Citations de Pierre Emmanuel (32)
Un besoin immense d’aimer
Qu’aucune nostalgie ne console
Voilà ma preuve
Contre tout le savoir
Voilà le creux de ma certitude
Ce trou au centre
Que rien dans les mondes
Ne peut obturer
Science sur science coulent sans cesse
À travers ce trou
II n’en reste au fond qu’une flaque
Où l’humour céleste
Se joue
La science disent-ils n’est pas faite
Pour la faim ni la soif
Or moi qui ne me nourris que du bleu
Je le lape justement dans la flaque
Pour me moquer
De l’impuissance de la connaissance
À le connaître
Comme à le nier
Les livres
Sont pleins de mots
Que l'œil agite
Dans le cerveau
Jeu d'osselets
Qu'on froisse et froisse
Et nul jamais
N'en sut les règles
Hormis le vent
Hormis le vent
En un monde où la vie intérieure est murée, l’insatisfaction des âmes passe pour signe de névrose, laquelle doit être et sera guérie. Il y aurait fort à dire sur le concept de névrose tel que notre intelligence, irresponsable et aboulique de nature, est en passe de l’étendre comme une tache d’huile à l’explication de tout combat spirituel.
Dieu seul réel
Dieu seule absence
Que sont les mots
Sans le silence ?
(p.45)
Il faudra bien qu'un jour tant de saisons stériles
le cédent au miracle ingénu des bourgeons;
mais saurons-nous te reconnaître ô vert fragile
ô pépiement confus des jeunes floraisons?
"L'homo consumens" est l'homme dont le but principal n'est pas initialement de "posséder" des choses, mais de "consommer" de plus en plus, et de compenser ainsi son vide intérieur, sa passivité, sa solitude et son anxiété.
(p.73)
Je suis
L’écho d’une pierre
Pierre ou coeur qui déséspère
De toucher le fond du puits
Je suis
Le frisson d’une onde
Onde au long des nerfs du monde
Je n’éveille que ma nuit
Je suis
L’ombre de mes veines
Veines charriant mes peines
Au fil du sang qui me fuit
Je suis
Les gonds d’une porte
Porte donnant sur la morte
Saison où vague l’ennui
SEULS COMPRENNENT LES FOUS
Une once d'amour dans le sang
Un grain de vérité dans l'âme
Ce qu'il faut de mil au moineau
Pour survivre un jour de décembre
Crois-tu que pèsent davantage
Les plus grands saints ?
Il faudrait creuser davantage : la "nouvelle religion", c'est la transgression illimitée, caricature fantastique de l'élan vers le transcendant. C'est aussi une réaction paroxystique de l'instinct contre sa propre banalisation.
(p.73)
Chaque grand poète intégre le monde d'une façon qui n'est qu'à lui.
(" Les nouvelles littéraires")
JE SAIS
(fragments d'une Passion)
J'ai vu sur terre la gangrène des charniers
J'ai vu le ciel encrassé de cendre humaine
J'ai vu l'haleine des superbes
Embuer de sang l'univers
J'ai vu pourrir le cœur des puissants sur leurs lèvres
J'ai vu des hommes qu'on disait sages
Parce qu'ils marchaient entre les flaques de sang
J'ai vu les justes humer les massacres
comme si le large leur gonflait les poumons
J'ai vu les bons jeter Dieu en avant
Et c'était une marée d'extermination
Ils étaient vêtus du lin blanc des paroles
Pour que le sang ne les salît pas
J'ai ouvert la bouche Dieu m'est témoin
J'ai voulu parler
Mon cœur n'en pouvait plus d'être un cœur d'homme
Il voulait éclater sur les hommes
En un cri à fendre le ciel
Mais l'air m'a mis son poing dans la gorge
Il m'a tiré du cœur des mots de mensonge
Que j'ignorais
Il les a mis dans ma bouche
Et je les ai dits
Je serais mort plutôt que de les dire
Et je les ai dits
À mon tour j'ai changé les mots en charogne
L'âme humaine faite de mots
Pourrit par ma faute à la face de Dieu
Je suis devenu ce parleur
Qui a perdu le sens de la Parole
Mes yeux sont le miroir du mensonge
Et mes oreilles l'écho du mensonge
Et ma bouche le creuset du mensonge
Et mon âme gorgée de mensonge
Écume aux lèvres de Dieu mourant
Qui profère un seul mot sans mentir ?
Qui oserait crier vers la croix :
Je n'ai pas tué le Verbe ?
J'ai tué le Verbe de Dieu
Je suis un assassin comme les autres.
Mais tous ne savent pas qui meurt par eux
Moi
Je le sais.
O peuples prisonniers de vos terreurs profondes
et dont l'âme croupit dans le sang de vos morts
O peuples sans écho que nul cri ne révolte
vint-il du plus secret des pierres torturées...
Au nom secret
I a pas que Dieu al mond e Dieu i es pas
Joan LARZAC
Ô mon amour je tiens parmi les hommes
Ton nom scellé mais ne chante que toi
Comme sous l’herbe une source chatoie
Que sans jamais te nommer je ne nomme
Que toi en tout ce qui tient nom de moi
Rends-moi présent Que je cesse d’attendre
Ce qui m’entoure en attente de moi
Donne à mon œil d’être humble envers mes doigts
Pour que je prenne ici au lieu de tendre
Filet troué le regard au-delà
Que de mes mains je modèle un langage
Souffle pétri qui m’engouffre et m’accroît
Plus s’ouvre un cœur plus il est à l’étroit
Ainsi du monde où lève ton image
Qui le nourrit en l’affamant de toi
INTERROGATOIRE
A Claude Vigée
I
Je ne remplirai plus vos questionnaires
Je ne sais comment je m’appelle
Qui est ce Je qui appelle
Ni ce moi qui est appelé
Ni ce jeu entre Je et moi
Cette vie à tu et à toi
Ces deux-ci partageant cet Un-là
Un seul masque et deux faussetés.
« Et maintenant, me voici comme un homme qui toute une longue nuit aurait veillé, de plus en plus angoissé par le silence, de plus en plus cerné par la Présence qui n'a point de nom. L'aride soliloque de l'âme s'est calmé : plus j'avançais dans la fatigue, et plus intime il se mêlait au rêve patient de la terre. C'est le matin : la maison est encore endormie. J'ouvre ma fenêtre : je sens la pointe de l'aube sur mon cœur. Seigneur, il fait bon sur cette terre encore seule, que les hommes tout à l’heure vont emplir de leur bruit. Ce pommier, les bras chargés d'œuvres, s'incline vers moi pour la salutation matinale : arbre, je te salue ! Quelle que soit la détresse du monde, cette certitude au moins m’est laissée, que j'éprouve en mordant une pomme. Et tant d'autres, simples comme elle, qui se rappellent à moi par ce fruit. J'ai passé trente ans à les mépriser, car elles étaient à portée de ma main et banales. Trente ans à chercher la vérité dans l'esprit seul. Ces trente années n'ont duré qu'une nuit : ce matin, tandis que mon palais garde encore l'amère saveur d'un épuisant débat, l'unité du monde m'est révélée dans une pomme. Que de douleurs, et que de morts, pour en venir à cette évidence! Il y a des hommes qui sont morts - mes amis - pour que je puisse, un matin d'été, tendre la main vers une branche, et choisir le plus beau fruit. Je songe à cet impossible miracle : un pommier dans un camp de concentration.
Il est vrai que le bonheur est dans l'instant : mais non point cet instant que l'on se hâte de saisir, de vider, pour passer ensuite à d'autres. Un instant grave, lourd d'expérience, qui résume en lui d'immenses sacrifices,des efforts démesurés. Démesurés? Entre l'enfant qui mange une pomme et cet adulte douloureux qui mord en elle l'univers, la différence est d'un monde. La vie simple, toute donnée, nous ne la rejoignons qu'après l'avoir rassemblée toute, quand nous pouvons, en pleine conscience, nous certifier à nous-mêmes que tout est dans tout. Elle n'en demeure pas moins simple, mais à la manière d'une symphonie dont chaque mesure contient la loi. Dans ce geste d'atteindre une pomme et d'y plonger les dents, je confirme ma présence au monde : acte d'amour en lequel je ne suis plus seul, mais accordé sans le savoir à tous mes frères. Il me suffit d'un regard intérieur pour les sentir se presser en moi. » ~ Pierre Emmanuel
AUX PARLEURS DE PAROLES
Extrait 3
Quand le simoun à l’Orient se lève, quand les peuples soufflent
du désert
Quand le sang claque des hampes, c’est un lâche que celui
Qui n’a point au bout de sa pique un lambeau de son propre sang.
Tout le faubourg à marée haute à l’assaut, la ville danse comme
une gabarre,
C’est moi qui suis au-devant de leur troupe ce nuage repu de
fureur
Moi qui crève sur mes prêtres et mes temples, sur vous, faux
prêtres, vous aussi
Voleurs de chapes et d’encensoirs, fabricateurs d’une idole de
vous-mêmes
Sculpteurs de Dieu dans un marron d’Inde, artistes, philosophes,
savants
Qui faites voler les copeaux du néant et croyez que ce sont des
paroles
Qui évidez tellement votre vide que la varlope vous mord les
la fin !
AUX PARLEURS DE PAROLES
Extrait 2
Pourquoi vous faire grands avec des mots ? Philosophes au
cerveau de crécelle
Bâtisseurs de monuments de papier, de Babels au front saturé
d’encre
Je vous entends, cadavres bavards. Vous prétendez vous
dépouiller
De votre linceul de journaux, mais c’est une montagne et
non un linceul
Une montagne sans consistance plus lourde pourtant que
la pierre :Et vous, Surhommes lazaréens à quatre pattes
dans le tombeau
Ruez des reins comme un mulet qui voudrait jeter son bât à terre
— Vous la nommez révolution cette révolte domestiquée !
Les vrais prophètes parmi vous, ce sont ceux qui se taisent terribles
Même moi, je ne puis les entendre : taciturnes qui n’ont plus de mots
Ayant sondé la connaissance de l’homme et vu s’effriter leur langage,
Les prospecteurs de l’humaine misère, les aventuriers de la faim
Les pionniers de la férocité sans limites, les mangeurs de chair
d’homme et les mangés.
AUX PARLEURS DE PAROLES
Extrait 1
Je vous entends, dit l’Éternel. Et je sais bien que vous avez fait
De votre blasphème un tympanon, de votre désespoir une cymbale :
En célébrant votre néant c’est votre orgueil qui se glorifie
Son creux vous crève le tympan, vous confondez votre vacarme
Et la gueule d’apocalypse qui luira comme le fond de la mer
Quand elle flottera poisson mort le ventre à l’air à la crête des
hommes
À la crête des drapeaux rouges, au fer des piques accrochés.
INTERROGATOIRE
A Claude Vigée
III
Homme debout telle une forêt d’hommes
Quand il dit je chacun se nomme en lui
Sa frondaison bourgeonne de visages
Quêtant ses yeux pour s’y voir définis
Oui vraiment Je que nul moi n’incarcère
Centre parfait qui rayonne et s’oublie
Il a le temps d’être un dans tous ses frères
Et tout entier ici et maintenant
Foyer infime et raison de la sphère
Il est élu de l’éternel présent
INTERROGATOIRE
À Claude Vigée
III
Celui qui laisse une femme au matin
Fraîche et mouillée comme rose au jardin
Il est le père de tous les hommes
Il est fondé sur l’orgueil de ses reins
La glorieuse humilité de ses reins
Il est le même innombrable il est Un
Multiplié par le ciel plein d’étoiles
Et par l’écume au vente de la mer