Extrait du recueil MÉTISSÉE de Ouanessa YounsiMÉTISSÉE, ce sont des poèmes en prose autour de la question des origines, présentes et absentes. Née d'un père arabe et d'une mère québécoise, petite fille de peinture fraîche, l'auteure plonge dans les labyrinthes de l'identité et de l'enfance, cherche sa famille inconnue côté basané du monde. La poète convoque des ancêtres de papier pour réparer les arbres généalogiques, raconter le silence qu'elle a reçu, parler comme un incendie.
Née en 1984, Ouanessa Younsi est poète, auteure et médecin psychiatre. Entre deux patients, elle publie poèmes et récits dans diverses revues et ouvrages collectifs, et participe à des lectures et festivals de poésie.
Thomas King
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Je rentre océan
J’ai une chambre et une tempête
à la porte une mer qui frappe
des lumières dans le cou
bleu d’Agôt l’île calme
au nord nous coulons
comme si nous existions tu sais
on peut y croire
mes amarres s’emmêlent de marées
un océan nous use dans sa beauté
le grès des grottes s’effondre
l’esprit se réveille
en chemin ciel un chemin feu
froissant la terre qui tremble
paysage gris
que fûmes-nous
dans la grande île
j’ai une chambre et une tempête
les dieux qui frappent à ma porte
rameutent des flammes volées au vent
Qu’elle est lourde ma porte
quand reviennent les livres
perdus dans l’amour
Laure Morali (1972 -)
Retour
Longtemps je suis parti
Mon retour prend le temps des années d'absence
Trois fois peut-être je tomberai
Pour atteindre le territoire de ma naissance
Rien n'assombrit mon retour
Je cherche l'épinette blanche qui a parlé à mon père
Elle est là
Je regarde vers le soleil levant qui a vu mes premier pas
C'est ici que tout est vrai
//Joséphine Bacon
D’espérance en commencements
Extrait 2
J’ai longtemps cherché le seuil
de ma propre maison, les pierres lourdes
du passé encombraient le passage.
Aujourd’hui j’avance vers ce que je deviens,
je me fonde, m’érige,
m’échafaude à l’est de mon arbre
pour que tout commence
avec ce qu’on appelle vivre.
J’ai compris tant de choses
de mes bonheurs et de mes déchirures.
Le temps brûle entre mes mains
comme des feuilles jaunies, l’empreinte
de chaque solitude
que l’on regarde les yeux fermés.
Et si, derrière nos pas, le monde
se remet à battre, que reviennent,
comme les grandes marées,
les terres jamais entrevues,
et si je porte encore une trace,
c’est d’espérance en un commencement
qui nous recommencera.
//Hélène Dorion
D’espérance en commencements
Extrait 1
Le voyage dure encore,
qui me mène au commencement de moi-même,
et la traversée ne connaît aucun port.
De vastes ailes, des barques d’absence,
un château blessé. Le vent tourmente
les forêts sans mémoire, perce les épaves,
les ruines déjà rouillées par trop d’hivers.
Je rentre par des chemins dispersés
aux quatre coins de la nuit, par des paroles
accroupies dans la langue de mon père,
des cris, des balbutiements, des mots
en friche qui ne racontent aucune histoire
et croquent le fruit
et attendent le printemps.
…
//Hélène Dorion
Commencer, prendre acte
Extrait 4
Se réveiller dans le silence. Images fuyantes, d’autres immobiles.
Commencer arrive dans l’inattendu, l’invisible trame.
Dans le surgissement, le risque d’une pensée exposée.
Accepter d’être son objet imaginaire.
Rien, qu’est-ce que c’est ? La forme la plus complète.
Un fantôme dépose un voile sur le monde.
L’esprit de la brume.
Des êtres reviennent, se retirent parmi les choses sensibles.
Soudain, la tentation de déplacer les meubles. De soustraire.
Dans le fragment je reconnais la plénitude.
// Louise Warren (1956 -)
Rosalie Trudel
qu’on se serve de moi
oblique rescousse
feule secours
d’ambitieuses visions
qu’on me brise qu’on
me chante
vissée sous des airs
d’inespérance
qu’on me lance qu’on
m’affole
sous l’égide
sous la folle
herbe d’amour
Commencer, prendre acte
Extrait 2
Aller à l’intérieur et à l’extérieur du vent, ne rien chercher.
Donner la parole au vent.
Lueurs dans le miroir des lettres. La symétrie du m, du e.
Une intervention, une installation dans le langage.
Demeurer seule avec la pluie, s’y fixer.
Écrire à côté de rien, être secouée par la vitesse.
Porter l’élan vers la voix, la nuit.
Délier les forces, les mettre en présence de l’éloignement.
Juste ce qu’il faut d’étrangeté pour proposer une vision,
transmettre une apparition.
…
// Louise Warren (1956 -)
Commencer, prendre acte
Extrait 3
Se dépouiller de son enveloppe.
Revenir de la falaise avec des lambeaux de peur.
Les mains agrandies, une ampoule crevée. Une phrase achevée.
Forme de rien, le souffle de la canicule.
L’étendue de la chair dans un micromouvement.
Une plongée dans le bas du dos, suivre le frisson,
le retrouver sous l’eau.
L’apaisement d’une rature. Le sol retenant la lenteur.
Même expérience.
La poussée vers une forme. Acte d’amour.
Quelqu’un m’appelle par mon nom, chaque creux consolé.
…
// Louise Warren (1956 -)
Commencer, prendre acte
Extrait 1
Ce qui commence, ouvre, se jette
dans le doute, les cercles de l’eau, le rêve.
Le bruit sourd s’instruit de ce qui casse, ce qui plie, s’émiette.
La pensée palpite à la surface de l’eau.
Chaque action entraîne le mouvement,
le dénoue, le contracte, l’épuise.
Ligne oblique. Raturer vers le haut.
La certitude de la diagonale.
Commencer, s’approcher, se rapprocher, se heurter au choc.
Vider le mot de ce qu’il contient.
Voir toute l’eau d’une barque.
…
// Louise Warren (1956 -)
La grève me regarde ouvrir la bouilloire. Je mets mes os dans la tasse. J'ai envie d'un sommeil de ouate. D'abandonner ma peau à quelqu'un d'autre. Lorsque les vagues me traversent, je me sens trop petite pour cette profession. L'impuissance m' empoigne tel un lasso. Que puis-je pour soulager des maux vieux de trop de siècles ? Et cette maudite pauvreté qui fait pisser des balles de fusil dans les trous des maisons.