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Citation de Woland


[...] ... Le cortège se mit en branle dans un silence impressionnant. La crainte du ministre de l'Intérieur de voir la foule s'emparer du corps et se venger sur lui se révéla sans fondement. Tous les récits contemporains signalent ce calme étrange et inattendu. Le corps si frêle était gardé comme s'il risquait de reprendre vie pour bondir souvent et tomber sur ses persécuteurs. Mais ni les sabres d'abordage brandis ni la phalange des veilleurs ne furent nécessaires. Personne n'essaya de porter une main violente sur Williams. Pas de hurlements, d'exécration, de cris injurieux. Pourquoi cette réserve contre nature ? Difficile de croire qu'il s'agissait de pitié pour le mort. Bien peu, voire aucun des assistants, doutaient d'avoir sous les yeux l'assassin des Marr et des Williamson. Bien peu, voire aucun, étaient écoeurés par cette exhibition publique du corps, ou indignés par la honte qui l'attendait. Etait-ce une sorte de crainte respectueuse qui les rendait muets ? Partageaient-ils l'émotion que Coleridge confiait à De Quincey quelques mois après le crime : "Pour sa part, bien qu'habitant Londres à l'époque, il n'avait pas été gagné par la panique ambiante. Les assassinats ne l'avaient affecté que comme philosophe, le plongeant dans une profonde rêverie sur la puissance effrayante mise en un instant à la portée de n'importe quel homme qui peut accepter d'abjurer toute retenue si dans le même temps il est totalement dénué de peur." Le silence était-il celui de la stupeur devant ce corps si frêle qui avait pu commettre tant d'horreurs ? Ou la foule était-elle pétrifiée en constatant que le monstre qui avait ajouté le suicide à ses crimes abominables [= rappelons que, en Angleterre, le suicide était considéré et puni comme un crime] pouvait avoir un visage aussi humain ?

La cavalcade descendit lentement Ratcliffe Highway jusqu'à la boutique des Marr et là, s'arrêta. Au moment où la charrette s'immobilisa, la secousse fit tourner la tête de Williams comme s'il ne pouvait supporter de regarder la scène du massacre. Un homme de l'escorte grimpa sur la charrette et, d'une main ferme, disposa le corps de façon que les yeux morts parussent épier dans la maison les ombres inquiètes de ses victimes. Au bout d'une dizaine de minutes, le cocher fouetta son cheval et le cortège repartit. De tous les défilés que Londres avait connus dans sa longue histoire souvent bien sombre, rares ont dû être ceux qui égalaient dans le bizarre et le macabre cette parade du 31 décembre 1811 : un cadavre vieux de quatre jours promené dans les rues minables du Wapping bordant la Tamise. Le corps encore dans ses atours de pacotille souillés par la prison, la jambe gauche dans les fers, la grossière charrette avec sa plate-forme ajoutée à la hâte, l'unique cheval au pas traînant, tout cela faisait un contraste sinistre avec les rangs de l'autorité prétentieuse qui escortait ce corps solitaire jusqu'à son ignoble tombe. ... [...]
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