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Citation de Charybde2


La première fois que j’ai entendu parler d’utopie, c’était dans une planche de bande dessinée, celle qui ouvrait Corto Maltese en Sibérie d’Hugo Pratt.
Corto était à Venise, installé dans un bon fauteuil, et lisait l’ouvrage de Thomas More, Utopia. Il citait une phrase : « Que faites-vous encore ? Des voleurs, pour les punir ensuite. » Je n’ai jamais su s’il s’agissait réellement d’une citation de Thomas More, mais je comprenais d’emblée une chose : l’utopie est fille de l’injustice et des désordres du monde. Corto Maltese ajoutait, à l’attention de son hôte : « Je n’ai jamais pu finir ce livre. » Deuxième chose : l’utopie est un programme jamais achevé. Puis il finissait par s’endormir, son livre sur les genoux. Troisième chose : l’utopie est un rêve.
Il est des rêves, cependant, qui se réalisent. Certes, aucun ne parvient jamais à égaler en beauté, en pureté, en justice, le songe dont il est issu, mais il a sur celui-ci un double avantage : le goût du réel et celui du paradoxe. Quoi de plus stupéfiant, en effet, qu’une utopie réalisée ?
Quoi de plus dangereux aussi ?
Les hommes rêvent d’un monde meilleur et, parfois, au prix d’efforts inouïs, l’accomplissent, pour un temps. Puis le rêve se dissipe, soit qu’il tourne au cauchemar, soit qu’il se désagrège comme du sable.
Que reste-t-il de la fac libre de Vincennes ? De l’équipe autogérée des Corinthians de Sao Paulo ? De la constitution de 1793 ? Du Flower Power de San Francisco et des hippies de Woodstock ? De la République des Conseils confisquée par Staline ?
Des douze articles de la paysannerie souabe en 1525 ? Des entreprises de libération de Bolivar et de Che Guevara ? Du programme du Conseil National de la Résistance en 1944 ? D’Ellis Island et des kibboutz ? De la sauvage liberté des débuts d’internet ?
Il reste la poussière des rêves, qui est l’autre nom de la mémoire.
Il suffit de considérer la longueur du sommaire de ce livre, en ayant à l’esprit que la liste n’est pas exhaustive, pour comprendre de quoi il retourne. L’utopie est un lieu qui n’existe pas. C’est pourquoi on la trouve partout.
(Laurent Binet, « Avant-propos)
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