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Citation de lanard


lanard
04 décembre 2010
p. 361
Soddy avait inventé le terme d'"énergie atomique" dès le début du XXè siècle, une dizaine d'années avant la découverte du noyau. A cette époque, on ne savait pas encore (on n'était même pas en mesure d'émettre une hypothèse plausible) comment le Soleil et les étoiles pouvaient diffuser tant d'énergie pendant tant de millions d'années : les explications chimiques étaient ridiculement inadéquates - un Soleil fait de charbon se serait totalement consumé au bout de 10000 ans. La radioactivité, l'énergie atomique, allait-elle fournir la clé de ce mystère?
"Supposons, par exemple, que notre Soleil […] soit constitué par du radium pur […]. [I]l n'y [aurait] n'y aurait aucune difficulté à expliquer son émission d'énergie."*
Cette transmutation qui s'accomplissait naturellement à l'intérieur des substances radioactives pouvait-elle être provoquée artificiellement ? Pour Soddy cette perspective était si exaltante qu'elle lui avait inspiré cette envolée au accents millénaristes :
"Une race capable de transmuer la matière n'aurait pour ainsi dire, nullement besoin de gagner son pain à la sueur de son front. Etant donné ce que nos ingénieurs exécutent avec nos ressources relativement restreintes d'énergie, nous imaginons facilement que de tels hommes [pourraient] rendre fertiles des continents désertiques, fondre les glaces des pôles et métamorphoser la Terre entière en un souriant Eden. […] Le radium nous a appris qu'il n'y a aucune limite à la quantité d'énergie présente dans le monde et pouvant servir à l'entretien de la vie […]. On ne saurait nier qu'en ce qui concerne l'avenir, de nouveaux horizons nous aient été découverts. Grâce aux dernières acquisitions de la science occidentale, l'héritage de l'homme s'est accru, ses aspirations se sont magnifiées, et sa destinée s'est ennoblie dans une mesure telle qu'elle surpasse notre faculté actuelle de prévision. Rien ne nous interdit de croire qu'un jour viendra où nous saurons capter, pour nos propres besoins, les sources primaires d'énergie qu'aujourd'hui encore la Nature garde si jalousement pour l'avenir."*

Ayant lu Le Radium, interprétation et enseignement de la radioactivité [The interpretation of Radium] en 1945, j'avais été emballé par le vision de Soddy : il serait formidable, avais-je songé, de pouvoir disposer d'une énergie et d'une lumière inépuisables! L'enthousiasme de l'auteur montrait à quel point la découverte du radium et de la radioactivité avait enivré nos prédécesseurs du début du XXe siècle.
Mais l'évocation de cette puissance rédemptrice n'avait pas empêché Soddy de fait était aussi de perspectives plus sombres, puisqu’il avait écrit également dès 1903 que les briques de la matière "pourraient très bien jouer le rôle d'explosifs beaucoup plus puissants que la dynamite"**Cette note alarmiste se faisait souvent entendre dans Le Radium…, et s'était en partie sous l'influence de Soddy que H.G. Wells était revenu à la science-fiction dans la Destruction libératrice [The World Set Free]. (Ce roman publié en 1914 fut même dédié au livre de Soddy.) Wells parlait ici d'un nouvel élément radioactif, dit "carolinum", qui libérait son énergie en déclenchant une sorte de réaction en chaîne :
"Par le passé, au cours de chacune des étapes [du] développement des techniques de guerre, la déflagration des obus et des fusées avait eu lieu de manière instantanée ; ces engins explosaient d'une cour et une fois pour toues en un instant […]. En ce qui concerne le carolinum, il en allait tout autrement. […] Dès [qu'était] activé le processus de dégénération commençait un furieux rayonnement d'énergie, que rien ne pouvait arrêter."***
J'avais repensé aux prophéties de Soddy et de Wells quand la destruction d'Hiroshima avait été annoncée en mai 1945, et je me souviens que la bombe atomique m'avait inspiré des sentiments curieusement mitigés. Après tout, nous n'étions plus en guerre, la victoire ayant été acquise en Europe dès le 8 mai; nous n'avions pas subi Pearl Harbor comme les Américains, et les Anglais et les Japonais ne s'étaient affrontés directement que lors des campagnes de Malaisie et de Birmanie. En un sens, les bombardements atomiques pouvaient être vus comme le terrible post-scriptum de la guerre, une démonstration hideuse qu'il aurait mieux valu éviter.
Néanmoins, comme beaucoup d'autres, je m'étais félicité de l'exploit scientifique que constituait la scission de l'atome et avais été captivé par la lecture du Smyth Report, rapport officiel paru en août 1945 dans lequel les procédés de fabrication de la bombe avaient été décrits en détails. Je n'avais été frappé d'horreur que l'été suivant, lorsque l'article de John Hersey intitulé "Hiroshima" avait été publié dans un numéro spécial du New Yorker (Einstein, disait-on, avait acheté mille exemplaires de ce numéro) et lu peu après à la radio par des journalistes de la BBC. Jusqu'à cette date, la chimie et la physique n'avaient été pour moi qu'une source de joie et d'émerveillement perpétuellement renouvelés : j'avais insuffisamment mesuré, sans doute, leurs potentialités négatives. Les bombes atomiques me bouleversèrent donc aussi, comme tout le monde. Tout semblait indiquer que la physique atomique ou nucléaire ne pourrait plus jamais être empreinte de l'innocence et l'allégresse qui avaient caractérisé l'époque de Rutheford et des Curies.
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