Dans un monde mécanisé, hérissé de technocrates, de planificateurs, d’économistes, de règlements, de slogans publicitaires, de fusées atomiques, de messieurs sérieux très occupés, de casernes pour familles nombreuses, [le bohème] sauve l’honneur de l’individu. Excentrique seulement en apparence, il obéit avec sérieux à des lois secrètes, élaborées par lui seul. Lorsque Baudelaire se teint les cheveux en vert, lorsque Gérard de Nerval promène au Palais-Royal un homard en laisse, quand Alfred Jarry dîne en commençant par le dessert pour terminer avec les hors-d’œuvre, ou que Roland Dorgelès présente au salon des Indépendants un tableau peint avec la queue d’un âne, ces esprits ingénieux détruisent le cadre artificiel et oppresseur des convenances, des conventions et des routines. Ils ouvrent une fenêtre.
Grêle comme un gâteau de miel, l’air d’une bonne fille, sans doute, mais la tournure balourde, quelque chose qui oscille entre la blanchisseuse de Paris et la gouvernante d’un pharmacien de bourgade… nul air de coquinerie ni d’esprit. C’est ainsi que Murger répandait son idéalisme sur toute jupe crottée.
Comme « il parlait anglais avec un si fort accent qu’on ne comprenait rien à ce qu’il disait », Théophile Gautier lui dit : « Eh bien, mon cher Vabre, il ne te reste plus pour traduire Shakespeare qu’à apprendre le français. – Je vais m’y mettre, répondit-il gravement. »
Il vit d’expédients, fréquente les mansardes, les ateliers en quête d’une invitation à dîner, pratique ce qu’il appelle « l’art de souper sans se coucher et de se coucher sans souper », brûle ses meubles pour faire du feu, ne se lève que l’après-midi afin d’économiser le déjeuner.
Monsieur Sapek ? – Lui-même. – Le directeur du journal l’Anti concierge ? – Parfaitement. – Je suis abonnée, mais je ne reçois jamais votre journal. – Rien d’étonnant, nous ne l’envoyons jamais aux abonnés, cela faisait du tort à la vente au numéro.