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Citation de Tandarica


Dans l’activité créatrice, le souci obsédant de la postérité est sans doute une naïveté puérile. Le public de demain, en effet, je ne trouve aucune raison valable pour qu’il me soit plus cher que celui d’aujourd’hui.
Pourtant, le goût de l’immortalité, cette sublime illusion des grandes âmes, qui semble avoir à peu près complètement disparu du monde des arts, a toujours été le plus puissant ressort de la création artistique. Aujourd’hui, l’ambition de survivre, fût-ce qu’un jour ou deux, ne paraît même plus permise.
Le lecteur de plus tard n’est fort probablement rien d’autre, c’est entendu, qu’une illusion. Il n’existe pas. Il n’existera peut-être jamais. Son aspect se dérobe en tout cas aux efforts de notre imagination amoureuse de construction précis. Mais, si Stendhal se méprenait en prophétisant que seuls les lecteurs de 1940 le comprendraient, il ne se trompait, néanmoins, pas à son désavantage. Revenu pour un instant parmi nous, il ne trouverait certainement aucun point de contact avec le plus frénétique de ses admirateurs. En somme, il a écrit comme pour les habitants d’une autre planète. Libre à vous de ne pas préférer cet abîme, qui le sépare même de ceux qui se sont emparés avec tant d’ardeur, de ses dépouilles, à la promiscuité que recherchent les auteurs habiles à si vite établir un niveau étale entre leurs dons personnels et les exigences multiples d’une foule redoutable sitôt que sa promiscuité ne nous permet plus d’ignorer son odeur.
D’abord atteindre cet écart, cette immense marge entre le créateur et le lecteur, cet espace salubre et net entre le public et la sensibilité d’une supérieure vigueur mais exagérément douloureuse du poète – ce rempart, enfin, en quoi Baudelaire voyait le plus grand avantage de la gloire. Ce que l’on comprend mieux si l’on admet qu’il ne puisse jamais s’agir, et quelle que soit la forme d’expression que d’un authentique poète – quand l’outil ne sert plus de rien – quand la plume n’est plus outil, mais le prolongement des nerfs au service du cœur de et de l’esprit.
Il est trop évident que l’artiste n’a pas à donner, à son époque, ce qu’il lui emprunte. S’il est grand, il comprend que sa véritable mission consiste à transmettre au futur ce que lui aura permis de réaliser et ce que lui demande de perpétuer le présent.

(pp. 80-82)
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