Négar Djavadi

Je vivais dans un western arrosé de lumière et l'enfance coulait à nouveau en moi, limpide, irriguant chaque parcelle de mon corps. Je sautais sur les canapés, sur les interstices laissés par les bras mous et les jambes entremêlées des adolescentes. Je m'amusais de leurs mimiques, me moquais de leurs protestations. Je fais le pitre. Je riais fort. je grimpais sur les murs et touchais le plafond. Je planais au-dessus des arbres et tendais les mains vers le ciel. Jusqu'à ce qu'un jour j'atterrisse près de Leïli. Regardez bien son visage encadré par la masse de ses cheveux bouclés et ses lèvres sèches qui viennent se coller à mon oreille et murmurent en français pour que personne ne comprenne : « Ça suffit maintenant. Franchement, arrête... On dirait une lesbienne. » (...) Je ne savais pas ce que le mot lesbienne signifiait. Pourtant, par une étrange alchimie, au moment où il tomba sur moi, sombre comme une goutte d'encre noire dans un verre d'eau, je le ressentis. Il avait quelque chose à voir avec ce que je faisais, qui j'étais, et avec la honte. Il devait décrire cette sensation nouvelle - énergie grisante ? gaieté espiègle ? - qui m'accaparait quand j'étais au milieu d'elles et dont j'avais vaguement conscience puisqu'elle disparaissait dès l'instant où je me retrouvais avec les garçons. Je n'avais pas encore assez de vocabulaire pour la définir.