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Citation de emmalag


Lorsque par ennui, par jeu, ou par défi, je faisais appel à ce don, je me racontais des histoires. Par crainte de les oublier, je les notais précieusement dans une multitude de petits carnets noirs que je cachais sous mon matelas. Je m'inventais un inconnu veillant sur moi de loin, un homme dont mes parents redoutaient la puissance et leur imposait à travers moi sa volonté. Je les reléguais alors au second rang, je les gommais, les faisais disparaître en me réinventant un présent que je préférais. Je me transportais dans une autre maison, spacieuse, confortable, ensoleillée. un pays nouveau, fait de forêts, de prairies et de rivières qui traversaient des villes aux avenues et aux immeubles chargés d'histoire. J'étais le rejeton d'un homme célèbre, au passé glorieux, qui avait marqué son temps d'une empreinte indélébile et qui m'ouvrait la voie vers un grand destin.
les dimanches pluvieux, je m'enfouissais au creux de mon lit. Après avoir failli provoquer un début d'incendie en me glissant sous mes draps avec la lampe de chevet, j'avais opté pour une lampe de poche. Avec ma main libre, j'agrippais un livre et m'évadais le plus loin possible. je n'étais plus l’ado de personne. je me catapultais vers des contrées éloignées et ensoleillées. Il y avait la mer, le désert, la jungle. Je dévalais des montagnes, descendais des torrents, planais vers le soleil couchant. Je m'agrippais au sommet du mât d'un grand voilier qui traversait un océan. j'assistais à l'éruption d'un volcan, d'un geyser, d'un puits de pétrole. Je bâtissais une maison dans la brousse, avec des lits enveloppés de moustiquaires, des hélices fixées au plafond brassant un air chaud et humide. Il y avait des coups de feu, des crissements de pneus d'une jeep sur des graviers. je m'inventais une grande sœur imaginaire. je fourrais avec elle mes deux mains dans la crinière drue du lion de Kessel. j'étais le fils d'Albert Londres. j'errais à ses côtés sous le soleil de l'Orient compliqué. je me brûlais à celui de Corfou en compagnie d'un oncle cette fois, fantasmé lui aussi, un autre Albert, mais plus fantasque celui-là, capricieux, certes dépressif, mais si lumineux. Mon sang irriguait les sillons de la Catalogne labourée par la plume d'Hemingway, un grand-père comme j'en aurais voulu un, courageux, pétri d'idéalisme, capable de s'extasier face à une nature sauvage, humain à l'extrême. Je partageais avec lui les mêmes désirs, les mêmes engouements. j'étais fasciné par les corridas, le rouge du sang et des banderilles, la muleta virevoltante, et l’estocade, la mort portée sans vaciller par le fil de l'épée. J'en sortais plus aguerri, prêt à panser mes plaies entre les bras soyeux d’une Emma Bovary, sosie craché de ma frêle voisine du dessus, bien réel celle-là, source de mes premières désillusions sentimentales. Longtemps après avoir tourné la dernière page, je restais imprégné de ces paysages lointains et de ses inaccessibles périples amoureux, tout transpirant d'émotion, effaré de ses improbables rencontres, cloîtré dans ma chambre.
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