °C.
La communauté internationale était en effet parvenue à un large consensus autour d’un dispositif qui devait permettre d’atteindre cet objectif : un traité planétaire juridiquement contraignant. Cette idée avait commencé à faire son chemin dès février 1979, lors de la première conférence mondiale sur le climat de Genève, où les scientifiques de cinquante nations étaient tombés unanimement d’accord sur le fait qu’il était « nécessaire et urgent » d’agir. Quatre mois plus tard, à l’occasion d’une réunion du G7 organisée à Tokyo, les dirigeants des pays les plus riches du monde signèrent une déclaration dans laquelle ils s’engageaient à réduire leurs émissions carbone. Une décennie plus tard, le premier grand sommet diplomatique visant à fixer le cadre d’un futur traité se déroula aux Pays-Bas. Plus de soixante pays y envoyèrent des délégués. Le sentiment des scientifiques et des dirigeants mondiaux était unanime : il fallait passer à l’action, et il appartenait aux États-Unis de prendre la tête de ce mouvement. Mais ils ne l’ont pas fait.
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