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Citation de tiaconelli


Le destin n'est pas tendre avec Pauline. C'est très précisément à l'âge où les jeunes filles entrent en vibration, se mettent à ne plus penser qu'aux garçons et à leurs tentants mystères, qu'elle assiste à la débandade d'une foule d'Alliés sombres, sales et boiteux en fuite, qui ne lui inspirent que de la pitié (c'est déjà beaucoup, mais ça fait peu palpiter les gamines), et à l'arrivée quasi simultanée d'une puissante armée de grands jeunes hommes blonds et beaux, ou bruns et beaux d'ailleurs, musclés, souriants, au regard sûr et aux épaules droites dans leur uniforme impeccable. Ce sont eux dont parlait son père, les forts, ceux vers qui il faut aller. On lui reprochera comme un crime impardonnable cette attirance pour l'ennemi de la France, mais comment peut-elle réfléchir en Française avant de réagir en fille (un garçon, ce serait pareil : est-ce qu'on imagine un huitième de seconde un adolescent de quatorze ans, disons, au même stade de la puberté, dont la ville serait envahie par des milliers de grandes blondes en minijupe et corsage entrouvert sur des seins abondants, rayonnantes et disponibles, demandeuses même, ne pas avoir envie de les approcher parce qu'elles sont ennemies de son pays, est-ce qu'on serait horrifiés qu'il se laisse émouvoir et ne pense pas plutôt à la patrie ?), comment peut-elle, à peine sortie de l'enfance, suivre un drapeau avant de suivre son instinct, sa nature ? Mon fils Ernest est en troisième, ses amies ont un an de plus que Pauline, je les vois souvent, Anaïs, Léna, Juliette, l'honneur de la France n'est pas encore très bien classé dans la liste de leurs préoccupations principales. Le désir de Pauline pour les envahisseurs n'est ni patriotique ni moral, c'est sûr, elle le sait ou le sent peut-être, mais la norme morale est une bien fragile barrière, à cet âge, elle est même au contraire un petit obstacle agréable à franchir, gaiement, temps de guerre ou pas : de qui tombent amoureuses les filles de treize ou quatorze ans ? De jeunes notaires, de petits ministres en herbe ? Pas tellement, plutôt de ceux que la morale des adultes réprouve, justement, des rebelles, des «jeunes voyous». Pauline se fout de ce qu'on dit d'elle, de ce qu'on dira d'elle dans dix ans (là, elle a tort, même si elle a raison), elle est fière des regards allemands sur son nouveau maillot de bain, elle sourit en baissant les yeux sur la terrasse de la rue du Maréchal-Pétain.
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