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Citation de mandarine43


[Incipit.]

Un matin d'octobre 1984, à la une des journaux, on découvre le visage d'un enfant, quatre ans peut-être, une espièglerie dans le regard, des boucles brunes, une bouille ronde et souriante. Immanquable, le sourire. Les titres au-dessus de la photo sont sans équivoque : «Un crime abject», «L'horreur, «Le drame», des mots comme ceux-là, des mots lourds de sens, l'annonce d'un malheur. Et c'est saisissant, ce contraste, l'écart insupportable entre la jovialité de l'enfant et la dureté des mots.

Oui, un matin d'octobre 1984, la France se réveille avec la mort d'un enfant, avec un cadavre retrouvé ligoté le long des eaux glacées d'une rivière des Vosges. Le meurtrier a visiblement agi avec calme et sang-froid, sans brutalité superflue. Tout de suite, le prénom de l'enfant s'inscrit dans la mémoire collective : Grégory.
Il y subsiste.

Pendant longtemps, plus aucune mère n'ose appeler son fils Grégory. Il y a cela, d'un coup, et pour des années, la désaffection pour ce prénom, parce que la peur l'emporte, parce qu'il est nécessaire de conjurer le mauvais sort, parce que c'est trop lourd à porter, une telle identité. Elles doivent penser, les mères, que leurs fils seraient menacés, maudits. Elles trouvent d'autres prénoms.

Le visage aussi les hante. C'est celui d'un garçonnet ordinaire, du leur peut-être. Comme si tous les enfants, dans l'âge le plus jeune, avaient le même visage. Cette beauté fragile, cette insouciance terrible.

Elles apprennent qu'il existe une rivière, la Vologne, envahie de feuilles pourries par l'automne, cernée par des bois sombres et des brumes rasantes, au pied d'une montagne hostile. Qu'on y a jeté un enfant. Qu'on peut donc jeter des enfants dans les rivières.

Ça commence en lisière de cette interminable forêt sépulcrale, qui peut être belle quand vient l'arrière-saison, quand le jaune paille et le pourpre se mélangent, quand la nature décide de ressembler à une toile de Monet, quand la rivière a l'allure d'un torrent. Et qui peut paraître si menaçante, si inquiétante dès que le jour tombe et que des ombres transportent le corps inanimé d'un angelot.

En réalité, ça commence bien avant ce jour d'octobre 1984, bien avant le cadavre de l'enfant au fil de l'eau. Quand au juste ?
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