Les Cendres de Gramsci (III) – 1954
Un chiffon rouge, comme celui
noué au cou des partisans
et, près de l’urne, sur le sol cendré,
deux géraniums, d’un rouge différent,
Te voici donc, banni, en ta grâce sévère,
non catholique, enregistré parmi ces morts
étrangers. Les cendres de Gramsci… Pris entre l’espérance
et ma vieille défiance, je m’approche, venu
par hasard en cette maigre serre, face à
ta tombe, et à ton esprit qui est resté
ici-bas parmi ces gens libres (Ou bien c’est quelque chose
de différent peut-être, de plus extasié
et de plus humble aussi, ivre symbiose
d’adolescence, de sexe et de mort…)
Et en ce pays, où jamais ne fit trêve
ta passion, je sens quel fut ton tort
– ici, dans le repos des tombes – et en même temps
combien tu eus raison – en notre inquiet
destin – d’écrire tes ultimes
pages pendant les jours de ton assassinat.
Je vois ici, attestant la semence
non encore dispersée de l’antique pouvoir,
ces morts attachés à une possession
qui plonge au fond des siècles son abomination
et sa grandeur : et aussi, obsédante,
cette vibration d’enclumes, en sourdine,
étouffée et poignante – depuis l’humble
quartier – pour en attester la fin.
Et me voici moi-même… pauvre, vêtu
d’habits que les pauvres lorgnent dans des vitrines
au clinquant grossier, et qu’est venue faner
la saleté des routes les plus ignorées
des banquettes de tram, qui dénaturent,
pour moi, toute journée : alors que je puis de moins en moins connaître
de tels loisirs, dans le tourment
de survivre, et s’il m’advient
d’aimer le monde, ce n’est que d’un violent
et naïf amour sensuel,
tout comme, adolescent incertain, autrefois,
je l’ai haï, quand me blessait en lui, bourgeois,
mon propre mal, bourgeois ; et si le monde
est – avec toi – maintenant divisé, n’est-ce point objet
de rancœur, de mépris presque
mystique, que la fraction qui en détient le pouvoir ?
Pourtant, sans ta rigueur, je subsiste,
car je ne choisis point. Je vis sans rien vouloir,
en cet après-guerre évanoui : aimant
ce monde que je hais – en sa misère,
méprisant et perdu – par un scandale obscur de ma conscience…