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Citation de enkidu_


Cet avènement du moi en lui [dépassement de la dualité, confusion du sujet et objet], tout grand homme le connaît. Qu’il en fasse l’expérience, et donc devienne conscient de lui-même, à l’occasion de l’amour d’une femme – car le grand homme aime plus intensément que l’homme moyen – ou qu’il accède au sentiment de son essence véritable et profonde par la conscience de la faute et grâce, ici encore, à un effet de contraste qui lui représente son action comme une trahison à l’égard de lui-même – la conscience de la faute étant également chez le grand homme plus forte et plus différenciée ; que l’avènement du moi en lui le conduise à se fondre dans le tout de l’univers, à voir toutes choses en Dieu, ou lui révèle au contraire le dualisme terrible de la nature et de l’esprit, éveillant dans son être un besoin de rédemption ou de délivrance intérieure, ce qu’il apporte, et ne cessera d’apporter, avec lui et de son propre fait, c’est-à-dire sans aucune intervention de la pensée humaine, n’est rien de moins que le germe d’une vision du monde. Une vision du monde n’est pas une grande synthèse élaborée par un savant zélé assis à sa table de travail et entouré de toute une bibliothèque, elle est quelque chose de vécu, et elle peut être, considérée dans sa totalité, claire et non-équivoque alors même que de nombreux points de détail resteraient ou obscurs ou contradictoires. C’est l’avènement du moi dans la conscience qui est à la racine de toute vision du monde, de tout regard porté sur le monde dans lequel celui-ci soit considéré comme un tout, cela étant vrai pour l’artiste comme pour le philosophe. Et si radicalement que puissent s’opposer les différentes visions du monde, elles ont toutes en commun, dans la mesure où elles méritent ce titre, une chose qui est précisément ce qu’elles doivent à cette expérience de l’avènement du moi, à savoir cette que tout grand homme possède, cette conviction de l’existence d’un moi, ou d’une âme, seule dans l’univers et devant lui, et contemplant le monde entier.
(…)
L’homme de génie est celui chez qui le moi est le plus intense, le plus vivant, le plus conscient, le plus continu et le plus unitaire. Mais en même temps, le moi est le point central de l’aperception, ce qui fonde son unité, ce qui opère la « synthèse » du divers.

Le moi du génie ne peut donc qu'être lui-même aperception universelle, le point qu'il forme dans l'espace, que contient à lui seul tout cet espace : le grand homme porte en lui le monde entier, et le génie est un microcosme vivant.
(...)
A l'infini de l'univers répond chez le génie un véritable infini en lui même ; le chaos et le cosmos sont pour lui des réalités intérieures, de même que toute particularité et toute totalité, toute multiplicité et toute unité. L'homme de génie est l'homme conscient de son lien avec le monde, et le génie est proprement la part divine en l'homme.
(...)
L'homme de génie vit dans un état de conscience universelle, est la conscience de l'univers ; l'homme de la rue contient également l'univers, mais sans que cela l'amène encore au niveau de la conscience créatrice. L'un vit avec le tout dans un rapport conscient et actif, l'autre dans un rapport inconscient et virtuel ; l'homme de génie est un microcosme actuel, l'homme non-génial, un microcosme virtuel. Seul l'homme de génie est totalement homme ; l'être-homme, l'humanité (au sens kantien du terme) présente en chaque individu humain « dunamei », c'est-à-dire en puissance, ne se déploie pleinement, « energeiai » , que chez l’homme de génie.
(...)
C'est parce-que l'homme de génie est celui qui a pris conscience de son moi qu'il ressent le moi chez les autres.
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Personne plus que lui ne souffre des souffrances des hommes avec lesquels il vit.
(...)
Je pense avoir suffisamment démontré par là que le génie n'est qu'une moralité supérieure. Le grand homme n'est pas seulement le plus fidèle à lui-même, le moins oublieux de sa propre vie, celui à qui l'erreur et le mensonge sont les plus odieux et insupportables ; il est aussi le plus social, l'homme le plus solitaire en même que le plus solidaire. Le génie est une forme supérieure de l'être, non seulement intellectuellement, mais moralement.

Le génie exprime l'idée de l'homme. Il montre ce que l'homme est, à savoir un sujet dont l'objet est représenté par l'univers entier, et il en est l'affirmation vivante et éternelle. (pp. 146-156)
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