Hauteurs de Macchu-Picchu
XI
À travers la confuse splendeur
À travers la nuit de pierre, laisse-moi plonger la main
Et laisse palpiter en moi comme un oiseau mille ans prisonnier
Le vieux cœur de l’oublié !
Laisse-moi oublier aujourd’hui ce bonheur plus ample que la mer.
Car l’homme est plus vaste que la mer avec ses îles,
Et il faut tomber en lui comme en un puits pour rejaillir du fond
Avec un bouquet d’eau secrète et de vérités englouties.
Laisse-moi oublier, large pierre, la proportion puissante,
La mesure transcendante, les pierres de la ruche,
Et le long de l’équerre, laisse-moi glisser
La main sur l’âpre hypoténuse du sang et du cilice.
Quand le condor furieux, comme un fer à cheval aux élytres rouges,
Me frappe les tempes, dans sa ligne de vol
Et quand l’ouragan, de ses plumes de carnassier, balaie la sombre
poussière
Des perrons obliques, je ne vois pas la bête rapide,
Je ne vois pas le cercle aveugle de ses griffes,
Je vois l’être antique, le serviteur, l’endormi
Dans les champs, je vois un corps, mille corps, un homme, mille
femmes,
Sous la rafale noire, noirs de pluie et de nuit,
Avec la lourde pierre de la statue.
Jean Brisecaillou, fils de Wiracocha,
Jean Mangefroid, fils d’étoile verte,
Jean Piednus, petit-fils de la turquoise :
Monte, et nais avec moi, frère !
//Traduit de l’espagnol par Roger Caillois