Philippe Larcher

L’existence n’a lieu qu’une fois et il n’existe pas de classe de rattrapage.

J'espère que l'accélération du temps n'aura pas de prise sur ta quête, et qu'un jour tu pourras à nouveau avec ta sœur à tes côtés retrouver, le temps d'une parenthèse, ce coin de votre enfance où vous adoriez jouer ensemble et où vous respiriez le parfum des chèvrefeuilles comme si vous étiez seuls au monde ... Ce coin de votre enfance que tu n'as jamais effacé de ta mémoire, Esteban, mais qui est resté comme chiffonné par l'alternance des saisons. Ce coin de ton enfance qui t’est si cher.

Car l'éternité et ceux qui l'habitent vous renvoient fâcheusement à vous-même et à l'instant présent.

Le passé est rassurant quand il explique logiquement le présent.

Retourne toi sur ce passé, juste sur ce passé qui est le tien, et dis-moi droit dans les yeux que tu n’as jamais été tenté d’envoyer ce passé aux oubliettes, et que tu n’as jamais eu envie de vivre libre. Vivre libre présentement et dans le futur.

J’ai toujours été interpellé par ce passé propre à notre univers, et étonnamment présent depuis la nuit des temps. Par ce passé également plus proche de nous, celui de nos semblables et par là celui de notre planète. Par ce passé que nous traînons depuis les origines de l’existence et qui hante notre présent. Et puis je n’ose à peine vous parler de mes interrogations sur le futur. Je n’ai guère d’explications à mes interrogations sur la métaphysique du temps, mais je pense que vous devez avoir vous, sinon des certitudes, quelques réponses ou quelques convictions sur ces sujets.

Je vivais le temps présent pleinement mais, chaque fois que le baromètre de la vie oscillait, je ne pouvais m'empêcher de regarder en arrière et à la fois de me projeter quelques années plus avant pour mieux mesurer le chemin qu'il me restait à parcourir. Je me disais que demain serait sûrement différent de l'idée que je pouvais m'en faire aujourd'hui. Mon père aux urgences, cela résonnait comme une alerte. J’étais sur le qui-vive. Le quotidien n'était plus seulement quotidien. Le quotidien prenait de l'épaisseur tout à coup. Je revisitais d'un coup tous les codes. Il n'existait plus de normes cartésiennes. L'irrationnel pouvait à tout moment prendre le pouvoir.

Je pense qu'en fait nous ne décidons que de peu de choses, le temps le fait pour nous, parfois il le fait bien, parfois il le fait moins bien. Le temps, l'instant, les circonstances, la conjoncture façonnent ce que nous traversons et nous, nous disposons.

Interroger par-delà la mort, c'est se questionner sans fin sur ce qu'est la vie. Et la vie n'est que parce que la mort existe. Que l'on soit croyant ou non, on perçoit le temps qui file, celui-là même que l'on griffonne sur les cahiers de l'existence. Croyant ou non, on connaît moins bien le temps d'après, celui qui reste, celui des possibles infinis que l'on soupçonne ou pas, celui qui s'esquisse parfois tel l'embryon ou celui qui s'achève au seuil d'une vie bien remplie.

Le temps qui passe n’est jamais du temps perdu comme vous semblez le laisser entendre. Quel qu’il soit ce temps qui vous parait avoir défilé forge toujours un présent plus enraciné dans la vérité et dans la réalité, un présent plus irréversible, indubitable.

Le fait d'avoir un enfant est vaguement vécu comme si une réplique de nous-mêmes était conçue pour des temps qui ne nous appartiendront jamais. Comme si, par-delà notre existence, celle de nos enfants pouvait nous rassurer sur l'avenir.

(L’existence humaine) ne serait-elle empreinte que de réalité ou après tout ne nous présenterait-elle pas aussi qu’une part fictive ? Comme si c'était le monde qui écrivait l'histoire à notre place et non nous qui l'écrivions, comme si nous ne maîtrisions ni l'écriture, ni le temps, ni les espaces.

On se fait des idées sur ce que l'on aurait aimé construire, sur celui que l'on aurait pu être. On vit avec des souhaits inachevés. Et puis on vit différemment, souvent plus petitement. L'accélération du temps et l'ivresse de la vie nous emmène parfois loin, très loin des rêveries d'antan et des trompe–l'œil ensorcelants.

Ma came n'est pas de ce monde !'' Qu'entendait–elle par ces derniers mots ? Que cachait une telle tirade ? Quel était son idéal ? Où se trouvait – il ? Du jour où elle avait disparu, ces mots ''ma came n'est pas de ce monde’’ résonnaient bizarrement. Ils n’étaient sans doute pas si innocents.

Je ne savais pas, à cette période de mon existence, que je ne ressentirai plus jamais ce genre de frisson indéfinissable qui vous transperce une fois, et une seule, dans toute votre vie lorsque vous avez l'impression d'avoir rencontré l'âme sœur. Un frisson propre aux amours adolescents peut-être. Un frisson qui s'éclipse et se transforme en des sensations différentes dès que l'on entre dans le monde plus raisonnable des adultes.