— Vous savez, il faut parfois du temps pour réaliser ce qui est bien pour soi. Puis le différencier de ce qui ne l’est pas. Cela est d’autant plus vrai quand on est jeune, comme vous. Nul n’arrive ici par hasard.
— Mais par erreur, si !
— Tout n’est que point de vue. Pour vous, c’est une erreur, pour ceux qui vous ont envoyé ici, c’était une nécessité. Pourtant, nous parlons bien d’un même et unique événement : votre présence en ces murs.
— Et la vôtre, n’est-ce pas une erreur, non plus ?
— Oh… J’avais besoin de repos de toute façon. Et vous reconnaîtrez qu’on s’occupe bien de nous, ici. Vous savez, ce qui conditionne la vie d’un homme, ce n’est pas les épreuves auxquelles il est confronté ; c’est la manière dont il les perçoit. Cela fait une grande différence. J’en veux pour preuve notre échange : nous sommes dans la même situation, à des étapes autres de nos vies certes, mais comment expliquez-vous que pour vous, c’est une punition, alors que pour moi, c’est une bénédiction ?
— Le bénéfice de l’âge, certainement.
—Très peu. Mais la discipline mentale : le contrôle de l’attention, le rejet des pensées nuisibles et des ruminations néfastes. Faire le tri. Maîtriser son esprit. Ne garder que ce qui est utile à servir votre cause.
— Encore faut-il en avoir une.
—Patience, cela viendra, évacua le quinquagénaire. Savez-vous ce qu’a répondu Nelson Mandela à un journaliste qui lui demandait à l’issue de sa captivité comment il fit pour tenir le coup ?
— Aucune idée.
— Il dit : « J’ai contrôlé mon âme. »… Et c’est de cela qu’il est question, Andréa.
Ce qui est important, dans, et pour votre histoire, c’est d’avoir un héros bridé, qui se sente retenu, freiné. Par une ou plusieurs faiblesses. C’est par là qu’il faut commencer. Quelque chose qui lui manque, en son for intérieur, et qui lui pose problème ; quelque chose qui peut aller jusqu’à lui pourrir la vie. Comme s’il était retenu par des chaines qui l’empêchaient d’avancer. C’est à partir de cela que vous devrez construire votre personnage. Si sa faiblesse est morale, cela impactera toujours d’autres personnes autour de lui, d’une manière ou d’une autre. Et cela est un bon moyen de l’empêcher d’être un héros parfait. Qui veut connaître l’histoire d’un héros parfait ? Les enfants, peut-être… Mais nous, adultes, nous n’y croyons plus. À quoi bon lire son histoire ? Si le héros est parfait c’est qu’il n’est pas réel ; on ne pourra pas s’y identifier, l’intérêt est nul.
Mais cela ne s’arrête pas là.
Au même moment, deux hommes sortirent d’un bâtiment pour pénétrer dans la cour. Tous deux portaient un pantalon identique, blanc, et leurs blousons recouvraient leurs hauts, dissimulant leurs badges. Calmement, ils passaient voir un à un la douzaine de gens dans le patio. Certains marchaient, semblant suivre un chemin connu d’eux seuls, d’autres déambulaient, absents, le regard dans le vide. Peu étaient actifs, tous paraissaient fatigués. Les deux compères leur adressaient à tous un bref message en aparté, que les premiers validaient et les seconds ignoraient.
De toutes les personnes présentes, trois étaient assises sur les bancs en bois, tous orientés vers le centre. Une femme d’une cinquantaine d’années, seule, portant une petite poupée à bras le corps, qu’elle berçait dis-continuellement. Et, plus loin, deux individus engagés, comme toujours, dans une profonde discussion, dirigée par l’aîné.
"Elle finit par poser son téléphone sur sa table de chevet et éteindre la lumière. Puis, machinalement, elle se tourna vers le centre du lit pour se coller à N., pensant enfin mettre un terme à cette journée atroce. Mais, il n'était pas là [...] La jeune femme aggripa le coussin imprégné de l'odeur de son compagnon, le serra contre elle pour le respirer fort, encore et encore. Dans le silence assourdissant de sa chambre et le vide immense de son lit, elle fondit en larmes".