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Citation de Partemps


Phèdre
Il imaginait passionnément les natures des vents et des eaux, la mobilité et la résistance de ces fluides. Il méditait la génération des tempêtes et des calmes ; la circulation des courants tièdes, et de ces fleuves immiscibles, qui coulent, mystérieusement purs, entre des murailles sombres d’eau salée ; il considérait les caprices et les repentirs des brises, les incertitudes des fonds et des passes, et des traîtres estuaires…

Socrate
Par Dieu ! Comment de tout ceci faisait-il un navire ?

Phèdre
Il croyait qu’un navire doit être, en quelque sorte, créé par la connaissance de la mer, et presque façonné par l’onde même !… Mais cette connaissance consiste, à la vérité, à remplacer la mer, dans nos raisonnements, par les actions qu’elle exerce sur un corps, — tellement qu’il s’agisse pour nous de trouver les autres actions qui s’opposent à celles-ci, et que nous n’ayons plus affaire qu’à un équilibre de pouvoirs, les uns et les autres empruntés à la nature, où ils ne se combattaient pas utilement. Mais nos pouvoirs, en cette matière, se réduisent à disposer de formes et de forces. Tridon me disait qu’il imaginait son vaisseau suspendu au bras d’une grande balance, dont l’autre bras supportait une masse d’eau… — Mais je ne sais trop ce qu’il entendait par là… Mais encore, la mer agitée ne se contente pas de cet équilibre. Tout se complique avec le mouvement. Il cherchait donc quelle soit la forme d’une coque, dont la carène demeure à peu près la même, que le navire roule d’un bord à l’autre, — ou qu’il danse, d’autre façon, autour de quelque centre… Il traçait d’étranges figures qui lui rendaient visibles, à lui, les secrètes propriétés de son flotteur ; mais, moi, je n’y reconnaissais rien d’un navire.

Et d’autres fois, il étudiait la marche et les allures ; espérant et désespérant d’imiter la perfection des poissons les plus rapides. Ceux qui nagent facilement en surface, et se jouent dans l’écume entre deux plongées, l’intéressaient entre tous. Il parlait, avec l’abondance d’un poète, des thons et des marsouins, au milieu des bonds et des libertés desquels il avait si longtemps vécu. Il chantait leurs grands corps polis comme des armes ; leurs museaux comme écrasés par la masse de l’eau opposées à leur marche ; leurs ailerons et leurs nageoires, rigides comme le fer, et coupants comme lui, mais sensibles à leurs pensées de poissons, et gouvernant vers leurs destins, selon leurs caprices ; et puis, leur maîtrises vivante au milieu des tempêtes ! On eût dit qu’il sentait par lui-même, leurs formes favorables conduire, de la tête vers la queue, par le chemin le plus rapide, les eaux qui se trouvent devant eux, et qu’il s’agit, pour avancer, de remettre derrière soi… C’est une chose admirable, ô Socrate, que d’une part, si nul obstacle n’empêche ta course, la course est tout à fait impossible ; tous les efforts que tu enfantes se détruisent l’un l’autre, et tu ne peux pousser d’un côté, sans te repousser de l’autre, avec une égale puissance. Mais, d’autre part, l’obstacle nécessaire étant réalisé, il travaille contre toi ; il boit tes fatigues, et te concède parcimonieusement l’espace dans le temps. C’est ici que le choix d’une forme est l’acte délicat de l’artiste : car c’est à la forme de prendre à l’obstacle ce qu’il lui faut pour avancer, mais de n’en prendre que ce qui empêche le moins le mobile.
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