L’APPO, ça a évidemment été plus qu’une organisation d’organisations, qu’un mouvement de mouvements, comme on dit ici. Elle a transcendé tout ça. Le cauchemar des dirigeants : les habitants d’Oaxaca ont, en quelques mois, réussi à ébranler tous les projets d’un État. L’exploitation des mines a été retardée, la distribution a été bloquée en même temps que les routes, l’économie touristique a perdu des milliards, les chantiers de méga-construction ont été dévalisés, le processus de gentrification du centre-ville a été stoppé suite à la prise de contrôle de la ville par le peuple. Les trois pouvoirs qui permettent à un État de gouverner (législatif, exécutif et judiciaire) et les deux qui lui permettent de se maintenir (économique et médiatique), ont été bloqués avant d’être récupérés et utilisés par ceux qui se réunissaient derrière l’APPO. Le socle doré sur lequel repose le pouvoir du PRI s’est délité et les polices de l’État n’ont pas réussi à venir à bout de ce soulèvement populaire qui s’installait. Il a fallu, pour l’éteindre, vingt-six morts comptabilisés et quelques autres oubliés. Il a fallu aller chercher dans les bonnes vieilles méthodes françaises de guerre contre-révolutionnaire appliquées dans les colonies, exportées aux États-Unis, et finalement enseignées à toutes les armées du monde. Et ça a marché. La « menace » a été neutralisée, les grands travaux ont repris en même temps que les transactions et la ville est sous surveillance permanente. L’ancien parti unique a, une nouvelle fois, quartier libre.
Avec ce livre, je ne veux pas attendrir les cœurs, mais bien raffermir les esprits. En racontant comment j’ai fait connaissance avec les protagonistes d’une lutte historique afin de vous restituer une partie de leurs paroles et de leurs travaux, j’ai voulu partager une expérience d’opposition au caciquisme mondial. Celui qui entrepose des patinoires dans toutes les capitales du monde, même à Mexico sous les 25°C de décembre, alors que l’accès à l’électricité y est restreint dans bon nombre de quartiers. Celui qui amplifie un symptôme grippal pour maintenir une « crise » permanente. Ça fonctionne : le Mexique a reçu une subvention de l’OMS et la France a relancé son industrie pharmaceutique. Celui-là même qui privatise, vend, achète, spécule : le vent de l’Isthme de Tehuantepec est redirigé vers l’Occident, tout comme les richesses du sol oaxaqueño ; la France distribue des caméras de surveillance pour le centre-ville de Mexico, où on fait bon usage de l’équipement policier européen pour expulser les habitants et planter des centres commerciaux à la mode de chez nous.
Communiquer va plus loin qu’informer ou transmettre des messages d’un émetteur à un récepteur. Le terme “communiquer” renvoie à celui de communauté et de construction de liens d’union. Il s’agit de dépasser le paradigme de l’information et du schéma vertical de l’échange social qu’il contient. […] Cette action, si rapide, montre qu’il existe une conscience de la nécessité d’avoir une voix, de se faire entendre, d’avoir un moyen de communication – au sens plein du mot communication – un moyen qui permette de construire un sens de “communauté” différent.
Parler de Sali, c’est parler de toutes les femmes – ou hommes – qui sont ou ont été victimes de la sensation de domination nécessaire, suffisante, brutale et étriquée qui envahit surtout la gent masculine. Parler de Sali, c’est rappeler que rien n’est joué. Parler de Sali, c’est une nouvelle fois inviter
à ne fermer ni les yeux, ni les oreilles, ni sa gueule, face à ces états de faits. Parler de Sali, c’est demander que le cours normal des choses ne revienne pas.
On est entrés dans les cellules, deux par deux. Je voudrais préciser que, là-bas, ils n’appellent pas ça des cellules, mais des séjours. Ça fait mieux. Tu n’es pas non plus prisonnier, tu es interné. De même, tu n’es pas en prison, mais dans un Centre fédéral de réadaptation sociale [Cereso]. J’étais donc interné dans le séjour n°1 du couloir A [rires].