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Citation de lanard


La représentation charismatique des "grands" marchands ou des grands éditeurs comme découvreurs inspirés, qui, guidés par leur passion désintéressée et irraisonnée pour une oeuvre, on "fait" le peintre ou l'écrivain ou lui ont permis de se faire en le soutenant dans les heures difficiles par la foi qu'ils avaient placée en lui et en le débarrassant des soucis matériels, transfigure des fonctions réelles : l'éditeur ou le marchand peut seul organiser et rationaliser la diffusion de l'oeuvre, qui, surtout peut-être pour la peinture, est une entreprise considérable, supposant information (sur les lieux d'exposition "intéressants", surtout à l'étranger) et moyens matériels ; lui seul peut, agissant en intermédiaire et en écran, permettre au producteur d'entretenir une représentation inspirée et "désintéressée" de sa personne et de son activité en lui évitant le contact avec le marché, en le dispensant des tâches à la fois ridicules et démoralisantes liées au faire-valoir de son oeuvre. (...)
Mais, en remontant du "créateur" au "découvreur" comme "créateur du créateur", on n'a fait que déplacer la question initiale, et il resterait à déterminer d'où vient au commerçant d'art le pouvoir de consacrer qu'on lui reconnaît, la question pouvant être posée, dans les mêmes termes, à propos du critique d'avant-garde ou du "créateur" consacré qui découvre un inconnu ou qui "redécouvre" un devancier méconnu.(...)
Si l'on veut éviter de remonter sans fin dans la chaîne des causes, peut-être faut-il cesser de penser dans la logique théologique du "premier commencement", qui conduit inévitablement à la foi dans le "créateur" : le principe de l’efficacité des actes de consécration réside dans le champ lui-même et rien ne serait plus vain que de chercher l'origine du pouvoir "créateur" cette sorte de mana ou de charisme ineffable, inlassablement célébré par la tradition, ailleurs que dans cet espace de jeu qui s'est progressivement institué, c'est-à-dire dans le système des relations objectives qui le constituent, dans les luttes dont il est le lieu et dans la forme spécifique de croyance qui s'y engendre.
En matière de magie, il ne s'agit pas tant de savoir quelles sont les propriétés spécifiques du magicien, ou celles des instruments, des opérations et des représentations magiques, mais de déterminer les fondements de la croyance collective ou, mieux, de la méconnaissance collective, collectivement produite et entretenue, qui est au principe du pouvoir que le magicien s'approprie : si, comme l'indique Mauss, il est "impossible de comprendre la magie sans le groupe magique", c'est que le pouvoir du magicien est une 'imposture légitime' [souligné par Bourdieu], collectivement méconnue, donc reconnue. L'artiste qui, en apposant son nom sur un ready-made, lui confère un prix de marché sans commune mesure avec son coût de fabrication doit son efficacité magique à toute la logique du champ que le reconnaît et l'autorise ; son acte ne serait rien qu'un geste insensé ou insignifiant sans l'univers des célébrants et des croyants qui sont disposés à le produire comme doté de sens et de valeur par référence à toute la tradition dont leurs catégories de perception et d'appréciation sont le produit.
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