Le langage des hommes dépérissait. A vue d'œil. Tout le monde en convenait. Munis d'une poignée de petits mots, ils vivaient. Deux cent, disait-on, suffisaient. La plupart des individus, quotidiennement, n'en utilisaient pas davantage. Le reste était du superflus. De quoi nommer les objets de la vie courante, obtenir la satisfaction de ses besoins les plus élémentaires, exprimer sommairement son contentement ou son mécontentement, son approbation et sa désapprobation.
Dire "J'aime" ou "Je n'aime pas". Des onomatopées, des interjections remplaçaient progressivement des mots qui, eux-mêmes, se réduisaient de plus en plus à des abréviations sibyllines, à des sortes de borborygme éructés à la chaîne et impropres à l'expression d'aucune véritable idée.