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Citation de Partemps


EUPALINOS

Phèdre

Il est bien vrai que certains âges de l’homme sont comme des croisements de routes.

Socrate
L’adolescence est singulièrement située au milieu des chemins… Un jour de mes beaux jours, mon cher Phèdre, j’ai connu une étrange hésitation entre mes âmes. Le hasard, dans mes mains, vint placer l’objet du monde le plus ambigu. Et les réflexions infinies qu’il me fit faire, pouvaient aussi bien me conduire à ce philosophe que je fus, qu’à l’artiste que je n’ai pas été…

Phèdre
C’est un objet qui t’a sollicité si diversement ?

Socrate
Oui. Un pauvre objet, une certaine chose que j’ai trouvée, en me promenant. Elle fut l’origine d’une pensée qui se divisait d’elle-même entre le construire et le connaître.

Phèdre
Merveilleux objet ! Objet comparable à ce coffret de Pandore où tous les biens et tous les maux étaient ensemble contenus !… Fais-moi voir cet objet, comme le grand Homère nous fait admirer le bouclier du fils de Pélée !
Socrate
Tu penses bien qu’il est indescriptible… Son importance est inséparable de l’embarras qu’il me causa.

Phèdre
Explique-toi plus abondamment.

Socrate

Eh bien, Phèdre, voici ce qu’il en fut : je marchais sur le bord même de la mer, je suivais une plage sans fin… Ce n’est pas un rêve que je te raconte. J’allais je ne sais où, trop plein de vie, à demi enivré par ma jeunesse. L’air, délicieusement rude et pur, pesant sur mon visage et sur mes membres, m’opposait un héros impalpable qu’il fallait vaincre pour avancer. Et cette résistance toujours repoussée faisait de moi-même, à chaque pas, un héros imaginaire, victorieux du vent, et riche de forces toujours renaissantes, toujours égales à la puissance de l’invisible adversaire… C’est là précisément la jeunesse. Je foulais fortement le bord sinueux, durci et rebattu par le flot. Toutes choses, autour de moi, étaient simples et pures : le ciel, le sable, l’eau. Je regardais venir du large ces grandes formes qui semblent courir depuis les rives de Libye, transportant leurs sommets étincelants, leurs creuses vallées, leur implacable énergie, de l’Afrique jusqu’à l’Attique, sur l’immense étendue liquide. Elles trouvent enfin leur obstacle, et le socle même de l’Hellas ; elles se rompent sur cette base sous-marine ; elles reculent en désordre vers l’origine de leur durée. Les vagues, à ce point, détruites et confondues, mais ressaisies par celles qui les suivent, on dirait que les figures de l’onde se combattent. Les gouttes innombrables brisent leurs chaînes, une poudre étincelante s’élève. On voit de blancs cavaliers sauter par-delà eux-mêmes, et tous ces envoyés de la mer inépuisable périr et reparaître, avec un tumulte monotone, sur une pente molle et presque imperceptible, que tout leur emportement, quoique venu de l’extrême horizon, jamais toutefois ne saurait gravir… Ici, l’écume, jetée au plus loin par le flot le plus haut, forme des tas jaunâtres et irisés qui crèvent au soleil, ou que le vent chasse et disperse, le plus drôlement du monde, comme bêtes épouvantées par le bond brusque de la mer. Mais moi, je jouissais de l’écume naissante et vierge… Elle est d’une douceur étrange, au contact. C’est un lait tout tiède, et aéré, qui vient avec une violence voluptueuse, inonde les pieds nus, les abreuve, les dépasse, et redescend sur eux, en gémissant d’une voix qui abandonne le rivage et se retire en elle-même ; cependant que l’humaine statue, présente et vivante, s’enfonce un peu plus dans le sable qui l’entraîne ; et cependant que l’âme s’abandonne à cette musique si puissante et si fine, s’apaise, et la suit éternellement.

Phèdre
Tu me fais revivre. Ô langage chargé de sel, et paroles véritablement marines !
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