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Critiques de Philippe Cuisset (20)
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Miranda

Compromise malgré elle dans la guerre des cartels au Mexique, la prostituée Miranda n’a d’autre choix que de fuir pour tenter de sauver sa peau. Lancée sur les routes de son pays avec la peur aux trousses, parviendra-t-elle à passer inaperçue et à gagner l’état mexicain de Basse-Californie où l’attend, peut-être, une autre vie ?





Le récit nous plonge dans la vie misérable et sans espoir d’une de ces filles tombées dans les griffes d’un réseau de prostitution au Mexique. Son destin aurait pu peu à peu s’acheminer vers l’usure et la déchéance classiquement réservées à ses semblables, si un coup de théâtre n’était venu soudain anéantir jusqu’à cette pauvre et désolante perspective. Contrainte à une fuite précipitée, sans ressource ni appui si ce n’est la fidèle amie qui l’accompagne, Miranda devient du jour au lendemain l’une de ces innombrables ombres qui traversent furtivement le Mexique, poussées par une urgence vitale dans une odyssée de tous les dangers.





Au travers du destin de Miranda et de la narration toute en tension de sa trajectoire éperdue, se dessinent les silhouettes de tous les migrants, chassés de chez eux par un sort devenu intenable, et lancés à la dérive de courants aléatoires entrecoupés d’obstacles souvent infranchissables. C’est d’ailleurs une rencontre de l’auteur dans un camp de réfugiés en France, avec une femme tatouée de la Santa Muerte - cette déesse de la mort qui remonte à l’histoire ancienne du Mexique -, qui lui a inspiré ce roman. Imaginé avec la plus grande crédibilité, raconté avec une sensibilité pleine de tendresse et de pudeur, le personnage de Miranda prend des allures d’allégorie, fragile et touchante, universelle dans le malheur de son destin brisé par la folie et l’indifférence humaines : une âme à la dérive parmi tant d’autres, une vie de désespoir sans fin pourtant pétrie de dignité, face auxquelles l’auteur exprime sa triste et respectueuse impuissance.





Après Zacharie Blondel voleur de poules paru en 2018, j’ai retrouvé avec plaisir l’élégance et la tonalité douce-amère de la plume de Philippe Cuisset, assorties d’une tension dramatique lucide et désespérée. Ce livre coup de coeur est à découvrir sans hésiter.


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Des torrents de sang et d'argent

Que l’on évoque suprémacisme racial et eugénisme, déportation, travail forcé et camps de la mort, génocide, et vient aussitôt à l’esprit l’état allemand nazi dirigé par Adolph Hitler. Mais qui sait que des crimes tout à fait semblables avaient déjà été perpétrés par le Deuxième Reich, au nom de la colonisation allemande en Namibie ?





En 1904, les peuples herero et nama se révoltent contre l’envahisseur allemand qui les chasse de leurs terres. Le général Lothar von Trotha signe l’ordre de les exterminer et entame une répression féroce qui conduit au massacre. Les survivants sont enfermés dans des camps de concentration, d’ailleurs pas les premiers de l’Histoire, puisque les Allemands s’inspirent alors de ceux créés quelques années plus tôt par les Britanniques en Afrique du Sud, lors de la guerre des Boers. En quelques années, entre les exécutions, les mauvais traitements et l’épuisement, la malnutrition et la maladie, quatre-vingts pour cent des autochtones disparaissent dans des conditions innommables, pendant que des médecins entament d’atroces expériences sur l’hérédité, au nom de la théorie d’« hygiène raciale » que les nazis devaient plus tard reprendre à leur compte.





Déportée en 1908 au camp de Shark Island, Esther est envoyée sur le terrible chantier du chemin de fer qui doit faciliter l’exploitation du diamant de Namibie, dont on vient de découvrir les premiers échantillons. Pendant que ses semblables tombent comme des mouches le long des voies qui traverseront le désert, elle assiste aux dernières échauffourées de la guérilla où les autochtones jettent leurs ultimes forces, avec l’espoir d’un soutien de la part des autres puissances occidentales présentes dans les pays d’Afrique voisins. Parfaitement informées mais redoutant la contagion d’une rébellion au sein de leurs propres colonies, celles-ci se garderont d’intervenir.





Sobre et implacable, le récit peint en traits d’effroi ce qu’Esther perçoit de l’épouvantable agonie de son peuple. Assommé par l’horreur, le lecteur ressent son épuisement et sa colère, mais aussi un effarement aussi choqué que consterné. Non seulement l’aberration nazie avait des racines bien plus profondes que l’on ne se l’imagine habituellement, puisqu’elle s’est développée sur des théories et des pratiques déjà mises en œuvre en Afrique une poignée de décennies plus tôt, mais le monde occidental dans son entier, avant tout préoccupé de ses propres intérêts coloniaux, a fermé les yeux sur ce qu’il ne peut prétendre avoir alors ignoré de ce qu’il se passait en Namibie.





L’on achève cette lecture profondément perturbé par la citation d’Aimé Césaire qui la conclut. Le monde ne s’est battu contre Hitler que parce que celui-ci s’est attaqué à l’homme blanc, et non parce qu’il s’est rendu coupable de crimes contre l’humanité. Ces mêmes crimes, considérés avec indifférence lorsqu’ils décimaient des "Nègres d’Afrique", ne sont devenus insupportables que lorsque les théories racialistes qui les motivaient se sont retrouvées appliquées en Europe. Comment ne pas se sentir accablé, lorsqu’à ce jour encore, la Namibie doit se contenter de la simple reconnaissance, obtenue en 2004 seulement, de la responsabilité du gouvernement allemand dans le génocide Herero, à des années lumière de la condamnation du nazisme ?





Après le néo-esclavagisme colonial des bagnes français, après l’abandon par le monde de tant de migrants à la dérive, Philippe Cuisset a choisi pour son troisième roman une cause encore une fois particulièrement terrible et bouleversante, et, pour le coup, totalement méconnue. Une lecture édifiante, dont on sort ébranlé.


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Zacharie Blondel voleur de poules

Avez-vous déjà vu un registre de lever d'écrou ? Moi oui. Et l'on se rend compte qu'au XIXe siècle, l'on pouvait être emprisonné pour trois fois rien, deux fois zéro. Ainsi Zacharie Blondel. Une demi-douzaine de condamnation en une dizaine d'années. Pour des menus larcins : il est un "voleur de poules", pas un brigand de grand chemin. Veuf, il a trois enfants. Endetté, il a perdu sa ferme. Lors de son dernier procès, il est condamné à huit mois de prison - et à la relégation, c'est à dire à la déportation à l’île des Pins, en Nouvelle Calédonie. Oui, le rêve d'une république exemplaire n'est pas récent, disons que l'exemplarité a changé de sens. Au XIXe siècle, il s'agissait de vider les belles rues de tout ce qui pouvait faire tâche, de tout ce qui pouvait déranger, non de fermer les prisons en ouvrant les écoles, mais de déplacer le problème, et par la discipline, le travail, transformer ses hommes. Enfin, pas vraiment. Les mater, les tuer à la tache pour le développement de la colonie néo-calédonienne, faire le commerce de la chair (pas l'esclavage, rien à voir, le commandant du bateau vous le dira) et leur promettre, éventuellement, de devenir des colons libres, un jour. De revenir en France. A condition de pouvoir (se) payer le voyage de retour de quatre mois. Huit mois de voyage aller-retour pour une peine de huit mois - voilà ce que va subir Zacharie. Vous avez dit disproportion ?

Le livre est divisé en trois parties, comme les trois actes d'une tragédie. Comme dans une tragédie ordinaire, banale, quotidienne, Zacharie est impuissant à modifier son destin, d'autres ont décidé pour lui. Les recours, l'appel, rien à faire. Le voyage, qu'il faut terminer sans se rebeller et en bonne santé. Le travail au bagne - survivre sans blessure, en se rendant compte que ce que l'on fait ne sert à rien. La mort, au bout du chemin, parce que l'espoir est abandonné depuis longtemps, parce que survivre est impossible aussi.

Le livre est court, parce qu'il est sans précision inutile. Cela ne veut pas dire qu'il ne nous plonge pas, littéralement, dans les geôles des prisons, dans la puanteur du bateau, dans la flore calédonienne. La mort est là toujours, les morts sont dans les pensées, comme la femme de Zacharie, morte à 36 ans de tuberculose, ou ces morts dont il découvre les tombes en Nouvelle-Calédonie. Les annexes nous permettent de découvrir les documents d'époque, et participent à la sortie de l'oubli de ce simple voleur de poules - un parmi tant d'autres, à avoir été brisé par la justice.
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Miranda

Son " Zacharie Blondel, voleur de poule" m'avait déjà enthousiasmée. Avec " Miranda ", Philippe Cuisset confirme tout le bien que je pensais de son talent d'écrivain.

Il voit et raconte comme personne la dignité de ceux que nous ne regardons pas. Il écrit avec son coeur, avec ses tripes, les poings serrés, l'implacable destin de Miranda, qui, à bout de souffle, à bout de prières à la Santa Muerte, va s'embarquer dans un road-trip funeste, comme pour tenter une dernière fois sa chance sans trop y croire.

On sent à chaque page l'amour et le respect de l'auteur pour son héroïne. C'est beau. C'est fort. Je suis profondément touchée. Miranda ne me quittera plus jamais.

À découvrir de toute urgence.



#MIranda #PhilppeCuisset #Kyklos #Mexique #SantaMuerte #Gangs #livres #chroniques #lectures



Le quatrième de couverture :



Bien que Miranda soit essentiellement une héroïne de papier ou l’ombre indécise de quelques souvenirs vagues, je l’ai croisée au cours de l’automne 2017 à Reims sur un camp de réfugiés et de demandeurs d’asile.

Miranda n’est qu’une des innombrables figures de l’abandon qui s’échouent sur les plages, s’épuisent au pied de murs fraîchement érigés, disparaissent sur le fil ininterrompu de l’exil avant de mourir dans les mascarades savantes des études statistiques. M’est-elle apparue dès le début sous la forme d’un squelette ? Je l’ignore, mais il fallait bien que quelqu’un songe un jour à lui rendre un peu de sa chair.

Un roman qui outrepasse l'histoire de sa propre héroïne.
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Il y a une jolie fleur non loin de Tirana

« Je l'ai tué. J'ai tiré à travers la porte et ensuite j'ai tiré encore et encore. Cette nuit, j'ai tué Dardan. »



Et c'est la seule chose que fera Zilia pour elle-même. Elle fuira cet appartement dans lequel il l'a battu, jour après jour. Elle fuira sa belle famille ayant l'arme à la main, prête à en finir. Elle fuira la capitale. Elle fuira sa vie. Elle fuira.



En Albanie, « c'est la loi : seul le sang des hommes lave l'honneur des clans ». Bien que ces mots semblent d'un ancien temps, ils résonnent bel et bien dans ce roman dont l'histoire se déroule au 21e siècle, en Europe. Et c'est à cause de ce texte sanglant qui fait trembler le pays, le Kanun, qu'elle doit fuir.



Non seulement Philippe Cuisset dénonce la pratique perpétuelle de ce code médiéval et meurtrier, mais aussi la manière dont la Sainte Europe et particulièrement les géants européens, piétinent sur ce pays et le méprisent : lors de sa fuite, Zilia se refuge tout près d'une gigantesque décharge recueillant les déchets français et italiens. Régit par la mafia, elle enfouit pourtant bien plus que des déchets et cela n'échappe pas au journaliste Rasim Istrefi, un personnage qui, dans ce récit effroyable, rassure et incarne notre regard. Grâce à des chapitres courts, les pages tournent à toute vitesse, le récit devient de plus en plus intense, et le réalisme nous frappe en plein coeur.



Un récit prenant signé Philippe Cuisset. A lire absolument !



Chronique complète juste ici :


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Miranda

Dans ce roman inclassable, à la fois énigmatique et évident, Philippe Cuisset aborde la condition douloureuse, terrible, des femmes au Mexique. Miranda fait partie de ces jeunes femmes qui ont sombré, par naïveté et défaut de protection familiale, dans les réseaux de prostitution tenus par les gangs. L'engrenage est terrifiant et implacable, et elle fait le trottoir depuis plusieurs années, lasse et abîmée par la vie, lorsque débute le récit.



Pour oublier que les hommes salissent son corps et son âme, elle s'adonne assidûment au culte de la Santa Muerte, la "maigrelette", sainte qui se présente sous la forme d'un squelette. Certains jours, elle s'offre un moment à la taqueria (bar où l'on sert des tacos) de son amie Manuela, mais le coeur n'y est pas, et la vie lui fait horreur. Mais au moment où le carnaval approche, les gangs cherchent à mettre la main sur la ville, qui pourrait devenir une plaque tournante juteuse du trafic de drogue. C'est le moment ou jamais, et Manuela propose à Miranda de s'enfuir toutes les deux, pour gagner le Sud des Etats-Unis et s'offrir une nouvelle chance...



J'ai beaucoup apprécié ce roman pourtant dur, relatant une réalité crue, puis nous offrant un voyage un peu désespéré à travers la sierra mexicaine ; les personnages sont bien campés, quoique assez stylisés, l'action ne s'essouffle pas, en-dehors, selon moi, d'une deuxième partie que j'ai un peu moins aimée, seul bémol de cette lecture. J'ai été presque tout le temps prise par l'intrigue, j'avais envie de connaître la suite, bien que ce ne soit pas à proprement parler un thriller. Le cadre est vrai à s'y méprendre, les notations sensorielles très réussies, je me sentais physiquement transportée, même si ce voyage suivait les traces d'un autre pas vraiment agréable - il s'agit quand même d'échapper à la mort.



J'ai surtout été impressionnée par l'écriture, la capacité de l'auteur à se projeter dans un personnage féminin, à rendre sans concession, mais aussi - ô combien important ! sans complaisance - l'horreur du trafic sexuel. Cette plongée dans un destin sous emprise, et dans un vaste système qui laisse peu d'espoir à ceux, et surtout celles, qui naissent au mauvais endroit, m'a paru salutaire, car il n'est pas possible à l'heure actuelle de continuer à ignorer ce qui ne va pas dans le monde, cette femme c'est un peu nous, nos enfants. Si nous laissons le monde se paupériser davantage, un jour cela fera tache d'huile et nous serons également touchés. C'est un roman brut, fort, dense, qui ne laisse pas indemne, un cauchemar réaliste atténué par la beauté de l'écriture, et la sympathie que nous ressentons pour les deux personnages principaux.
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Zacharie Blondel voleur de poules

Liberté égalité fraternité la devise humaniste de la République française.

La République le plus juste des régimes politiques nous dit on, sauf que si l'on scrute son histoire française on découvre que la République, louée soit elle,a parfois relégué ses principes fondateurs aux oubliettes, n'hésitant pas à certaines époques à bafouer ses fondements.

Elle peut se targuer dans les années 1880 par exemple d'avoir accouché de l'un des mécanismes pénales les plus discriminatoire,infâme et scélérat de l'histoire de notre pays et de ses institutions politiques et judiciaires, le système de la relégation né de la loi Waldeck-Rousseau de 1885 sur les récidivistes.

Pierre Waldeck-Rousseau un des hommes politiques français majeurs de la fin du 19e siècle à l'origine de plusieurs lois d'avancées sociales, mais également celui qui formalisa l'un des grands desseins de la caste dirigeante républicaine de l'époque.

Depuis le milieu des années 1870 en effet la jeune République si elle se prévaut d'une légitimité populaire se méfie aussi d'une certaine partie de sa population, le petit peuple qui quelques années auparavant a prouvé son caractère subversif et frondeur à travers l'expérience de la Commune.

Ces gens des bas-fonds habitués des tribunaux et des prisons, pour beaucoup fréquemment récidivistes et donc irrécupérables et dangereux pour la cohésion sociale.

Une faune viciée qu'on ne pourra jamais réellement assimiler pense t'on,aussi apparaît il comme nécessaire aux dirigeants républicains d'écarter le plus possible ces êtres infâmes du territoire de la métropole.

La loi Waldeck-Rousseau prévoit sous certaines conditions ni plus ni moins que la déportation des récidivistes dans les bagnes des colonies françaises.

L'occasion rêvée pour les pouvoirs publics en s'appuyant sur ce dispositif de se débarrasser légalement des citoyens les plus disgracieux,petits voleurs, vagabonds, prostituées...

Des pauvres gens souvent assez inoffensifs qu'on affecte d'une double peine disproportionnée qui sonne bien souvent pour eux comme une condamnation à mort.

Ce roman troublant nous permet de glisser en apnée dans ce processus d'épuration sociale,de déportation et d'en mesurer le caractère absolument abjecte en suivant la descente aux enfers d'un pauvre bougre Zacharie Blondel cultivateur désoeuvré veuf et un brin oisif voleur de poules pour subsister, condamné par le tribunal de Rouen à la relégation sur l'île des Pins en Nouvelle-Calédonie pour des vols répétés.

Grâce à un travail source et très précis Philippe Cuisset nous décrit fidèlement la déconstruction progressive, la longue agonie physique et sociale d'un homme bringuebale dans un système violent et totalement inhumain véritable trafic institutionalise d'êtres humains orchestré et soutenu par le gouvernement français de l'époque dans un but de colonisation et d'exploitation des terres arides de nouvelles Calédonie.

Le cynisme,la barbarie de ce système concentrationnaire sont parfaitement restitués à travers ce récit détaillé du parcours d'un relégué,un roman sombre, malsain et pesant presque dérangeant qu'on aurait presque envie d'éluder s'il ne correspondait pas à une réalité historique sordide et aux destins brisés de milliers de citoyens français,une époque où pour un vol de poules on vous volait votre vie...
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Zacharie Blondel voleur de poules

Dans ce roman inspiré de l'histoire d'un vrai bagnard de Nouvelle-Calédonie, Philippe Cuisset rend la parole et le droit au souvenir à des hommes dont la « déchéance » servit de prétexte pour en faire des esclaves oubliés de tous, broyés en toute légalité.





En cette fin du XIXème siècle, Zacharie Blondel rejoint le bagne en tant que « relégué » : condamné pour récidive. Récidive de braconnage et de vol de poules, alors que la ruine de sa petite ferme le condamnait au dénuement. Il est l'un de ces milliers d'hommes (et de femmes) dont la misère troublait l'ordre public et que le premier prétexte a permis d'expédier au loin pour faire d'une pierre deux coups : tout en nettoyant la métropole de ceux qu'on considérait comme sa lie, on alimentait les colonies en main d'oeuvre quasiment gratuite et corvéable à merci.





Ainsi, le bagne de Nouvelle-Calédonie sous-traitait de la main d'oeuvre aux chantiers publics, mais aussi à des sociétés privées, où les conditions de travail étaient telles que la plupart des prisonniers mouraient au bout de quelques mois. Ceux qui survivaient à leur peine devaient encore ensuite subir son doublage dans des fermes pénitentiaires, avant d'exploiter librement le lopin incultivable dont ils se voyaient attribuer la concession. Très peu avaient les moyens de quitter l'île, et quasiment tous sont morts dans l'oubli et dans des conditions épouvantables.





Le récit est sobre, plutôt rapide. J'y vois un bon exemple de « littérature maigre » : ni complaisance ni superflu, le juste choix des mots et des émotions pour faire comprendre, à travers le calvaire de Zacharie, le processus judiciaire, le fonctionnement du bagne, les conditions de vie sans espoir même après la purgation complète de la durée des peines, l'hypocrisie des administrateurs plus préoccupés de leurs carrières que du sort des détenus, les préjugés de classes allant jusqu'à la phrénologie. le style est fluide, les tournures soignées, le vocabulaire précis : l'écriture de Philippe Cuisset est très belle. Même si l'on se doute dès le début de l'issue tragique, l'on se prend à espérer que Zacharie pourra tenir le coup et une certaine émotion imprègne les dernières pages.





J'ai beaucoup apprécié cette lecture, qui rend sa dignité à Zacharie et qui fait parvenir jusqu'à nous la vague du souvenir, plus d'un siècle après sa mort.





Prolongement sur l'histoire du bagne dans la rubrique Le coin des curieux, à la fin de ma chronique sur ce livre sur mon blog :

https://leslecturesdecannetille.blogspot.com/2019/03/cuisset-philippe-zacharie-blondel.html


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Il y a une jolie fleur non loin de Tirana

J'ai entamé mon week-end en terminant ce roman sorti récemment aux @editionselyzad et écrit par Philippe Cuisset.



L'histoire se passe en Albanie, entre la loi du Talion qui y règne encore (le Kanun) et la corruption qui y règne. On y suit l'histoire de Zilia, une jeune femme qui tue son mari violent et qui doit prendre la fuite, elle et son frère qui sera la première victime désignée comme devant payer de son sang par le Kanun. Elle plonge alors dans un monde d'entre-deux où elle rencontre d'autres gens qui vivent en marge, qui survivent plus qu'ils ne vivent, et elle se dissout, elle et sa douleur, dans ce monde étrange où va s'opérer la jonction avec le thème de la corruption.



C'était une lecture très prenante, je ne dirais peut-être pas haletante mais poignante en tout cas, très émouvante. le personnage de Zilia m'a semblé sans âge, ses émotions sont fortes et réalistes, et en même temps il y a comme une distance, celle induite par son regard de femme en sursis, qui attend de voir si elle vivra, si la douleur passera, ou si elle pourra se dissoudre dans ce lieu en marge, cette décharge.

L'auteur nous emmène au coeur de la société albanaise sans jamais nous perdre, expliquant avec clarté les faits et illustrant la situation avec des personnages qui luttent pour s'en sortir dans ce pays pauvre et gangrené, sans toutefois renoncer à nous offrir une évocation poétique de ces vies en sursis.



C'était une belle lecture, où la fatalité n'étouffe jamais totalement l'espoir, et je suis contente d'avoir pu découvrir ce livre.



Philippe Cuisset est membre du groupe @les_vagabonds_reims
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Miranda

« L’indifférence ne cesse de nous anesthésier »

Miranda, c’est la voix de tous ceux qu’on oublie, qu’on ne voit pas parce que c’est plus facile de faire comme si…. Parce qu’après tout, on ne peut pas prendre toute la misère du monde sur son dos, et d’autres s’en occupent et on n’a pas le temps…. Ce n’est pas qu’on ne veut pas hein, c’est juste que c’est comme ça…

Et puis paf, on prend en pleine face un roman, parce que oui, ce n’est qu’un roman ouf, enfin, pas vraiment, l’auteur semble être bénévole pour ces gens qui n’ont plus rien, qui parfois ne sont plus rien….

Miranda est mexicaine, elle a cru à un bel avenir et pourtant une mauvaise rencontre plus tard, elle s’est retrouvée prisonnière de sa vie, soumise, éteinte, obligée d’obéir à son souteneur. Alors elle s’accroche à la Santa Muerte, tatouée sur sa peau. Elle la prie régulièrement, attendant ses conseils, lui demandant de l’aide, car elle peut protéger ou guérir. Pourquoi ne pas y croire ? Dans cette ville de Reynosa où les cartels de la drogue se font la guerre, que peut espérer la jeune femme ? Pas grand-chose. Un jour, Manuela, qui tient le bar à tacos où elle se sert parfois, lui fait une proposition. Fuir toutes les deux. Partir loin, tout laisser et rebondir ailleurs, dans le Sud des Etats-Unis. Quand ? Une fête va bientôt être organisée dans la ville, il faudra profiter du remue-ménage que ça provoquera.

Après avoir assisté impuissant au quotidien difficile de Miranda, le lecteur l’accompagne dans sa fuite. Mais ce n’est pas pour autant qu’on respire. La tension est là, hyper présente car les deux amies sont poursuivies. On assiste, par l’intermédiaire de dialogues très réalistes, aux questionnements qui surgissent, ont-elles fait le bon choix d’itinéraire, de compagnie ? Est-ce un binôme qui peut fonctionner ? Vont-elles s’en sortir ? Le tueur qui les trace va-t-il les rattraper ?

J’ai lu ce livre d’une traite, les descriptions sont saisissantes de vérité. On est loin de l’image aseptisée du Mexique avec le folklore, le clinquant, le soleil et le tourisme. On est dans le dur, avec de la violence, des femmes qui ont été brisées. Miranda et Manuela partent, fuyant la pauvreté, ce ne sera peut-être pas mieux ailleurs, la route sera longue et ardue mais elles auront agi par elles-mêmes, elles auront pris leur destin en main.

Philippe Cuisset a su trouver les mots justes pour parler de deux femmes alors qu’il est un homme. L’approche psychologique qu’il en fait est excellente. La place donnée à la Sante Muerte aussi, parce qu’elle est la mort et malgré tout elle apporte une note d’espoir, comme si elle transmettait de la force à Miranda.

Par l’intermédiaire de son recueil, l’auteur nous rappelle qu’ils sont nombreux à s’exiler dans l’espérance d’un meilleur futur, que leurs voix ne sont pas toujours entendues, mais que ces gens luttent à chaque instant, sans renoncer. Miranda puise au plus profond d’elle-même pour avancer, elle a quitté la prostitution et n’abandonne pas, trouvant des ressources insoupçonnées même lorsqu’elle pense être au bout du rouleau. Face à la peur, à l’adversités, les hommes et les femmes sont capables de beaucoup.

En donnant vie à une laissée pour compte, Philippe Cuisset offre de la dignité à tous ceux qui lui ressemblent nous obligeant à nous pencher sur leur histoire, à les regarder dans les yeux, à entendre leurs besoins (pas leurs paroles parce qu’ils ne crient pas, ils ne réclament pas…)…

Après à chacun de voir comment il peut tendre la main, agir, en se souvenant de ce récit et de Miranda pour garder les yeux, le cœur et l’esprit ouverts…..

« L’indifférence devant le malheur ne tient que parce que nous nous agrippons à cette pensée : la mort se contente de nous frôler de son aile et la vie, indolore et tenace, s’échappe au compte-goutte sans que nous nous en rendions réellement compte. »

NB : Coup de cœur douloureux mais coup de cœur quand même, Miranda, je ne vous oublierai pas.


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Des torrents de sang et d'argent

Encore une page abjecte de l'histoire récente de l'humanité pour laquelle Philippe Cuisset se fait le dénonciateur, ,dont il est le narrateur objectif d'un génocide qui n'a toujours pas été vraiment reconnu. C'est aussi le témoignage glaçant sur une nation colonisatrice, la Prusse, qui mit très tôt en pratique sur des ethnies africaines originaires de ce qui deviendra la Namibie, une politique de "solution finale" et dont trente ans plus tard, son plus triste dirigeant, Adolphe Hitler, s'inspira si sordidement au niveau "industriel" sur l'Europe.

Cette vision et interprétation glaçante est celle d'une société où l'économie (le développement des chemins de fer, l'exploitation des gisements de pierre précieuse, la mise à sac de toutes les ressources d'une région du monde) ne peut se faire qu'en annihilant les autochtones soucieux de défendre leur terre (expédition militaire, massacre en série, viols, travaux forcés entre autres). Cet épisode colonial prussien (peu connu ou reconnu) sanglant et génocidaire c'est l'esprit même d'un enrichissement massif, d'échanges économiques entre nations coloniales au détriment de celles et ceux qui étaient légitimement les habitants originels de ces régions d'Afrique Australe où sévirent aussi les Belges et les Néerlandais....

Ce sont les voix d'Esther, la survivante de ces victimes africaines, de quelques-uns des guerriers africains des peuples herero et nama massacrés, martyrisés, mais aussi des généraux massacreurs prussiens, des industriels, de la compagnie des chemins de fer profiteurs capitalistes et de pseudo scientifiques persuadés de la suprématie blanche qui s'entrechoquent ici sous la plume de Philippe Cuisset. Autant de témoignages où victimes et bourreaux qui rapportent la vérité historique tûe et crue de cet épisode abject et tragique si prémonitoire de ce que seront les épisodes nazis à venir et de tant d'autres où la pratique de l'extermination massive, de génocides, au profit de quelques-uns sous des prétextes totalement infondés sont autant d'actes d'accusation de nos sociétés où le capitalisme massif montre son inhumanité et son injustice. Et s'il faut utiliser des éléments fallacieux, pseudo- scientifiques pour assurer richesse et bonne conscience, certains hommes en sont les experts.Il n'y a sous la plume de Philippe Cuisset que des éléments concrets, vérifiés, un style dans lequel il excelle avec les mots, les descriptifs justes et une volonté de dénoncer et de défendre les victimes si nombreuses et sans voix
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Zacharie Blondel voleur de poules

Probablement le témoignage le plus à charge contre le bagne et l'injustice, érigée en principe judiciaire par la France et son gouvernement post-communard.  Entre 1890 et 1893, à partir de documents d'archives authentiques mentionnant le nom de Zacharie Blondel, Philippe Cuisset va dresser à ses lecteurs l'itinéraire de souffrance et de calvaire de ce malheureux Zacharie, réduit au numéro de matricule infamant de 1782 entre Brest et la Nouvelle Calédonie.



C'est en fait à un destin bien sordide que le monstrueux sytème politique, économique et colonial de cette époque va briser jusqu'à son dernier souffle et sa vie Zacharie et à travers lui de nombreux autres hommes dont on ne peut pas dire qu'ils aient menés un vie de délinquance et de haute criminalité.... de simples paysans, fermiers, artisans ruinés par la misère, la crise, le plus souvent en charge de famille qu'il fallait bien nourrir pour survivre d'où de simples pécadilles comme le vol de poules ou de nourriture mais, hélas pour le système judiciaire de l'époque des récidivistes qu'il faut exclure à tout prix de la société.



Cette chaîne d'inhumanité est cyniquement démontée et autopsiée avec le cynisme de l'époque par Philippe Cuisset. Du juge partial appliquant avec cynisme des lois discriminatoires pour les plus faibles et pauvres des français (de métropole comme d'Algérie), aux directeurs des prisons fournisseurs de chair humain à des industries (celle du Nickel en particulier) en pleine croissance, à l'armée, aux gendarmes, à la compagnie maritime qui va les acheminer telle de la viande vers des nouvelles colonies (ici la Nouvelle Calédonie), comme au médecin présent à bord de ces galères modernes dont le seul souci est que le chargement arrive en relatif bon état à destination.... Comble de l'ironie, les forçats arrivant au terme de leur peine vont être "généreusement" récompensés par un bout de terre totalement desséché et aride  (en clair inexploitable) de cette terre calédonienne qui l'a vu ployer sous la charge de la déforestation puis de la recherche du nickel durant l'exécution de sa peine....... cette longue chaîne ne peut qu'amener le lecteur à la nausée et au dégoût.



Au fond, on retiendra au quotidien la douleur (physique et morale) et la progressive déshumanisation de Zacharie, ce symbole, dans ses derniers jours sur le continent puis dans le long transfert enchaîné vers la Nouvelle Calédonie comme dans sa fin de peine sur du défrichâge et dans les mines de nickel, les rivalités, rixes, le désespoir des ses compagnons d'infortune conduit, pour certain à la folie. Les mots et les descriptions comme l'état de sa pensée et de ses compagnons sont tragiquement simples et prégnants. C'est au scalpel que Philippe Cuisset dresse aussi les portraits de ces charognes (juge, militaire, médecin, gouverneurs, industriels...) qui ont tout mis en oeuvre pour que tout éclat d'humanité, de raison d'être chez ces pauvres hères bannis de la société de l'époque soient annéantis.



Une lecture d'une grande densité, qualité et solidement argumentée qui est un témoignage capital de cette époque, un plaidoyer contre le retour d'un tel système.
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Des torrents de sang et d'argent

Comprendre, s’adapter, survivre….

Il y a d’abord le début du titre « Des torrents de sang… » puis la photo en page deux. On sent tout de suite qu’on rentre dans un contexte âpre, difficile, et que tout cela sera à la limite du soutenable.

Et puis on rencontre Esther, lumineuse, engagée, noble. Une femme qui, jusqu’à la dernière décision qu’elle partage avec nous, nous montre combien elle se tient droite, sans baisser les yeux, face à ce qu’elle a vu, vécu, subi. En suivant son parcours, on puise dans sa force pour continuer la lecture, comme elle a continué de lutter, parce qu’on lui le doit bien.

Philippe Cuisset a du talent pour nous ouvrir les yeux, nous secouer, nous émouvoir, nous mettre en colère sur ce qui a été et que, complaisamment, certains gouvernants ont « oublié ». Comme le rappelle Aimé Césaire, cité en fin d’ouvrage, faut-il que l’homme blanc soit touché pour que la société bien-pensante agisse ? Pourquoi ce mépris envers les souffrances africaines ?

Dans ce récit, parfaitement documenté, l’auteur nous présente un génocide (le premier du vingtième siècle), reconnu bien tardivement puisque le gouvernement allemand a consenti l’implication de son pays, en 2004, cent ans après les faits.

C’est en 1884, que l’Allemagne s’installe en Namibie, considérée alors comme une colonie mais l’appât du gain, la soif de richesse des dirigeants allemands entraînent des vols de territoires, des confiscations de bien. Des peuples namibiens se rebellent mais une énorme armée de dix mille hommes, avec le général Lothar von Trotha à sa tête, est envoyée sur place, pour réprimer les combattants. Avec le texte de Philippe Cuisset, nous découvrons avec horreur ce qu’il s’est passé.

Eugen Fisher et l’hygiène raciale avec des expérimentations violentes et cruelles. Les hommes et les femmes qui luttent pour rester en vie face à une haine calculée, volontaire, tenace, obligés de s’économiser pour garder un brin d’espoir, de rester mutique face à la douleur, de contenir leur rage….

Avec une écriture précise, montrant les événements, mais également les ressentis , l’auteur, dans un style épuré nous touche de plein fouet et nous laisse le cœur en vrac.


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Miranda

Un récit / itinéraire de plus de 188 pages dans lequel, pour ma part j'ai été happé ; l'histoire de Miranda et de sa complice tragique dans le fuite  ; Manuela. 



A la base de ce roman ; une rencontre bien réelle entre Philippe Cuisset, l'auteur et une femme étrangère et réfugiée dont il a gardé en mémoire  la souffrance, la fierté, une destinée sombre et le tatouage de " Nuestra Senora de la Santa Muerte". Miranda, tel est son prénom va alors être pour l'auteur le visage de toutes celles et ceux exilés loin de leur pays d'origine à la recherche d'un avenir ou d'un destin... et plus particulièrement celles et ceux mexicaines, mexicains qui vouent leur vie au culte de cette divinité paienne à la base et "christianisée" par opportunisme... Etrange culte que celui liant la virginité à la mort.... C'est à partir de ce moment que l'auteur nous emmène au Mexique pour un roman aux connotations à la fois violentes, sanglantes et paradoxalement chargé d'un mince espoir.



Bienvenue au Mexique donc ou derrière l'aspect attractif culturel des premières civilisations, du tourisme, du luxe pour certaines et certains se cachent surtout une véritable misère entre prostitution, corruption, rivalités entre gangs de la pègre. C'est là qu'après la rencontre féérique de Miranda et de Miguel, prince idéal et fortuné d'une seule journée et d'une seule nuit, la descente aux enfers se révèle vertigineuse car Miguel n'est qu'un rabatteur et va vendre au clan famillial Las Cabezas de Léon, la jeune adolescente à des fins de rabattage et de prostitution de masse .... schéma classique et sordide mais réalité de ce pays.



Ouvrière du "sexe" en série, Miranda a néanmoins l'espoir de simplement survivre avec l'aide de Nuestra Senora de la Santa Muerte. C'est sans compter sur la poursuite des conflits entre gangs et clans familliaux de cette ville centrale sur la route de la drogue entre le Mexique et les USA, à l'approche du carnaval, les fusils d'assaut se préparent et une énième guerre des gangs car la drogue doit succéder au commerce du sexe moins rentable... Cet instant où la pression monte entre les personnages -clés , les passions s'exacerbent et la tension atteint son apogée, c'est d'une plume particulièrement aiguisée et informée que l'auteur plante à la fois le décor et le premier acte de ce qui va pousser Miranda et son amie, tenancière de bar, Manuela à accélerer le projet de fuite vers de nouveaux cieux plus cléments et porteurs.



Au coeur d'un réglement de compte entre les plus importants clans de la pègre mexicaine, Miranda n'a plus d'autre choix que de s'enfuir, hors des axes routiers les plus fréquenté avec Manuela dont le frère leur promet un meilleur sort... si elles parviennent au bout de cette course contre le temps et la mort... C'est alors le second temps fort de ce roman où les paysages, les dialogues entre les deux femmes, leurs débats intérieurs se succèdent, brillants et terriblement humains comme la peur de se faire rattraper.... Entre police, forces spéciales, clans, pauvres hères à la recherche de la moindre occasion pour gagner un peu d'argent et d'espoir, il n'y a aucun autre allié possible.... que ces deux femmes et de leur confiance réciproque dans leur fuite en avant. Une véritable approche psychologique forte que nous délivre Philippe Cuisset. Des décors à la fois âpres et angoissants, la BO des titres de la chanteuse Lhasa tout est habilement et parfaitement rendu.



Cette psychologie, ce sens de la perspective marquent aussi la troisième partie ; celle du duel final entre Miranda et le Chien (surnom du tueur envoyé à ses trousses) avec les descriptions de la chasse, du chasseur comme de la proie. Là aussi c'est pour le lecteur, l'occasion de retenir son souffle jusqu'à l'issue de ce combat.... et puis d'espérer pour l'avenir de Miranda....



Une belle lecture, une écriture de grande qualité, un sens de la psychologie des personnages et toujours un témoignage affuté sur une époque.... les mêmes atouts que dans son premier roman. Indiscutablement un auteur à suivre. Merci, le passage tant redouté d'un premier à un second titre est, ici, parfaitement assumé et l'essai est transformé
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Des torrents de sang et d'argent

Dans ce roman paru aux éditions Kyklos, nous suivons Esther qui endure la déportation puis l'esclavage. L'auteur évoque, déjà, un épisode abominable de l'Histoire africaine aujourd'hui reconnu comme le premier génocide du 20e siècle. Au-delà de sa volonté instructive, il instaure beaucoup d'humain afin de mieux démontrer l'horreur de certaines pratiques colonialistes, tout en rappelant les enjeux - qui ne justifient rien - ayant mené à ces pratiques. Grâce à cet équilibre, il rend à la fois la lecture accessible, captivante et émouvante. Révoltante aussi.
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Des torrents de sang et d'argent

Philippe Cuisset nous raconte la tragédie vécue par les peuples Herero et Nama, chassés de leurs terres par les allemands, devenues colonie allemande l’Afrique du Sud-ouest et gouvernée par le général Von Trotha. Réputé pour sa cruauté il va organiser les premiers camps de concentrations. Ils se transformeront en camps de travail, la main d’œuvre est sous-alimentée, maltraitée, beaucoup meurent de malnutrition.

Afin de réaliser des caractéristiques ethniques et étayer ses thèses raciales, des crânes sont prélevés, bouillis et « nettoyés » par les prisonniers, puis envoyés à Eugen Fischer (Théorie de l'hygiène raciale).

« Verser des torrents de sang et d’argent », c’est ce que n’hésite pas à dire, et à faire Lothar von Trotha.



Esther, elle est d’origine Nama. Des massacres des Herero, elle ne connait que le récit Jan Kariko. Elle représente le vécu de son peuple. Elle n’est pas victime, elle est témoin. Son regard jamais ne faiblit. Esclave, écorcheuse de crâne, prisonnière du Rail, elle s’évade.

Esther c’est le fil rouge que suit Philippe Cuisset pour nous montrer, à travers le regard de cette femme l’horreur de ce génocide. Les morts, les souffrances c’est Esther.



La liste des génocides est longue et j’ai l’impression que malgré toutes nos bonnes volontés, ces horreurs se poursuivent, hélas!



Redécouverte dans les années 1990, cette guerre coloniale menée par Trotha fut qualifiée rétroactivement de premier génocide du xxe siècle. Son plan d'extermination des Hereros a été comparé par certains historiens au plan d'extermination des Juifs mené par les Nazis. (source wikipédia)



Le 16 août 2004, le gouvernement allemand a présenté ses excuses officielles, historiques et morales pour ces atrocités, qualifiées dans un communiqué signé par la ministre allemande déléguée à la Coopération de « génocide »




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Miranda

Voir, se voir, nous voir, comme dans un miroir. Miranda, prénom d’une héroïne shakespearienne. Miranda, « merveilleuse » en latin. Miranda – ou l’histoire d’une femme seule, une femme comme il en est tant d’autres, de manière indénombrable, au Mexique ou ailleurs. Miranda, seule, prostituée, outil dans les mains d’un cartel, déversoir pour les hommes. Une xxx, c’est « cadeau », comme le dira un membre du Cartel à son tueur.

Miranda, c’était d’abord une jeune fille qui rêvait d’un ailleurs meilleur, et qui est tombé dans les griffes d’un réseau de prostitution, proie facile, sans soutien, sans appui. Alors Miranda ne rêve plus, Miranda qui doit rapporter le plus possible à son souteneur, Miranda qui ne compte même plus ou presque plus le nombre de passe qu’elle effectue. Alors elle prie, elle prie la « Maigrelette », la « Santa Muerte » parce qu’elle n’a plus d’espoir en cette vie, parce qu’au Mexique, la violence est partout, à tous les coins de rue, parce que la police est corrompue et qu’il n’est de refuge nulle part.

Miranda est un roman noir, qui montre sans fard la prostitution, et démonte le mécanisme de la lutte anti-drogue – entre paraître et bonne conscience, pour mieux permettre à d’autres réseaux de prospérer. Miranda, roman en trois parties, tragédie en trois actes, qui lance la jeune femme sur les routes du Mexique pour s’extraire de cette guerre, comme si c’était possible. Routes cabossées, défoncées, loin des images touristiques du Mexique, routes qui emmènent peut-être vers une grande ville où Miranda et Manuela, troisième figure féminine du roman (la deuxième restant pour moi la Santa Muerte, omniprésente dans les pensées de Miranda), pourront peut-être se construire une autre vie. Peut-être.

Roman noir, disais-je, parce que les cartels ne laissent personne leur échapper, parce qu’ils ont leur tueur, dont Le Chien, qui sera chargée d’éliminer les deux femmes en fuite. Le Chien, pour montrer sa perte d’humanité, ou pour dire que, tel un chien de chasse, il traquera sa proie jusqu’au bout ? Les deux, peut-être.

Un épilogue heureux est-il possible pour Miranda ? Je l’espère.
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Miranda

Miranda--Philippe Cuisset



Philippe Cuisset est un écrivain de grande humilité qu'on retrouve à travers sa plume et dans son implication inestimable auprès des migrants.

Pour son deuxième roman, l'auteur nous embarque dans un mix de western des temps modernes et de road trip.

On y retrouve Miranda, la quarantaine dont le seul sentiment de liberté est d'entasser les passes d'hommes noyés par la tequila qui " durcit le poing mais ramollit la queue" et de prier la Santa Muerte.

Une plume prenante, sans mots inutiles pour un roman que je vous conseille à l'excès.

Grand merci à Virginie Carbuccia de Kyklos éditions.



Enjoy...
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Zacharie Blondel voleur de poules

J'ai lu le roman en une journée : c'est signe chez moi d'un intérêt marqué.



Je ne connaissais pas cet épisode plus tardif de déportation en Nouvelle-Calédonie, alors que j'ai lu pas mal sur la déportation des Communards (Louise Michel, par exemple). Ce roman assez bref (176 pages) restitue judicieusement le contexte historique et sociologique, avec un point de vue interne en la personne de Zacharie Blondel, qui subit un sort particulièrement injuste. La situation de ce paysan ruiné, veuf depuis peu, devenu braconnier et voleur de poules, est d'autant plus tragique qu'il paie une politique de zèle extrême à l'encontre du "crime" et de la délinquance. Comment ne pas penser au Claude Gueux de Victor Hugo ?



Depuis l'emprisonnement de Zacharie, nous suivrons les étapes de son parcours long et douloureux, en passant par le procès, où juges et avocats mènent finalement le même combat, à savoir servir leurs intérêts personnels, entre diatribes morales et vision idyllique d'une rédemption par le travail forcé. N'oublions pas les intérêts premiers : fournir une main-d'œuvre bon marché à l'industrie minière (exploitation du nickel) pour coloniser l'île en bonne et due forme. L'idée étant de doubler la peine de travaux forcée en relégation, en annonçant qu'un lopin de terre sera donné aux forçats libérés.



Ainsi Zacharie et ses compagnons s'embarquent-ils pour de longs mois, avant de découvrir leur vie de forçats ; c'est le début d'un long déclin pour Zacharie. C'est ainsi également que nous suivons des personnages politiques, ce qui nous met au fait des intentions au plus haut placé, et de ce qui se joue, entre corruption et bêtise humaine, sans aucune considération de l'impact de ces décisions économiques sur ces hommes.



Le style d'une sobriété travaillée est à la fois direct, évocateur et expressif. L'auteur sait nuancer de lyrisme les descriptions de la beauté des paysages, tout en montrant explicitement l'enfer du quotidien pour ces hommes, à travers des scènes fortes, comme la mise aux fers (ou l'enlèvement de ceux-ci à la libération). Que peut-il bien rester de constructif pour ces hommes qui ont tout perdu, qui savent qu'ils ne rentreront plus jamais au pays, et n'ont de ce fait, pas grand-chose à goûter en remâchant leur liberté ?



C'est un roman fort sur un sujet désolant, mais qu'il faut connaître, car ce n'est pas l'histoire officielle, mais la vie souterraine de "gens de peu", malmenés par la cupidité et les lâches illusions de ceux qui prennent les décisions.
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Il y a une jolie fleur non loin de Tirana

L'éminente littérature !

L'Albanie d'ombre et de lumière. « Il y a une jolie fleur non loin de Tiranie », le portrait d'une jeune femme contemporaine, battante et sublime.

Magistral, engagé, ce livre est un murmure, un bruit sourd qui tisse l'épopée d'une terre empreinte de tragédies. L'Albanie et les hommes règnent.

Le patriarcat comme le son d'un violon qui grince et fait vaciller.

La gloire et la force d'un style d'écriture qui fait saillir le vertige de l'émotion. 

« Recroquevillée sur elle-même, Zilia a repris connaissance. »

Constamment battue par Dardan, les coups pavloviens, la fulgurance de la haine. Dardan est machiavélique, rude et maltraitant. Le corps de Zilia sous ses mains est une fleur écrasée du pied. Zilia flanche, s'affaisse et réagit au dernier soupir. Elle profite du seul et ultime moment, de sa survie. Elle va abattre avec une arme Dardan lorsqu'il dort, alcoolisé à outrance. Zilia va fuir. Rejoindre son jeune frère, lui avouer le meurtre.

« Elle ôte ses lunettes offertes par Jon, relève son pull, et, découvrant son ventre, et ses flancs meurtris, elle laisse son frère face à ces premiers éléments de justification. Puis elle le fixe droit dans les yeux avant de poursuivre : - Je ne suis pas au tribunal, pas encore, en tout cas. Je suis venue ici parce que tu es mon petit frère et que je n'ai pas d'enfants. Je suis en fuite et je devais te prévenir. »

Le drame plane comme un vautour qui guette sa proie. Les dangers sont pandémiques. Hamza risque sa vie. Victime collatérale. le beau-père de Zilia et ses fils obéissent au Kanun. La vengeance aux abois, la loi de Talion, sang pour sang. L'Albanie est un long fleuve intranquille et sournois . Hamza est si jeune, à peine vingt ans, mais pressent que jamais, Zilia n'obtiendra la légitime défense et la rédemption par les siens.

Mature, éveillé, solidaire, il va aider Zilia. La famille de Dardan va mener une cabale Chercher Zilia, traquer le moindre indice. Sauver l'honneur de Dardan par un lynchage implacable. le pouvoir de la force contre le mental de Zilia. le linge sale lavé en famille. Les intestines filatures, les habitus ancestraux sont les faillites d'un peuple qui boit encore la tasse. le rite de la mort pour la tueuse d'un membre du clan, où la femme est le néant, effacée d'une généalogie moderne et juste.

Mais que vaut la justice en Albanie, lorsque le Kanun est une coutume glaçante. Un pacte avec le diable . le féminicide comme un abus de pouvoir.

Ce qui frappe dans ce récit, c'est la justesse des mots de Philippe Cuisset. Il rend le jeu fictionnel vivant et l'on est d'emblée dans le criant de l'authenticité. le regard qui perce la nuit d'une Albanie fragilisée par son idiosyncrasie de tumulte et d'inégalités envers la femme.

Zilia va fuir. Se réfugier dans un endroit improbable. Se fondre en mimétisme dans une décharge à ciel ouvert. La poubelle de l'Europe, les détritus comme une cache. L'endurance face à la puanteur. Les mains sales, mais le coeur de plus en plus léger, à l'instar d'un contre-poids. Elle va se terrer dans ces monticules de tôles et de blessures. Elle va faire des rencontres fortuites. Comprendre l'envers du décor d'un pays si beau, mais si pauvre. Pris entre les mailles d'un système de corruptions.

Zilia pressent qu'il se passe quelque chose de grave. Des produits toxiques sont enterrés illégalement. Elle va se lier avec Rasim Istrefi, un journaliste qui enquête et veut prouver par un article, cette réalité abjecte. Il voit en Zilia, une fleur égarée sur des déchets. Elle lui semble singulière, discrète et l'on ressent l'apothéose de l'enchantement d'une normalité.

Un souffle de ressemblance avec les sociologies, où le machisme n'a aucune place. Elle est regardée, écoutée et respectée. C'est une bouffée d'oxygène sur le toit de ces poubelles immondes. L'Albanie, manichéenne, entre le bien et le mal. Une terre labourée par les pas des hommes vils et encerclés de tabous. Les sentiments sincères, la confiance comme guide, Zilia et Rasim vont sublimer la résistance. Mais Rasim est trop présent sur la décharge, cette zone de non-droit. Son enquête dérange les mafieux. Que va-t-il se passer ? Zilia trouvera-t-elle la fleur de l'exil ?

Ce livre puissant, grandiose, est une percée de lumière dans la nuit albanaise. Il pointe du doigt les errances d'un peuple ployé sous les diktats des lois souterraines. le nord de l'Albanie dans son évidence la plus triste.

Ce livre est un devoir de lecture. La mission d'une littérature engagée, virtuose de sincérité. « Toutes les routes n'existent que dans l'épuisement du voyage . »

Une fresque magistrale, finement politique. Publié par les majeures Éditions Elyzad.



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