L'essentiel c'est qu'on sache voir,
qu'on sache voir sans se mettre à penser,
qu'on sache voir lorsque l'on voit,
sans même penser lorsque l'on voit
ni voir lorsque l'on pense.
Mieux vaut voir une chose toujours pour la première fois que la connaître,
Parce que connaître c'est comme n'avoir jamais vu pour la première fois,
Et n'avoir jamais vu pour la première fois c'est ne savoir que par ouï-dire.
Car le poème
Car le poème c’est la voix qui vient
De loin, du fond des temps, du fond des cœurs,
Qui tourbillonne et qui vrombit dans toutes
Les fissures de toutes les murailles,
Qu’elles soient de pierre, de bronze, d’or,
Murailles de l’histoire où le poème
Tourbillonne et vrombit, flot de criquets
Dans l’esprit et l’oreille populaires.
Car la voix du poème est par-delà
Et en-deçà du flux de la conscience,
Elle qui se donne en toute confiance
À l’élan d’une vague d’entrelacs,
Une vague sans fin où être là
Transcende en transe toute transhumance.
JOSEPH LUCE, SISYPHE SYNTAXIER
Extrait 1
luce joseph la guerre atroce il l'a
vécue dès dix-neuf cent quatorze dans
le service auxiliaire en raison de
ses problèmes d'acuité visuelle
lui le matricule mille soixante
et onze de la classe mille neuf
cent douze lui qui avait été in
corporé en mille neuf cent treize au
23èrne bataillon de chasseurs
à pied lui le fameux marcheur d'aiglun
homme ardent endurant infatigable
et le voilà membre actif de ce peuple
indispensable des brancardiers des
secouristes des hommes à tout faire
admirables sisyphes de la guerre
et c'est ainsi qu'il œuvre vigoureux
tenace secourable dès le 4
août 1914 jusqu'au
26 mars 1915 dans
les premiers mois de la campagne contre
l'allemagne puis on l'envoie œuvrer
secourable tenace vigoureux
un parmi ces innombrables sisyphes
qui transportent sans fin la pierre de
chairs suppliciées dans leurs brancards fourbus
sur le front de la campagne d'orient
…
Que ne suis-je la poussière du chemin,
les pauvres me foulant sous leurs pieds...
Que ne suis-je les fleuves qui coulent,
avec les lavandières sur ma berge...
Que ne suis-je les saules au bord du fleuve,
n'ayant que le ciel sur ma tête et l'eau à mes pieds...
Que ne suis-je l'âne du meunier,
lequel me battrait tout en ayant pour moi de l'affection...
Plutôt cela plutôt qu'être celui qui traverse l'existence
en regardant derrière soi et la peine au cœur...
(Le Gardeur de troupeaux - XVIII)
JOSEPH LUCE, SISYPHE SYNTAXIER
Extrait 7
sisyphus aeternus voilà qu'il meurt
luce joseph ou bien plutôt voilà
qu'il vit lucius josephus sisyphus
aeternus à jamais pour la mémoire
celle des documents des monuments
plus encore celle de l'épopée
à l'ambulance alpine numéro
1 des suites d'une maladie comme
le dit le bulletin de son décès
contractée en service
et c'est ainsi
que s'achève sa vie et que commence
sa mort nouvelle vie dans la pensée
qui par-delà les temps souillés des hommes
célèbre à tout jamais luce joseph
et avec lui tous ceux qui comme lui
ont été pour toujours de fiers sisyphes
Aimer, c'est l'innocence éternelle,
et l'unique innocence est de ne pas penser.
![](/couv/cvt_Voix-Eclatees_8895.jpg)
JOSEPH LUCE, SISYPHE SYNTAXIER
Extrait 3
et le voilà sisyphe syntaxier
tentant avec ses compagnons de lutte
de rassembler les mots humains réduits
en bribes dispersées et bégayées
et le voilà luce joseph sisyphe
venu d'aiglun remuer les montagnes
dans le sud-est de la serbie brisée
venu des montagnes d'aiglun
jusqu'aux montagnes balkaniques se charger
d'innommables fardeaux à transporter
sous le tonnerre pétrifiant de la
tempête guerrière
et le voilà luce
joseph venu des clues de l'estéron
jusqu'aux défilés et aux cols des monts
midzar dans le massif de la stara
planina région de la timocka
région frontière nommée
ainsi à partir du nom de son fleuve
le timok qu'autrefois on appelait
aux temps anciens de l'empire romain
timacus
d'où le nom de la cité
située au confluent exact de
deux rivières qui forment dès lors un
seul timok ou timacus timacum
majus aux temps anciens de cet empire
dont timacum majus était un fief
à l'instar de vindobona leptis
magna augusta praetoria glanum
campona aquincum arrabona
samarobriva aquiladunum
…
Tristan Cabral, le tumulte insolent
Il n’a vécu que par pure insolence,
solaire au plein milieu de tout le mal
(il dit ne vouloir rien abandonner
du mal). Il porte des fusils plus lourds
que les épaules, portefaix patient
d’un crime qui revient quand la vision
d’un corps de mère excisé sous les arbres
active en lui les tourbillons violents
d’une enfance où les mots et les noms fuient
devant les transgressions inaugurales.
Il est au fond de lui un musicien
dont le haut bataclan est la clameur
de mille bataillons d’oiseaux aveugles
chantant envers et contre tout. Plantant
sa voix sur chaque sommet de colline
comme un vivant dressé au Golgotha,
il hurle : « Couchez-moi dans les bras d’un
enfant, car j’ai besoin de naître après
chaque massacre ! » Il parle de la chair
torturée, déchirée, déchiquetée,
brûlée, de chaque peuple assassiné.
De chaque peuple il dit la destinée.
Chant Premier (Chants des chants, I)
HISSA HILAL ET LE CHAOS
(ballade) /C
D’une émancipation en profondeur
Pour elle, bien sûr, mais aussi pour d’autres :
La liberté d’une seule n’est rien.
Ainsi « toutes pour une, une pour toutes »,
Voilà, par -delà le bien et le mal,
La devise implicite de son cœur
Qu’elle a su insuffler au nôtre, au vôtre,
Selon le flux d’un cosmos aérien
Configurant tout le chaos en voûtes,
Boutures aubinées d’Hissa Hilal.
Princes barbus qui en prenez ombrage,
Prêchi-prêcheurs au vice proverbial,
Tartuffes de tout bord, de toute rage,
Cette vague portant Hissa Hilal,
Vous ne la stoppez pas de vos barrages.
Chant Premier (Chants des chants, I)
HISSA HILAL ET LE CHAOS
(ballade) /A
C’est, en dactyles, voilée qu’elle chante
Car son visage est menacé de mort,
Oui, elle chante en dactyles soignés,
Et le chaos de toutes les fatwas
Qui gueulent assoiffées de mort violente
Est pour son chant un plomb pesant que l’or
De sa parole vient exorciser :
Dans la seule vague elle fait sa joie.
Telle est la destinée d’Hissa Hilal :
Contre toute oppression, ouvrir un bal.
…