donne des raisons à l'impératif de l'autonomie de l'art et une légitimité à celui-ci en tant que science critique.
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Un professeur (d'école d'art) un jour nous a dit: "si vous devez lire un seul livre, lisez celui-là"
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À lire uniquement si on fait des études en histoire de l'art, autrement, on pourrait mourir d'ennui. Cela dit, les propos sont intelligents et bien structurés, mais ô combien hermétiques!
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Il n'est sans doute pas facile, même pour le créateur lui-même dans l'intimité de son expérience, de discerner ce qui sépare l'artiste raté, bohème qui prolonge sa révolte adolescente au-delà de la limite socialement assignée, de l'"artiste maudit", victime provisoire de la réaction suscitée par la révolution symbolique qu'il opère.
Ainsi s'explique que, comme le remarque Marcel Duchamp, les retours à des styles passés n'aient jamais été aussi fréquents : "La caractéristique du siècle qui se termine est d'être comme un "double barelled gun" : Kandinsky, Kupka ont inventé l'abstraction. Puis l'abstraction est morte. On n'en parlerait plus. Elle est ressortie trente-cinq ans après avec les expressionnistes abstraits américains. On peut dire que le cubisme est réapparu sous une forme appauvrie avec l'école de Paris d'après-guerre. Dada est pareillement ressorti. Double feu, second souffle. Cela n'existait pas au XVIII ou XIXe. Après le romantisme, ce fut Courbet. Et le romantisme n'est jamais revenu. Même les préraphaélites ne sont pas une nouvelle mouture des romantiques."
C'est ainsi par exemple que, quand Hugo lui écrit qu'il n'a "jamais dit, l'Art pour l'Art", mais "l'Art pour le Progrès", Baudelaire qui, dans une lettre à sa mère, parle des "Misérables" comme d'un "livre immonde et inepte", redouble dans son mépris pour le sacerdoce politique du mage romantique. Après la période militante de 1848, il rejoint Flaubert dans un désenchantement conduisant au refus de toute insertion dans le monde social et à la condamnation indifférenciée de tous ceux qui sacrifient au culte des bonnes causes, comme George Sand, sa bête noire.
Dans le champ artistique ou littéraire parvenu au stade actuel de son histoire, tous les actes, tous les gestes, toutes les manifestations sont, comme dit bien un peintre, "des sortes de clins d'oeil à l'intérieur d'un milieu" : ces clins d'oeil, références silencieuses et cachées à d'autres artistes, présents ou passés, affirment dans et par les jeux de la distinction une complicité qui exclut le profane, toujours voué à laisser échapper l'essentiel, c'est-à-dire précisément les interrelations et les interactions dont l'oeuvre n'est que la trace silencieuse. Jamais la structure même du champ n'a été aussi présente dans chaque acte de production.
Le ressentiment est une révolte soumise La déception, par l'ambition qui s'y trahit, constitue un aveu de reconnaissance. Le conservatisme ne s'y est jamais trompé : il sait y voir le meilleur hommage rendu à l'ordre social, celui du dépit et de l'ambition frustrée : comme il sait déceler la vérité de plus d'une révolte juvénile dans la trajectoire qui conduit de la bohème révoltée de l'adolescence au conservatisme désabusé ou au fanatisme réactionnaire de l'âge mûr.
Enseignement 2016-2017 : de la littérature comme sport de combat
Titre : Introduction
Chaire du professeur Antoine Compagnon : Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie (2005-2020)
Cours du 3 janvier 2017.
Retrouvez les vidéos de ses enseignements :
https://www.college-de-france.fr/site/antoine-compagnon
Le cours de cette année répond à celui de 2014 qui portait sur la « guerre littéraire » de 1914-1918, c'est-à-dire sur l'inscription de la réalité de la guerre dans les oeuvres, et sur les différentes postures, souvent paradoxalement pacifiques, que l'expérience de la guerre a prescrites aux écrivains. Il s'agira cette année au contraire d'envisager la production littéraire comme lieu d'une conflictualité sui generis, tantôt sur le mode d'une détermination au combat d'idées, tantôt sur le mode d'une compétition pour la survie au sein de ce que Pierre Bourdieu, dans Les Règles de l'art, a décrit comme le « champ » littéraire. Il s'agit aussi de faire un sort à une figure rencontrée dans le cours de 2016 : celle du crochet de l'écrivain chiffonnier, mise en place par Baudelaire, et qui pouvait toujours se retourner en arme. À partir de Baudelaire et en remontant dans la modernité littéraire, on découvre une généalogie d'images : la plume-épée des Dialogues et entretiens philosophiques De Voltaire, ou la plume de fer par laquelle, bien avant l'apparition de l'objet industriel lui-même, Ronsard décrit son ambition de défense d'une France royale et catholique, dans la Continuation du Discours des misères de ce temps (1563).
La création littéraire se définit régulièrement par comparaison avec les sports de combat, et même plus généralement avec le sport, en tant que le sport a rapport au combat, c'est-à-dire à la compétition. Il y a, chez elle aussi, des championnats, des prix, la possibilité d'un dopage. Tout jeune écrivain, avertit Fontenelle, doit se préparer à entrer en lice ; Maurice Barrès lui-même, qui s'est beaucoup tenu à distance des accidents de la camaraderie littéraire, a l'impression de rejoindre un « match professionnel » au moment de rendre compte de son exploration de l'Égypte. Tous les grands écrivains du XIXe siècle, à peu d'exceptions près, se sont battus en duel, comme si ce moment de duel révélait la valeur agonistique latente de la littérature. La littérature, plutôt ou autant qu'au loisir (otium), n'aurait-elle pas rapport au negotium, au remue-ménage ? La pacification, la consolation comptent parmi ses opérations possibles, mais leur inverse paraît une tendance constitutive de la création et de l'existence littéraire.
L'abbé Irail, dans ses Querelles littéraires (1761), s'intéressait à la figure d'Archiloque, tout à la fois premier poète lyrique et premier poète satirique, qui fait de la poésie avec sa colère et son désir de vengeance. le génie et la querelle sont liés : il n'y a pas eu de siècle de grand talent, observe-t-il, qui ne fût un siècle de grande agitation et de grande jalousie entre les écrivains. Comme dans la théorie économique de Bernard Mandeville, il semble que, dans les arts, les vices privés servent le bien général et que le florissement d'une culture repose sur la querelle permanente de ses représentants.
Notre rapport à la littérature reconnaît implicitement une telle dimension pugilistique, proprement romantique ; c'est la règle du winner takes all. Pierre Bourdieu et Harold Bloom ont été les théoriciens de cette difficulté de survivre en littérature, et de cette dynamique réelle de la littérature, bien différente d'un glissement naturel d'âges, qui fait se heurter d'une part les gloires littéraires acquises, pour qui l'urgence est de durer, d'autre part les aspirants à la gloire, qui savent qu'ils n'acquerront le droit de durer qu'en rejetant leurs prédécesseurs dans le passé.
Sportifs, escrimeurs, prisonniers : ce sont plusieurs figures, au sens de Roland Barthes, de cette agonistique motrice de la vie littéraire entre la Restauration et le Second Empire, qui seront envisagées tout au long du cours.
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