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Citation de Partemps


Et derrière nous s’éloigne l’oasis, toute sa fantasmagorie de nuages dorés et de palmes noires. A nouveau, c’est le désert ; — mais un désert de plus en plus affreux, où il y a de quoi perdre courage. Des trous, des ravins, des fondrières ; un pays ondulé, bossue ; un pays de grandes pierres cassées et roulantes, où les sentiers ne font que monter et descendre, où nos bêtes trébuchent à chaque pas. Et sur tout cela qui est blanc, tombe la pleine lumière blanche de la lune.

C’est fini de ce semblant de fraîcheur, qui nous était venu de la verdure et des ruisseaux ; nous retrouvons la torride chaleur sèche, qui même aux environs de minuit ne s’apaise pas.

Nos mules, agacées, ne marchent plus à la file ; les unes s’échappent, disparaissent derrière des rochers ; d’autres, qui s’étaient laissé attarder, s’épeurent de se voir seules, se mettent à courir pour reprendre la tête, et, en passant, vous raclent cruellement les jambes avec leur charge.

Cependant la terrible falaise Persique, toujours devant nous, s’est dédoublée en s’approchant ; elle se détaille, elle nous montre plusieurs étages superposés ; et la première assise, nous allons bientôt l’atteindre.

Plus moyen ici de cheminer tranquille en rêvant, ce qui est le charme des déserts unis et monotones ; dans cet horrible chaos de pierres blanches, où l’on se sent perdu, il faut constamment veiller à son cheval, veiller aux mules, veiller à toutes choses ; — veiller, veiller quand même, alors qu’un irrésistible sommeil commence à vous fermer les yeux. Cela devient une vraie angoisse, de lutter contre cette torpeur soudaine qui vous envahit les bras, vous rend les mains molles pour tenir la bride et vous embrouille les idées. On essaie de tous les moyens, changer de position, allonger les jambes, ou les croiser devant le pommeau, à la manière des Bédouins sur leurs méharis. On essaie de mettre pied à terre, — mais alors les cailloux pointus vous blessent dans cette marche accélérée, et le cheval s’échappe, et on est distancé, au milieu de la grande solitude blanche où à peine se voit-on les uns les autres, parmi ce pêle-mêle de rochers : coûte que coûte, il faut rester en selle...

L’heure de minuit nous trouve au pied même de la chaîne Persique, effroyable à regarder d’en bas et de si près ; muraille droite, d’un brun noir, dont la lune accuse durement les plis, les trous, les cavernes, toute l’immobile et colossale tourmente. De ces amas de roches silencieuses et mortes, nous vient une plus lourde chaleur, qu’elles ont prise au soleil pendant le jour, — ou bien qu’elles tirent du grand feu souterrain où les volcans s’alimentent, car elles sentent le soufre, la fournaise et l’enfer.

Une heure, deux heures, trois heures durant, nous nous traînons au pied de la falaise géante, qui encombre la moitié du ciel au-dessus de nos têtes ; elle continue de se dresser brune et rougeâtre devant ces plaines de pierres blanches ; l’odeur de soufre, d’œuf pourri qu’elle exhale devient odieuse lorsqu’on passe devant ses grandes fissures, devant ses grands trous béans qui ont l’air de plonger jusqu’aux entrailles de la terre. Dans un infini de silence, où semblent se perdre, s’éteindre les piétinemens de notre humble caravane et les longs cris à bouche fermée de nos muletiers, nous nous traînons toujours, par les ravins et les fondrières de ce désert pâle. Il y a çà et là des groupemens de formes noires, dont la lune projette l’ombre sur la blancheur des pierres ; on dirait des bêtes ou des hommes postés pour nous guetter ; mais ce ne sont que des broussailles, lorsqu’on s’approche, des arbustes tordus et rabougris. Il fait chaud comme s’il y avait des brasiers partout ; on étouffe, et on a soif. Parfois on entend bouillonner de l’eau, dans les rochers de l’infernale muraille, et en effet des torrens en jaillissent, qu’il faut passer à gué ; mais c’est une eau tiède, pestilentielle, qui est blanchâtre sous la lune, et qui répand une irrespirable puanteur sulfureuse. — II doit y avoir d’immenses richesses métallurgiques, encore inexploitées et inconnues, dans ces montagnes.

Souvent on se figure distinguer là-bas les palmiers de l’oasis désirée, — qui cette fois s’appellera Daliki, — et où l’on pourra enfin boire et s’étendre. Mais non ; encore les tristes broussailles, et rien d’autre. On est vaincu, on dort en cheminant, on n’a plus le courage de veiller à rien, on s’en remet à l’instinct des bêtes et au hasard...

Cette fois, cependant, nous ne nous trompons pas, c’est bien l’oasis : ces masses sombres ne peuvent être que des rideaux de palmiers ; ces petits carrés blancs, les maisons du village. Et, pour nous affirmer la réalité de ces choses encore lointaines, pour nous chanter l’accueil, voici les aboiemens des chiens de garde, qui ont déjà flairé notre approche, voici l’aubade claire des coqs, dans le grand silence de trois heures du matin.

Bientôt nous sommes dans les petits chemins du village, parmi les tiges des dattiers magnifiques, et devant nous s’ouvre enfin la lourde porte du caravansérail, où nous nous engouffrons pêle-mêle, comme dans un asile délicieux.
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