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Citation de Saspeutu


« Et maintenant, me voici comme un homme qui toute une longue nuit aurait veillé, de plus en plus angoissé par le silence, de plus en plus cerné par la Présence qui n'a point de nom. L'aride soliloque de l'âme s'est calmé : plus j'avançais dans la fatigue, et plus intime il se mêlait au rêve patient de la terre. C'est le matin : la maison est encore endormie. J'ouvre ma fenêtre : je sens la pointe de l'aube sur mon cœur. Seigneur, il fait bon sur cette terre encore seule, que les hommes tout à l’heure vont emplir de leur bruit. Ce pommier, les bras chargés d'œuvres, s'incline vers moi pour la salutation matinale : arbre, je te salue ! Quelle que soit la détresse du monde, cette certitude au moins m’est laissée, que j'éprouve en mordant une pomme. Et tant d'autres, simples comme elle, qui se rappellent à moi par ce fruit. J'ai passé trente ans à les mépriser, car elles étaient à portée de ma main et banales. Trente ans à chercher la vérité dans l'esprit seul. Ces trente années n'ont duré qu'une nuit : ce matin, tandis que mon palais garde encore l'amère saveur d'un épuisant débat, l'unité du monde m'est révélée dans une pomme. Que de douleurs, et que de morts, pour en venir à cette évidence! Il y a des hommes qui sont morts - mes amis - pour que je puisse, un matin d'été, tendre la main vers une branche, et choisir le plus beau fruit. Je songe à cet impossible miracle : un pommier dans un camp de concentration.
Il est vrai que le bonheur est dans l'instant : mais non point cet instant que l'on se hâte de saisir, de vider, pour passer ensuite à d'autres. Un instant grave, lourd d'expérience, qui résume en lui d'immenses sacrifices,des efforts démesurés. Démesurés? Entre l'enfant qui mange une pomme et cet adulte douloureux qui mord en elle l'univers, la différence est d'un monde. La vie simple, toute donnée, nous ne la rejoignons qu'après l'avoir rassemblée toute, quand nous pouvons, en pleine conscience, nous certifier à nous-mêmes que tout est dans tout. Elle n'en demeure pas moins simple, mais à la manière d'une symphonie dont chaque mesure contient la loi. Dans ce geste d'atteindre une pomme et d'y plonger les dents, je confirme ma présence au monde : acte d'amour en lequel je ne suis plus seul, mais accordé sans le savoir à tous mes frères. Il me suffit d'un regard intérieur pour les sentir se presser en moi. » ~ Pierre Emmanuel
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