Nicole Thomas-Jammes

Écrire sans voir… Habituellement, on peut voir sans écrire, moi j’écris sans voir, sans entendre le stylo courir sur le papier, sans pouvoir chantonner en écrivant, sans écouter ou juste entendre de la musique. Les médecins croient-ils vraiment à ce qu’ils ont dit à Celia, à savoir que mes fonctions pourraient se rétablir comme elles se sont évaporées ? Difficile d’y adhérer quand on ignore comment elles se sont interrompues, sur quoi se basent-ils ? Connaissent-ils d’autres cas que le mien ? Mon cas est-il si exceptionnel ou rare ? Est-ce que cela intéresse quelqu’un ? Faire d’autres investigations, et voir ailleurs ? Je me prends à rêver… à trouver quelqu’un à travers le monde que mon sort intéresserait ? Après tout, je suis certainement un cas vraiment spécial sur lequel la médecine, ou même des personnes en dehors du circuit médical, pourraient se pencher. Comment procéder ? Comment les trouver ? Comment ?

L’encre pouvait être d’un noir profond, d’un bleu-noir, ou même, ma préférée, d’un bleu turquoise qui me faisait rêver aux lagons des îles tropicales. Avec délicatesse – moi, j’y voyais de l’amour –, il ôtait le capuchon et le posait religieusement sur un côté du buvard comme s’il s’était agi d’un coussin. Il dévissait ensuite le côté opposé à la plume, où la pompe se découvrait. L’encrier ouvert, il soulevait le haut de la pompe pour aspirer, puiser la sève qui alimenterait la source de ses mots. C’est en tout cas ce que j’imaginais, que l’inspiration des mots lui était insufflée par l’aspiration de ces encres aux qualités multiples et peut-être bien magiques. Dans mon imaginaire, ce stylo merveilleux faisait partie de la panoplie de l’homme qui a réussi, avec dans le même panier une belle maison, une belle voiture, des soirées remplies d’amis, des vacances à l’étranger… Mon père m’avait précisé que la plume en or 18 carats du stylo était polie à la main, ce qui pour moi rendait cet objet encore plus exceptionnel, j’avais 8 ou 9 ans !

En tout cas, ces oiseaux qui symbolisent la beauté, la grâce, la fidélité et même l’harmonie du couple, ne semblent pas gêner quiconque par ici. L’harmonie du couple… ça me laisse toujours rêveur, les pigeons, les tourterelles, eh oui ! ainsi que nos presque semblables, les primates gibbons et quelques autres qui sont plus raisonnables, engagés, respectueux, bien plus… que nous autres humains. Parfaitement, eux se choisissent et restent des couples unis pour la vie ; monogames, ces messieurs. Les dames aussi, ce qui est tout de même plus courant chez les humains !
Le lac est derrière moi, ai-je perdu mon temps à rêvasser ? Est-ce que je perds mon temps, vraiment ? Non, je peux te dire, Junior, que je ne perds jamais mon temps. Si je ne suis pas en action physiquement, j’ai toujours le moteur de tête qui fonctionne bien. Mais la nature à elle seule est une grande pourvoyeuse de cadeaux, et je ne me lasse pas d’être surpris par elle. Dame Nature ne m’a jamais déçu, ne me déçoit jamais.

Comment visualiser quoi que ce soit, puisque ma banque d’images intérieures a disparu. C’est angoissant de ne pouvoir imaginer, voir des images dans ma tête, d’ailleurs en l’écrivant, je réalise qu’en dormant, je ne rêve pas, ni en couleur ni en noir et blanc, je ne rêve plus. Je suis sûre que je rêvais avant, et de nouveau la peur me gagne. J’ai le souffle court, j’en tremble. Que faire dans l’instant ? Alors je me parle, dans ma tête une fois de plus :
Lyz, lâche ! Il te faut penser à autre chose, il te faut respirer profondément, expirer de même, ne pense à rien et souris !
Je songe aussi que si je suis face à l’autre, qui que soit mon interlocuteur, cela devrait être plus facile, plus doux, s’il me voit sourire un peu, cela devrait lui faire un peu moins peur, je ne voudrais en aucun cas provoquer de la pitié. Il ne me reste plus qu’à m’écouter, intérieurement bien sûr !
 

Je me suis levé comme d’habitude presque aux aurores, cela dépend de la saison, souvent avant 6 h 30, ablutions dans la foulée. Ablutions… j’aime bien ce mot, il correspond vraiment à ce que je ressens, l’eau qui coule sur moi pendant la douche me donne cette sensation de me purifier – encore un rituel – matin et soir. S’ensuit une méditation pendant vingt à vingt-cinq minutes, cela me recentre, j’ai l’impression de remettre tous mes morceaux en place, de la tête aux pieds ou des pieds à la tête, c’est vraiment devenu indispensable depuis bien longtemps. La pratique de la méditation m’est venue lors d’un voyage en Inde avec deux potes de fac, l’été où j’ai obtenu ce que l’on appelle aujourd’hui un Master en droit. Nous avions décidé de tenter l’expérience d’une semaine dans un ashram[1], expérience tellement enrichissante et inspirante pour chacun de nous, que tous les trois avions alors prolongé d’une semaine. Nous avons été conquis par la méditation et, tous les trois, nous la pratiquons toujours, une à deux fois par jour, matin et soir. 

Certains s’ennuient en faisant quelque chose, simplement par désamour de ce qu’ils font. Pour ma part, je n’ai jamais craint de m’ennuyer, je ne sais pas ce qu’est l’ennui. Tout m’intéresse, c’est vrai, j’ai de l’intérêt pour tout ou presque – même le rap, soit dit en passant, il y a des rappeurs super-poètes, des raps avec des textes magnifiques. En fait, la curiosité qui m’est propre est mue par un désir profond de découvrir le pourquoi, le comment, d’apprendre ce qui se passe ailleurs. Elle me pousse à l’exploration, à l’apprentissage, la surprise aussi, rencontrer et découvrir des gens, dénicher les avancées ou les progrès dans des domaines différents, approcher de plus près des sciences que je ne connais pas, rechercher les embellies en tous genres, et surtout elle me fait découvrir encore et toujours des livres sans lesquels je ne serais sans aucun doute pas qui je suis aujourd’hui… Sans vouloir pour autant me hausser du col.

. Je suis aussi de ceux qui considèrent chaque jour comme étant unique. Tu l’auras remarqué, toi aussi, hier n’a pas ressemblé à avant-hier, ni lundi dernier au lundi de la semaine précédente. Oui, les jours sont comme les empreintes digitales qui peuvent certes se ressembler, avoir des similitudes, mais jamais être identiques. C’est applicable aussi pour nous – toi, moi –, nous ne sommes pas tout à fait le même individu qu’hier, en tous les cas sur cette Terre. Tu es, je suis, nous sommes aujourd’hui plus vieux d’un jour, mais au-delà du physique qui évolue un peu, je peux dire qu’aujourd’hui, je ne vis pas les mêmes émotions qu’hier parce que je ne vis pas les mêmes événements ; les minutes, les heures sont inévitablement différentes, tout simplement.

J’aime les arbres, chacun est unique, et je ne crains pas de parler de leur énergie, d’ailleurs j’en puise au passage. Je suis sûr qu’ils ont un cœur. J’aime en effet m’adosser au tronc, un coup pile, un coup face, je l’enlace, et pour tout te dire, je ne soliloque plus, je lui parle – puis je repars en lui souhaitant le meilleur. Que ressens-je à son contact ? J’ai la sensation de me recharger, l’arbre est pourvoyeur d’énergie, je sens sa puissance et cela me fait vraiment du bien – toutes les espèces d’arbres ne dégagent pas ce rayonnement, cette force bienveillante, disons que chacun a sa propre énergie plus ou moins intense.

Patience est devenu le maître mot de ma vie ! Patience, que manifeste ma chère fille. Moi ? Je piaffe d’impatience, moi qui suis tellement avide de tout ce que je dois apprendre de moi, et sur moi. Je me répète une fois de plus… Patience ! Patience ! C’est à cet instant que j’ai entendu, était-ce dans ma tête encore ? Était-ce dans mes oreilles ? Je me suis figée, raidie pour entendre encore. Je n’ai pas rêvé, la voix, ces mots m’ont semblé plutôt provenir de mon oreille gauche. Oui, j’entends clairement cette phrase…
« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage »

J’ai une vraie curiosité, un désir d’aller toujours dénicher du nouveau, une soif de découvrir ce que j’ignore. Très tôt, j’ai pris conscience qu’en étant curieux j’aurais accès au grand spectacle de la vie, du monde, voire de l’univers. Cela m’a paru simple, aisé, à ma portée, un moyen sûr et de plus entièrement gratuit. Internet n’était pas encore entré dans nos vies – encore dans les choux, le web. Cela ne me coûtait que du temps, je le passais à fouiller, fureter, pour trouver le meilleur, apprendre encore et toujours avec envie. La curiosité qui m’anime me fascine par les directions tellement diverses qu’elle peut prendre. Elle est, somme toute, caméléon : elle mange à tous les râteliers. Elle peut être réactive, précautionneuse, finaude, curieuse, aussi bien littéraire que matheuse, intelligente, bonne, belle et rebelle, voire quelquefois extravagante, délirante et même coquine, pleine de défauts mais jamais mal intentionnée. Je rigole tout seul en me disant que je fais là la description d’une femme parfaite.