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Franck Salaün (Autre)
EAN : 9782743663766
120 pages
Payot et Rivages (12/06/2024)
5/5   1 notes
Résumé :
La mer obsède Valéry. Il aime nager, observer les vagues, l'écume, que l'on retrouve dans ses textes. Il pense aussi à partir de ce qu'elle rend possible - pêche, commerce, voyages, échanges et mélanges - et de ce qu'elle suggère. Ainsi la Méditerranée lui fournit-elle des images poétiques et un modèle politique. La mer, c'est-à-dire aussi l'élément liquide, à partir duquel il devient envisageable d'approcher le phénomène de la pensée. Les textes réunis dans ce vol... >Voir plus
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LE CIMETIÈRE MARIN

Μή, φίλα ψυχά, βίον ἀθάνατον σπεῦδε, τὰν δ’ ἔμπρακτον ἄντλεῖ μαχανάν.
Pindare, Pythiques, III.

Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !

Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d’imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l’abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d’une éternelle cause,
Le Temps scintille et le Songe est savoir.

Stable trésor, temple simple à Minerve,
Masse de calme, et visible réserve,

Eau sourcilleuse, Œil qui gardes en toi
Tant de sommeil sous un voile de flamme,
Ô mon silence !… Édifice dans l’âme,
Mais comble d’or aux mille tuiles, Toit !

Temple du Temps, qu’un seul soupir résume,
À ce point pur je monte et m’accoutume,
Tout entouré de mon regard marin ;
Et comme aux dieux mon offrande suprême,
La scintillation sereine sème
Sur l’altitude un dédain souverain.

Comme le fruit se fond en jouissance,
Comme en délice il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt,
Je hume ici ma future fumée,
Et le ciel chante à l’âme consumée
Le changement des rives en rumeur.

Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change !
Après tant d’orgueil, après tant d’étrange
Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
Je m’abandonne à ce brillant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m’apprivoise à son frêle mouvoir.


L’âme exposée aux torches du solstice,
Je te soutiens, admirable justice
De la lumière aux armes sans pitié !
Je te rends pure à ta place première :
Regarde-toi !… Mais rendre la lumière
Suppose d’ombre une morne moitié.

Ô pour moi seul, à moi seul, en moi-même,
Auprès d’un cœur, aux sources du poème,
Entre le vide et l’événement pur,
J’attends l’écho de ma grandeur interne,
Amère, sombre, et sonore citerne,
Sonnant dans l’âme un creux toujours futur !

Sais-tu, fausse captive des feuillages,
Golfe mangeur de ces maigres grillages,
Sur mes yeux clos, secrets éblouissants,
Quel corps me traîne à sa fin paresseuse,
Quel front l’attire à cette terre osseuse ?
Une étincelle y pense à mes absents.

Fermé, sacré, plein d’un feu sans matière,
Fragment terrestre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d’or, de pierre et d’arbres sombres,

Où tant de marbre est tremblant sur tant d’ombres ;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux !

Chienne splendide, écarte l’idolâtre !
Quand, solitaire au sourire de pâtre,
Je pais longtemps, moutons mystérieux,
Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,
Éloignes-en les prudentes colombes,
Les songes vains, les anges curieux !

Ici venu, l’avenir est paresse.
L’insecte net gratte la sécheresse ;
Tout est brûlé, défait, reçu dans l’air
À je ne sais quelle sévère essence…
La vie est vaste, étant ivre d’absence,
Et l’amertume est douce, et l’esprit clair.

Les morts cachés sont bien dans cette terre
Qui les réchauffe et sèche leur mystère.
Midi là-haut, Midi sans mouvement
En soi se pense et convient à soi-même…
Tête complète et parfait diadème,
Je suis en toi le secret changement.

Tu n’as que moi pour contenir tes craintes !

Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes
Sont le défaut de ton grand diamant…
Mais dans leur nuit toute lourde de marbres,
Un peuple vague aux racines des arbres
A pris déjà ton parti lentement.

Ils ont fondu dans une absence épaisse,
L’argile rouge a bu la blanche espèce,
Le don de vivre a passé dans les fleurs !
Où sont des morts les phrases familières,
L’art personnel, les âmes singulières ?
La larve file où se formaient des pleurs.

Les cris aigus des filles chatouillées,
Les yeux, les dents, les paupières mouillées,
Le sein charmant qui joue avec le feu,
Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,
Les derniers dons, les doigts qui les défendent,
Tout va sous terre et rentre dans le jeu !

Et vous, grande âme, espérez-vous un songe
Qui n’aura plus ces couleurs de mensonge
Qu’aux yeux de chair l’onde et l’or font ici ?
Chanterez-vous quand serez vaporeuse ?
Allez ! Tout fuit ! Ma présence est poreuse,

La sainte impatience meurt aussi !

Maigre immortalité noire et dorée,
Consolatrice affreusement laurée,
Qui de la mort fait un sein maternel,
Le beau mensonge et la pieuse ruse !
Qui ne connaît, et qui ne les refuse,
Ce crâne vide et ce rire éternel !

Pères profonds, têtes inhabitées,
Qui sous le poids de tant de pelletées,
Êtes la terre et confondez nos pas,
Le vrai rongeur, le ver irréfutable
N’est point pour vous qui dormez sous la table,
Il vit de vie, il ne me quitte pas !

Amour, peut-être, ou de moi-même haine ?
Sa dent secrète est de moi si prochaine
Que tous les noms lui peuvent convenir !
Qu’importe ! Il voit, il veut, il songe, il touche !
Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,
À ce vivant je vis d’appartenir !

Zénon ! Cruel Zénon ! Zénon d’Élée !
M’as-tu percé de cette flèche ailée

Qui vibre, vole, et qui ne vole pas !
Le son m’enfante et la flèche me tue !
Ah ! le soleil… Quelle ombre de tortue
Pour l’âme, Achille immobile à grands pas !

Non, non !… Debout ! Dans l’ère successive !
Brisez, mon corps, cette forme pensive !
Buvez, mon sein, la naissance du vent !
Une fraîcheur, de la mer exhalée,
Me rend mon âme… Ô puissance salée !
Courons à l’onde en rejaillir vivant !

Oui ! Grande mer de délires douée,
Peau de panthère et chlamyde trouée
De mille et mille idoles du soleil,
Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
Qui te remords l’étincelante queue
Dans un tumulte au silence pareil,

Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs !
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs !
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EUPALINOS

Phèdre

Il est bien vrai que certains âges de l’homme sont comme des croisements de routes.

Socrate
L’adolescence est singulièrement située au milieu des chemins… Un jour de mes beaux jours, mon cher Phèdre, j’ai connu une étrange hésitation entre mes âmes. Le hasard, dans mes mains, vint placer l’objet du monde le plus ambigu. Et les réflexions infinies qu’il me fit faire, pouvaient aussi bien me conduire à ce philosophe que je fus, qu’à l’artiste que je n’ai pas été…

Phèdre
C’est un objet qui t’a sollicité si diversement ?

Socrate
Oui. Un pauvre objet, une certaine chose que j’ai trouvée, en me promenant. Elle fut l’origine d’une pensée qui se divisait d’elle-même entre le construire et le connaître.

Phèdre
Merveilleux objet ! Objet comparable à ce coffret de Pandore où tous les biens et tous les maux étaient ensemble contenus !… Fais-moi voir cet objet, comme le grand Homère nous fait admirer le bouclier du fils de Pélée !
Socrate
Tu penses bien qu’il est indescriptible… Son importance est inséparable de l’embarras qu’il me causa.

Phèdre
Explique-toi plus abondamment.

Socrate

Eh bien, Phèdre, voici ce qu’il en fut : je marchais sur le bord même de la mer, je suivais une plage sans fin… Ce n’est pas un rêve que je te raconte. J’allais je ne sais où, trop plein de vie, à demi enivré par ma jeunesse. L’air, délicieusement rude et pur, pesant sur mon visage et sur mes membres, m’opposait un héros impalpable qu’il fallait vaincre pour avancer. Et cette résistance toujours repoussée faisait de moi-même, à chaque pas, un héros imaginaire, victorieux du vent, et riche de forces toujours renaissantes, toujours égales à la puissance de l’invisible adversaire… C’est là précisément la jeunesse. Je foulais fortement le bord sinueux, durci et rebattu par le flot. Toutes choses, autour de moi, étaient simples et pures : le ciel, le sable, l’eau. Je regardais venir du large ces grandes formes qui semblent courir depuis les rives de Libye, transportant leurs sommets étincelants, leurs creuses vallées, leur implacable énergie, de l’Afrique jusqu’à l’Attique, sur l’immense étendue liquide. Elles trouvent enfin leur obstacle, et le socle même de l’Hellas ; elles se rompent sur cette base sous-marine ; elles reculent en désordre vers l’origine de leur durée. Les vagues, à ce point, détruites et confondues, mais ressaisies par celles qui les suivent, on dirait que les figures de l’onde se combattent. Les gouttes innombrables brisent leurs chaînes, une poudre étincelante s’élève. On voit de blancs cavaliers sauter par-delà eux-mêmes, et tous ces envoyés de la mer inépuisable périr et reparaître, avec un tumulte monotone, sur une pente molle et presque imperceptible, que tout leur emportement, quoique venu de l’extrême horizon, jamais toutefois ne saurait gravir… Ici, l’écume, jetée au plus loin par le flot le plus haut, forme des tas jaunâtres et irisés qui crèvent au soleil, ou que le vent chasse et disperse, le plus drôlement du monde, comme bêtes épouvantées par le bond brusque de la mer. Mais moi, je jouissais de l’écume naissante et vierge… Elle est d’une douceur étrange, au contact. C’est un lait tout tiède, et aéré, qui vient avec une violence voluptueuse, inonde les pieds nus, les abreuve, les dépasse, et redescend sur eux, en gémissant d’une voix qui abandonne le rivage et se retire en elle-même ; cependant que l’humaine statue, présente et vivante, s’enfonce un peu plus dans le sable qui l’entraîne ; et cependant que l’âme s’abandonne à cette musique si puissante et si fine, s’apaise, et la suit éternellement.

Phèdre
Tu me fais revivre. Ô langage chargé de sel, et paroles véritablement marines !
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Phèdre
Nous sommes bien toujours sur le rivage de la mer ?

Socrate
Nécessairement. Cette frontière de Neptune et de la Terre, toujours disputée par les divinités rivales, est le lieu du commerce le plus funèbre, le plus incessant. Ce que rejette la mer, ce que la terre ne sait pas retenir, les épaves énigmatiques ; les membres affreux des navires disloqués, aussi noirs que le charbon, et tels que si les eaux salées les avaient brûlés ; les charognes horriblement becquetées, et toutes lissées par les flots ; les herbages élastiques arrachés par les tempêtes aux pâtis transparents des troupeaux de Protée ; les monstres dégonflés, aux couleurs froides et mourantes ; toutes les choses enfin que la fortune livre aux fureurs littorales, et au litige sans issue de l’onde avec le rivage, sont là portées et déportées ; élevées, rabaissées ; prises, perdues, reprises selon l’heure et le jour ; tristes témoins de l’indifférence des destinées, ignobles trésors, et les jouets d’un échange perpétuel comme il est stationnaire…

Phèdre
Et c’est là que tu as trouvé ?

Socrate
Là même. J’ai trouvé une de ces choses rejetées par la mer ; une chose blanche, et de la plus pure blancheur ; polie, et dure, et douce, et légère. Elle brillait au soleil, sur le sable léché, qui est sombre, et semé d’étincelles. Je la pris ; je soufflai sur elle ; je la frottai sur mon manteau, et sa forme singulière arrêta toutes mes autres pensées. Qui t’a faite ? pensai-je. Tu ne ressembles à rien, et pourtant tu n’es pas informe. Es-tu le jeu de la nature, ô privée de nom, et arrivée à moi, de par les dieux, au milieu des immondices que la mer a répudiées cette nuit ?

Phèdre
De quelle grandeur était cet objet ?

Socrate
Gros à peu près comme mon poing.
Phèdre
Et de quelle matière ?

Socrate
De la même matière que sa forme : matière à doutes. C’était peut-être un ossement de poisson bizarrement usé par le frottement du sable fin sous les eaux ? Ou de l’ivoire taillé pour je ne sais quel usage, par un artisan d’au delà les mers ? Qui sait ?… Divinité, peut-être, périe avec le même vaisseau qu’elle était faite pour préserver de sa perte ? Mais qui donc était l’auteur de ceci ? Fut-ce le mortel obéissant à une idée, qui, de ses propres mains poursuivant un but étranger à la matière qu’il attaque, gratte, retranche, ou rejoint ; s’arrête et juge ; et se sépare enfin de son ouvrage, — quelque chose lui disant que l’ouvrage est achevé ?… Ou bien, n’était-ce pas l’œuvre d’un corps vivant, qui, sans le savoir, travaille de sa propre substance, et se forme aveuglément ses organes et ses armures, sa coque, ses os, ses défenses ; faisant participer sa nourriture, puisée autour de lui, à la construction mystérieuse qui lui assure quelque durée ?

Mais, peut-être, ce n’était que le fruit d’un temps infini… Moyennant l’éternel travail des ondes marines, le fragment d’une roche, à force d’être roulé et heurté de toutes parts, si la roche est d’une matière inégalement dure, et ne risque à la longue de s’arrondir, peut bien prendre quelque apparence remarquable. Il n’est pas entièrement impossible, un morceau de marbre ou de pierre tout informe étant confié à l’agitation permanente des eaux, qu’il en soit retiré quelque jour, par un hasard d’une autre espèce, et qu’il affecte maintenant la ressemblance d’Apollon. Je veux dire que le pêcheur qui a quelque idée de cette face divine, le reconnaîtra sur ce marbre tiré des eaux ; mais quant à la chose elle-même, le visage sacré lui est une forme passagère d’entre la famille des formes que l’action des mers lui doit imposer. Les siècles ne coûtant rien, qui en dispose, change ce qu’il veut en ce qu’il veut.
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Phèdre
Il imaginait passionnément les natures des vents et des eaux, la mobilité et la résistance de ces fluides. Il méditait la génération des tempêtes et des calmes ; la circulation des courants tièdes, et de ces fleuves immiscibles, qui coulent, mystérieusement purs, entre des murailles sombres d’eau salée ; il considérait les caprices et les repentirs des brises, les incertitudes des fonds et des passes, et des traîtres estuaires…

Socrate
Par Dieu ! Comment de tout ceci faisait-il un navire ?

Phèdre
Il croyait qu’un navire doit être, en quelque sorte, créé par la connaissance de la mer, et presque façonné par l’onde même !… Mais cette connaissance consiste, à la vérité, à remplacer la mer, dans nos raisonnements, par les actions qu’elle exerce sur un corps, — tellement qu’il s’agisse pour nous de trouver les autres actions qui s’opposent à celles-ci, et que nous n’ayons plus affaire qu’à un équilibre de pouvoirs, les uns et les autres empruntés à la nature, où ils ne se combattaient pas utilement. Mais nos pouvoirs, en cette matière, se réduisent à disposer de formes et de forces. Tridon me disait qu’il imaginait son vaisseau suspendu au bras d’une grande balance, dont l’autre bras supportait une masse d’eau… — Mais je ne sais trop ce qu’il entendait par là… Mais encore, la mer agitée ne se contente pas de cet équilibre. Tout se complique avec le mouvement. Il cherchait donc quelle soit la forme d’une coque, dont la carène demeure à peu près la même, que le navire roule d’un bord à l’autre, — ou qu’il danse, d’autre façon, autour de quelque centre… Il traçait d’étranges figures qui lui rendaient visibles, à lui, les secrètes propriétés de son flotteur ; mais, moi, je n’y reconnaissais rien d’un navire.

Et d’autres fois, il étudiait la marche et les allures ; espérant et désespérant d’imiter la perfection des poissons les plus rapides. Ceux qui nagent facilement en surface, et se jouent dans l’écume entre deux plongées, l’intéressaient entre tous. Il parlait, avec l’abondance d’un poète, des thons et des marsouins, au milieu des bonds et des libertés desquels il avait si longtemps vécu. Il chantait leurs grands corps polis comme des armes ; leurs museaux comme écrasés par la masse de l’eau opposées à leur marche ; leurs ailerons et leurs nageoires, rigides comme le fer, et coupants comme lui, mais sensibles à leurs pensées de poissons, et gouvernant vers leurs destins, selon leurs caprices ; et puis, leur maîtrises vivante au milieu des tempêtes ! On eût dit qu’il sentait par lui-même, leurs formes favorables conduire, de la tête vers la queue, par le chemin le plus rapide, les eaux qui se trouvent devant eux, et qu’il s’agit, pour avancer, de remettre derrière soi… C’est une chose admirable, ô Socrate, que d’une part, si nul obstacle n’empêche ta course, la course est tout à fait impossible ; tous les efforts que tu enfantes se détruisent l’un l’autre, et tu ne peux pousser d’un côté, sans te repousser de l’autre, avec une égale puissance. Mais, d’autre part, l’obstacle nécessaire étant réalisé, il travaille contre toi ; il boit tes fatigues, et te concède parcimonieusement l’espace dans le temps. C’est ici que le choix d’une forme est l’acte délicat de l’artiste : car c’est à la forme de prendre à l’obstacle ce qu’il lui faut pour avancer, mais de n’en prendre que ce qui empêche le moins le mobile.
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Mais quant à mon fils de la mer, enfant très curieux de la putain retentissante qui appelle éternellement les hommes, il s’était approprié et assimilé ce qui était le meilleur quant à lui-même. Issu d’aventures étonnantes, et de pêches véritablement miraculeuses ; pâli, noirci, doré successivement par les climats ; ayant observé de ses propres yeux les météores qui ne se rencontrent presque jamais ; rusé avec les poissons les plus subtils ; séduit les marchands les plus durs, embobiné les plus infidèles, et barguigné, çà et là, quant au salaire, — à donner, ou… à recevoir, — avec bien des aigres prostituées, — cet homme, le croirais-tu ? quand il revenait des périls, allait, se reprenant des plus basses débauches, s’entretenir avec les savants hommes, les sages et les doctes qu’il avait appris de révérer.

Socrate
Et où l’avait-il appris ?

Phèdre
Sur la mer. Là, quand tu es perdu loin des terres, le navire étant comme un aveugle abandonné sur le toit d’une maison, il arrive que le conseil donné par un de ces sages, te soit le signe du salut. Une parole de Pythagore, un précepte et un nombre qu’on retint de Thalès, si tout à coup quelque planète se découvre, et si le sang-froid ne t’a pas abandonné, te reconduisent à la vie.

Socrate
Mais, toi-même, où me conduis-tu ?

Phèdre
Je voulais te guider aux édifices de bois que bâtissait le Phénicien. Il fallait peindre l’homme, tout d’abord… Si tu l’avais vu, une seule fois, avec ses yeux bordés de rouge, et pareils aux fonds cuivrés de la mer brûlante sur lesquels se rencontre le poisson vert qui est dangereux à manger !… Mais nous parlions, cher Socrate, du mariage de la pratique avec la théorie. Je pensais te faire sentir à quel point les vicissitudes de sa vie, les leçons qu’elle lui avait vendues, celles qu’il avait prises des sages, se combinaient dans son esprit. Ce Phénicien audacieux ne cessait de considérer dans son âme le problème de la navigation. En soi-même, il agitait incessamment l’Océan. Qu’est-ce que l’homme peut opposer à cet univers inconstant, travaillé de loin par les astres, couru de houles et de montagnes transparentes, incertain sur ses bords, inconnu dans ses profondeurs ; origine de tout ce qui vit, mais tombe impénétrable aux mouvements de berceau, et recouverte de lumière ? — Son démon industrieux le poussait à vouloir faire les meilleurs vaisseaux qui eussent jamais entamé les ondes de leur tailloir. Et cependant que ses émules se bornaient à imiter les modèles en usage ; de copie en copie, continuaient de reconstruire la nef d’Ulysse, sinon même l’arche immémoriale de Jason, lui, Tridon le Sidonien, ne cessant d’approfondir les parties inexplorées de son art, brisant les assemblages d’idées pétrifiées, reprenant les choses à leur source…
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Vidéo de Paul Valéry
https://www.laprocure.com/product/1525906/chevaillier-louis-les-jeux-olympiques-de-litterature-paris-1924
Les Jeux olympiques de littérature Louis Chevaillier Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. » Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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