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Citation de Charybde2


Les pleurs de l’excavatrice (I) – 1956

Ce n’est qu’aimer, et que connaître,
qui compte, non d’avoir aimé,
ni d’avoir connu. C’est angoisse

que vivre d’un amour
révolu. L’âme ne grandit plus.
Voici que dans la chaleur enchantée

de la nuit noire, qui, là-bas,
parmi les méandres du fleuve, et la vision
de la ville assoupie parsemée de lumières,

frémit encore de mille vies,
désaffection, mystère, et misère
des sens, me rendent hostiles

ces formes du monde, qui, hier encore,
constituaient ma raison d’être.
Triste et las, je rentre chez moi, parmi

de noires places de marché, de tristes
routes, tout autour du port fluvial,
parmi les baraques et les entrepôts mêlés

aux derniers prés. Ici règne un silence
de mort : mais tout en bas, boulevard Marconi,
ou à la gare, au bord du Tibre, le soir

paraît encore doux. Vers leurs faubourgs,
leurs hameaux, s’en retournent sur de petites
motos – en bleus, ou bien en pantalons

de travail, mais pleins d’un entrain joyeux,
des jeunes gens, avec un camarade en selle,
hilares, crasseux. Les derniers clients

bavardent, debout, à voix
haute, çà et là, dans la nuit, aux tables
des cafés encore éclairés et presque vides.

Pauvre, merveilleuse cité,
tu m’as appris ce que les hommes
joyeux et cruels, apprennent, enfants,

les petites choses où se découvre
la paisible grandeur de la vie, le fait, ainsi,
de marcher, vigilant et dur, dans la cohue

de la rue, de s’adresser à un autre homme
sans trembler devant lui, de ne pas avoir honte
de vérifier l’argent compté

d’un doigt paresseux, par l’employé
qui file, en sueur, au long des façades,
dans la couleur d’un éternel été ;

me défendre, attaquer, avoir
le monde sous les yeux, et non
seulement dans mon cœur, comprendre

que peu de gens connaissent les passions
dont est faite ma vie :
que s’ils n’ont rien de fraternel, ce sont pourtant

des frères, puisqu’ils connaissent, justement,
des passions d’hommes
et que, joyeux, inconscients, absolus,

ils vivent d’expériences
qui me sont inconnues. Pauvre, merveilleuse
cité, tu m’as fait faire

l’expérience de cette vie
inconnue : jusqu’à me faire découvrir
ce qu’était, pour chacun, le monde.

(…)
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