Citations de Pierre Maubé (33)
notre vie cette luciole
brillante au bord du chemin
luciole
qui tremble
au creux de la main
luciole
de lumineux instinct
luciole
d'infime destin
luciole
qui s'éteint le matin
dans la lueur de l'aube
Je donne ton nom à la source
pour qu'elle en abreuve la mousse,
pour un sourire de printemps,
pour une mélodie d'automne.
Je donne ton nom à l'arc-en-ciel
pour que l'horizon le recueille
et lui fasse un berceau de rosée
et des funérailles de givre.
Je donne ton nom à l'amour
pour qu'il l'emporte aux pays de légende
où les vents disperseront
le souvenir de tes parfums
et le mirage de ton ombre.
( Revue Arpa n 120 121 )
Combien de temps combien de pages
avant la blessure du soir
combien de pluies et de nuages
et de lumières disparues
les regards brillent dans les songes
comme des étoiles perdues
les voix s'éloignent sur la rive
comme un écho exténué
fidélité du paysage
au crépuscule des saisons
combien de pas combien de gestes
sous la poussière des instants (...)
l'oiseau vespéral
vole silencieusement
dans les sous-bois
de la mémoire
presque invisible
une lézarde
paraphe la nuit
et les étoiles
une à une
y sombrent
mais leur lueur
demeure
au secret de nos yeux
Revue Arpa
Clairières
Extrait 3
L’invisible vent sur les hautes herbes, caresse et frisson. Le
regard aujourd’hui ne sera pas blessé.
Déploie ton doute, rassure ta lueur.
Un gnome qui est toi rit de tes élans. Ne lui accorde pas le
pouvoir de mesurer ton souffle.
Le vert de tes prairies d’enfance. Calciné mais non aboli.
Toute trêve est nourricière. Épouse l’adversité.
Une source renaît du matin. Accueille son chant. Sois l’oiseau
de sa confiance.
/Arpa no129-130, 2020
Clairières
Extrait 2
La fougère connaît la rareté de la lumière. Comme elle,
peuple le murmure, respecte chaque saison.
Lisières du fruit, ta défiance s’endort. C’est l’aube.
Ignore la grêle des procès, vendange tes promesses. Tu
donneras le vin de tes mirages, et l’on t’en saura gré.
Ours, loup, chardonneret – toi. Ne choisis pas.
L’éclair des certitudes, la musique vaine des remords.
Ta patience a raison. Ton impatience aussi. Fiance-les.
La salive impure des journées peut submerger tes rêves, non les noyer.
Alterne l’orage et l’aurore, la prédation et la fuite, la pénombre et l’étoile.
Ne te réfugie pas.
…
VAINE
Cette caresse profuse, ce marais luminescent,
germination incessante, lieu sans nom au sens absent.
Lieu de l’effort, de l’attente, du levant
et du ponant de la peine, lieu s’ouvrant
sur la peur universelle, la vérité aux abois.
Pleine veine, lieu du temps,
lieu du passage et du vide, lieu du sang,
lieu de la rumeur secrète, soulevant
les tempêtes souveraines, fleuve blanc,
milieu des promesses vaines, s’enivrant
de chaque tourbillon rouge,
de chaque fleur dénouée.
Notre closerie commune, notre secret partagé,
notre nuit intime où germe notre plus intime voix,
notre vie nue et fragile, notre force ruisselant
dans la pénombre intérieure, la caverne des marées.
Pierre Maubé, inédit.
Cette nuit le corps de la mort
s'est allongé contre mon corps,
comme une vase familière,
un marécage affectueux.
Chaque pas ouvre une route
que nous ne suivrons pas jusqu’au bout,
mais dont l’horizon nous aimante.
Chaque geste rompt la digue
de l’immobilité et du renoncement,
l’eau déferle, le flot monte,
le cœur bat, une histoire commence.
Chaque mot enfante
dans le secret de notre souffle
la possibilité
du poème.
Le ciel est un bol de faïence
reflétant le thé vert des prés,
une vache qui rêve lève la tête
et regarde passer un nuage de lait.
Nous pourrions faire de l’exil…
Nous pourrions faire de l’exil
l’approche d’une étoile.
Nous pourrions faire de l’absence
le lieu d’une promesse.
Nous pourrions faire de la faim
la source du partage.
Nous pourrions faire du silence
le nid d’un souffle lent.
Noyé du temps que l'eau emporte
une fois refermée la porte,
tu sais la rive des instants,
au bord usé des vagues mortes
tu joues, tu rêves,
tu attends.
Nulle part
Extrait 1
Nous n'allons pas plus loin
que le poids de la terre,
nous n'allons pas plus loin
que l'aire de la soif.
Nous nous accoutumons
au temps de nos silences,
nous nous accoutumons
à l'exil de nos cris.
Un autre à travers nous
invente une rivière,
un autre fait de nous
un souvenir doré.
in Revue Friches, n° 94, Cahiers de Poésie verte 2006
A l’épaule du rêve
monte le soir comme une brume,
mais lentement, si
lentement
qu’une baie noire sous la dent
trouve encore le temps de mûrir, de mourir.
Malgré l’automne
et malgré l’hiver,
toujours
persistant
à croître ;
déjà la fleur,
et la tige s’incline,
déjà le fruit,
et la terre l’attend.
Intime
germination de chaque souffle
dans ce qu’il faut de sang et de silence
pour que le mot puise à la source
son goût de lune lente.
Inconfortable
(I) / D
Si doux que soit ce poème, si chaste, si soupirant, si Lamartine, si
Henri de Régnier, si Marie Noël, si mélodieux, si violon qu’il soit, il
est violence.
Rythme, scansion, percussion.
Rythme, scansion, percussion, violence.
La voilà, l’émotion.
Celle du poète. Nausées, écoulements, gésine, expulsion.
Celle du lecteur. Giflé, griffé, blessé, j’ai mal, j’avais besoin de ce
poème et je ne le savais pas, j’étais orphelin et veuf et j’ai
rencontré ce poème et je l’ai reconnu et me voilà conscient de ma
solitude et je ne la supporte plus.
J’ai toujours faim, j’ai toujours soif, j’ai toujours froid, je suis
toujours seul mais ce poème est là. Il est le pain qui ne calme pas
ma faim, le vin qui ne calme pas ma soif, le feu qui ne chasse pas le
froid, le sourire qui me laisse seul – mais il est là.
Il ne me quittera jamais.
Que la douleur qu’il a fait naître et qu’il fera renaître soit bénie.
D'une obstination de mousse,
d'une vigilance de fougère,
d'une patience de lichen,
notre présence est résistance
et gloire murmurée
à l'ombre de ce monde.
Nous n'allons pas plus loin
que le poids de la terre,
Nous n'allons pas plus loin
que l'aire de la soif.
Nous nous accoutumons
au temps de nos silences,
nous nous accoutumons
à l'exil de nos cris.
Un autre à travers nous
invente une rivière,
un autre fait de nous
un souvenir doré.
Extrait 3
J’aimerais dire… mais ce refrain soumis à je ne sais quelle
musique me laisse coi, ébloui, effaré, noyé de nuit, perdu,
obscur, corps échoué sur un rivage noir.
J’aimerais dire au gouffre goguenard qui s’ouvre sous mes
pas de se laisser oublier le temps d’un souffle, le temps d’un
chant, le temps d’un geste nu ou d’un soupir, le temps d’un
rayon de soleil.