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Citation de Partemps


— J’ai bien peur…

— Vous désespérez de l’espoir ?

— Je crains. Je crains, — parce que j’ai remarqué, (ou cru remarquer) que les faits les plus simples, les plus fréquents, les plus anciennement observés et dénommés, sont aussi les plus négligés par les auteurs. Ne croyez-vous pas que la préoccupation pathologique, qui domine presque nécessairement les recherches ne soit une cause…

— De déformation ?

— Je n’osais le dire… Et de lacunes… Et même de travail inutile… mal orienté…

— Mais, mon cher, c’est possible. Mais remarquez qu’il n’y aurait guère de recherches sans cette préoccupation. Et puis, que de clartés donne la pathologie !… La vie, encore possible dans une condition plus ou moins altérée, diminuée, précaire ; la lutte ; les suppléances, les réactions… tout cela est aussi suggestif que, — mettons, — les déplacements de l’équilibre dans un système physico-chimique… Et je ne parle pas des vérifications de diagnostic, les nécropsies…


— Oui. Oportet haereses esse. Il faut qu’il y ait des anormaux, et des malades. Mais je vous avoue ne pouvoir me défaire de l’impression que je vous disais.

— Allez-y.

— J’ose avoir l’impression que la physiologie ne tient pas la place qu’elle devrait tenir.

— Comment ? Mais l’on fait des travaux magnifiques…

— Dans les études…

— Je concède que l’on n’en fait peut-être pas assez… Mais où prendre le temps ? Nous vivons dans une époque dure. Il faut acquérir au plus tôt les connaissances utilisables, convertibles en deniers…

— Je ne parle pas seulement des praticiens. Et d’ailleurs, je parle en profane… D’où vient mon impression ?… C’est que je n’ai trouvé nulle part, — je veux dire dans aucun livre qui me soit tombé sous les yeux, — trace d’une… tendance, d’une intention de se faire de l’être vivant une présentation d’ensemble… En somme, une idée du fonctionnement d’ensemble… Je trouve de grandes fonctions merveilleusement décrites, mais, point de tentatives de synthèse… C’est un peu comme si les physiciens s’en étaient tenus à étudier séparément optique, mécanique, chaleur, chimie… Ils ont cherché des relations. Croyez-vous, qu’un organisme soit moins… unifié qu’un univers ?

— Mon cher, vous demandez la lune…

— Je sais ! C’est ma fonction… Je vais un peu plus loin. J’ai idée, peut-être fausse que la physiologie du XVIIème siècle était moins… particulariste que la nôtre…

— Mais ils faisaient de la métaphysique…

— Plutôt de la « Méchanique »… Barthez…

— Métaphysique, métaphysique…

— Attendez. Je demande la parole pour un fait personnel. Ce fait illustrera ma modeste thèse beaucoup mieux que tous les arguments. J’ai demandé dix fois, vingt fois,… à dix, vingt médecins, — des neurologistes, s’il vous plaît, — s’il existait une table systématique des réflexes connus.

— Je n’en connais pas.

— Ah !

— Mais on trouve tout cela dans les traités de physiologie et de pathologie dans les mémoires… etc… Voyez, Babinski, Foix, Froment…

— Trouvez-vous “scientifique”, cette lacune ?… Je vous pose la question en toute ingénuité, — ce qui veut dire, que pensant… ingénuement, — à un être vivant fonctionnant ; — observant que ce fonctionnement se décompose en modifications, dont les plus apparentes sont du type réflexe, je me suis dit bien des fois que si je faisais mon étude, ma spécialité, de l’étude des vivants, je voudrais posséder cette table, la méditer, essayer de suivre sur mes sujets les effets de combinaisons, de conflits, etc… de ces actes élémentaires si remarquables… C’est une mécanique toute particulière où les questions de temps jouent un rôle essentiel… Où voyez-vous de la métaphysique là-dedans ?

— Dans vos yeux. Monsieur l’Amateur de Réflexes !… Vous lancez des éclairs de sainte fureur… Vous réagissez violemment à l’idée de l’absence de la Table… dont je ne vois pas que l’extrême urgence s’impose.

— Attendez. Maintenant je vous prends à partie. En personne. Autre idée.

— Gare dessous !…

— La Thérapeutique passe pour changeante.

— Je l’ai entendu dire.

— Ce qui guérit en 1880 nuit en 1890.

— Oui. Il y a une période de dix ans, environ. Question de mode, je le veux bien. Question de progrès, surtout.

— Mais s’il y avait aussi autre chose ?

— Et quoi donc ?

— Un changement intime…

— De quoi ?

— De l’homme ? — Un changement des… goûts de nos cellules, et donc de leurs réactions ?

— Mon bon Robinson, vous ne vous refusez rien.

— C’est l’immense et inexpugnable privilège de l’ignorance… Je me permets tous les essais.

— Et je vous sers de cobaye.

— Ma foi, chacun son tour… Eh bien. Docteur, savez-vous ce qu’il faut que vous fassiez ?… Je vous garantis la gloire.

— Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de la gloire ?

— De l’euphorie !

— On voit que vous ne savez pas ce que c’est. Moi, j’ai soigné quelques glorieux… Il faut toujours les « remonter » !…

— Écoutez, écoutez… Existe-t-il une Histoire de la Thérapeutique ?

— Vous réclamez encore un livre ?… Je ne crois pas.

— Faites-là.

— Moi ?… Ah non ; par exemple !

— Vous pourriez la borner au XIXème et à ce que nous avons vécu du XXème siècle…

— Mais vous n’avez aucune idée du travail que…

— Je vous jure qu’il en sortira quelque chose…

— Non, Monsieur, non et non. Pourquoi voulez-vous que je fasse ce à quoi je n’ai jamais songé ? Je suis Médecin. Médecine générale. J’exerce, et voilà tout !… Pas de théorie. Pas d’écritures. J’ai bien assez de mes malades.

— Et le mal de l’activité ? Et l’article de l’ « Encéphale » ?

— C’est moins vaste. D’ailleurs, je vous redis : je n’ai jamais songé à faire des livres…

— Moi non plus… Et pourtant…

— Ce n’est pas mon affaire, pas dans ma ligne…

— C’est dans votre implexe. Docteur… Prétendez-vous vous prévoir jusqu’à l’an prochain ? Ce que je vous dis là va travailler en vous…

— Dans le Sub ?… Je suis bien tranquille.

— Moi aussi. Je sais trop que nous ignorons le sort des choses que nous entendons ? Il n’est pas impossible… Il est probable que tout nous modifie et qu’il n’est pas d’incident même inaperçu qui ne puisse germer, et produire un beau jour dans notre cervelle un effet qui nous surprenne et dont nous ne puissions concevoir ni identifier l’origine.

— C’est l’ex-théorie de l’imprégnation. Une blanche épouse un nègre ; l’enterre ; se remarie à un blanc, qui la rend mère d’une ribambelle de négrillons… Stupeur !…

— Voilà une excellente image du « spontané »… Donc, prenez garde… Vous allez couver sans le savoir…

— Oh ! Oh !… C’est un peu fort !… Voilà que vous essayez de me suggestionner…

— A moi la pose !… C’est le combat de l’amateur contre le professionnel. C’est une vieille histoire… C’est le grand combat des magiciens…

— Quel combat ? Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire de magiciens ?

— Vous ne vous souvenez pas ?… Ce conte arabe…

— Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

— C’est un conte fort beau… Mais j’y songe… Il me semble bien qu’il y a un analogue dans la Bible. C’est peut-être une variante ou une dégénérescence du thème ?

— La Bible… Ma foi, je n’y suis pas… D’ailleurs, entre nous, je ne l’ai peut-être jamais lue…

— C’est assez curieux. L’ensemble est bizarre… Mais il y a de beaux endroits.

— Et alors ?

— Il y avait un Pharaon. Il avait un collège de magiciens attachés à sa personne.

— Pauvre homme…

— Survient Moïse.

— Je l’admets. Si rien ne survenait, il n’y aurait pas d’histoire.

— Très juste. On pourrait en faire une théorie du roman…

— Parfaitement inutile. Voyons Moïse.

— Moïse survenu émerveille le Roi par divers prodiges… Il change l’eau en sang, tue les poissons à distance…

— Ce n’est pas mal… C’est la guerre de demain !

— Les sorciers sont piqués au jeu…

— Ils sont jaloux, parbleu !… C’est régulier. Ce sont les officiels, en somme ?

— C’est cela…

— L’histoire doit être vraie.

— Alors le Pharaon ouvre un concours…

— Il a osé ?… Contre ces gros messieurs ?

— Il paraît… C’était un concours de parasites.

— C’est bien ce que je pensais. C’était à qui vivrait aux dépens du brave Pharaon.

— Mais non… Il s’agit de parasites ès qualités… Des parasites… au propre, si j’ose dire. Des grenouilles, des sauterelles…

— Mais ce ne sont pas des parasites…

— Des moustiques…

— Fichtre !… Anophèles !… Pharaon était paralytique général… C’est clair.

— Moïse, de son côté, faisait de son mieux. Il prodiguait les maux et les catastrophes.

— C’était un vrai homme d’État… Et il a gagné ?…

— Mais ce n’est pas cette histoire là que je voulais vous raconter. C’était le conte arabe, que je trouve plus approprié…

— Vous en savez, des choses cocasses !…

— C’est professionnel… Dans le conte arabe, c’est d’un duel de magiciens qu’il est aussi question. C’est à qui dévorera l’autre.

— Je vois cela. C’est de la concurrence vitale. La Biologie en raccourci.

— Et la Littérature !…

— Et tout !
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