Cette terre fantastique, ce morceau de paradis, elle se l'était construite jour après jour dans sa tête au fil de sa lecture, mais elle était plus belle et plus grandiose encore. Ses yeux mouillés d'émotion suivirent le torrent jusqu'au lac, s'arrêtant quelques instants sur les crêtes scintillantes, les cimes de grands solitaires dans les profondeurs des vallons encore nimbés de blancheur veloutée et les quelques nuages roses et légers qui glissaient vers l'est dans un ciel d'un bleu déjà très intense. Un grand milan lança un cri perçant au-dessus de leurs têtes. Un autre lui répondit avant de le rejoindre dans une immense spirale. Le souffle court, elle resta un long moment à contempler ce fascinant paysage avec une impression de déjà-vu.
Rose atteignit le sommet la première. Elle s'arrêta, le souffle coupé, alors que le soleil se levait à peine sur l'immense forêt endormie dans la brume. Très haut dans le ciel strié de délicats nuages orangés, un milan royal planait sans efforts et son cri perçant résonna sur les cimes. Un second rapace répondit, puis rejoignit le sillage du premier dans son immense courbe. Louis arriva quelques instants plus tard et s'arrêta sur sa gauche.
Elle ne pouvait détourner les yeux du somptueux spectacle qui s'illuminait dans les lueurs de l'aube. La brise balaya subitement les vallons et toute la forêt scintilla de perles d'or. Louis n'avait de sens que pour Rose. Ses yeux brillaient de milliers d'éclats. Le vent jouait dans ses cheveux, caressait sa nuque et emportait jusqu'à lui cette inimitable fragrance sucrée d'un miel de mille fleurs. Il glissa délicatement sa main dans la sienne. S'il existait un mot pour dire à quel point son bonheur était complet, il l'aurait gardé pour lui. Cet instant était bien trop précieux.
S'il avait eu un bataillon sous ses ordres, il aurait immédiatement lancé l'assaut. S'il avait pu contrôler le ciel l'espace d'un instant, il aurait envoyé la foudre sur leurs têtes sans la moindre hésitation. Mais il n'était pas seul à décider. Il fallait un plan. Ne pas s'exposer sur le périlleux terrain de la confrontation directe et tirer profit de leur profonde connaissance du terrain. Dissuader et décourager comme les ronces. Ralentir et épuiser comme les marécages. Effrayer et faire douter comme les vieilles légendes. Et si d'aventure ça n'était pas suffisant, attaquer vite et fort, comme le fait la vipère. Harceler, frapper par surprise avec toute la force possible et disparaitre dans l'ombre, comme les loups.