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Critiques de Pierre Salama (5)
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Contagion virale, contagion economique, ris..

La pandémie exacerbe tous les maux qui préexistaient à son apparition



« La pandémie est en cours en Amérique latine, peut-être sera-t-elle terminée au moment où vous lirez ces lignes, je l’espère. Au moment où j’écris ce livre (mars à juin 2020), elle parait loin de l’être et son pic ne semble pas encore atteint au Pérou, au Mexique, au Brésil, déjà fortement impactés. On pourrait se demander pourquoi ne pas attendre avant d’écrire ce livre et quelques-uns de mes amis m’ont posé cette question. Un peu périlleux de se lancer dans cette analyse alors que l’histoire n’est pas encore écrite. Il est toujours plus facile de la raconter une fois qu’on la connait. En ce qui me concerne, je suis de ceux qui ne pense pas que l’histoire suit un chemin inéluctable, il y a des bifurcations d’ordres économiques et ou politiques toujours possibles et je préfère me situer avant, au risque de me tromper, plutôt qu’après ».



Dans son introduction générale, Pierre Salama souligne que « La pandémie a agi comme un révélateur des fragilités d’un système » et que « la pandémie est également révélatrice de l’extrême fragilité des économies latino-américaines et de la solidité de leur système politiques ». Il revient sur les causes de la faible croissance depuis la fin des années 1980, « des inégalités de revenus et de patrimoines parmi les plus importantes du monde, une informalité du travail absolument considérable, une contrainte externe particulièrement élevée dans quelques pays qui provoque des irrégularités de croissance de type stop and go, une ouverture aux mouvements de capitaux bien plus importantes que celle des échanges de marchandises, une désindustrialisation dite précoce couplée d’un reprimarisation des exportations, un niveau de violence considérable » et souligne quelques éléments d’alternatives pour sortir de cette situation. L’auteur aborde aussi la mutation du virus en « virus politique », des prémices de bouleversements politiques, « L’apparition d’un populisme d’extrême droite, voire d’un « illibéralisme » menacent. Aussi pour analyser ces possibilités, un retour analytique sur les populismes du XXIe siècle devient nécessaire et une analyse approfondie des Eglises évangéliques sur lesquelles s’appuient nombre d’élus et ce d’autant plus qu’elles sont en forte croissance en Amérique latine. La comparaison avec les mouvements d’extrême droite européens quant à la composition sociale de leur électorats ou de leurs adhérents, leurs croyances, leurs rapports à l’autre, aux minorités, aux politiques, à l’importance de l’intervention de l’Etat et à la corruption, leurs traditions cultuelles et culturelles réactionnaires voire fondamentalistes, est riche d’enseignements ». Le futur reste cependant toujours ouvert, les possibles ne sont pas que strictement déterminés par les contraintes – les êtres humains « font librement leur histoire mais dans des conditions qui ne sont pas librement décidées par eux » -, cela implique de tirer des bilans sur politiques menées, de renouveler « en profondeur des propositions progressistes » et, j’ajoute, de favoriser les expériences auto-organisées des populations. « C’est un peu l’objet de ce livre, écrit dans le feu du déroulement de l’Histoire par quelqu’un qui aime particulièrement l’Amérique latine, son deuxième pays »…



Chapitre 1 : Adieu à l’hyper-globalisation ?



Tout en indiquant la différence entre une corrélation et une causalité, Pierre Salama souligne l’accélération des épidémies au niveau mondial, les liens « indirects » entre accélération des échanges et épidémie, les discours sur « la mondialisation heureuse », les raisons de la crise actuelle dans le sous-continent et les différences avec 2008.



Il revient, entre autres, sur les évolutions du taux de croissance des exportations et du PIB des années 1990 à la crise de 2008, l’hyper-globalisation et le ralentissement des exportations en valeur, l’éclatement de la chaine de valeur, le bouleversement de la division internationale du travail, la reprimarisation et la désindustrialisation, la perte de souveraineté, les fragmentations territoriales, la place des différents pays dans le processus d’éclatement de la chaine de valeurs, les « vertus mythiques » du libre échange, les multinationales et les sous-traitances, l’entrelacement du légal et de l’illégal, les emplois informels, la création de nouvelles dépendances et de nouvelles vulnérabilités.



L’auteur discute des effets de la pandémie, de la chute des volumes des échanges, des coûts financiers et de l’amoncellement de mort·es, des relocalisations à plusieurs vitesse. Il propose quelques pistes sur les futurs possibles rompant avec la poursuite en pire des politiques antérieures…



Chapitre 2 : Pourquoi les pays latino-américains souffrent-ils d’une stagnation économique sur longue période ?



La propagation mondiale du virus a « précipité et non provoqué, une crise économique, sociale et demain politique très importante en Amérique latine, plus grave que celle des années 1930 ». Pierre Salama aborde, entre autres, les dysfonctionnements de l’hyper-globalisation, l’accentuation des inégalités de revenus, les similitudes et les différences entre pays du sous-continent. Il détaille « les huit plaies de l’Amérique latine » : « 1) inégalités de patrimoine et de revenus très importantes ; 2) une informalité des emplois et un taux de pauvreté conséquents ; 3) une reprimarisation de l’économie ; 4) une détérioration de l’environnement importante ; 5) une ouverture financière plus importante que l’ouverture commerciale ; 6) une désindustrialisation précoce ; 7) une tendance à la stagnation économique ; 8) un niveau de violence extrêmement important surtout au Mexique, au Brésil, au Salvador, en Honduras et au Guatemala ». Il fournit des données statistiques globales et pays par pays sur la croissance du PIB, la productivité du travail, la formation brute de capital fixe…



J’ai particulièrement été intéressé par les éléments fournis sur certains pays et les comparaisons proposées qui permettent de comprendre les évolutions.



Une nouvelle ère du capitalisme semble s’ouvrir, un « retour du néocapitalisme « sans les soviets, mais avec la révolution numérique » ». Reste toujours une possible et optimiste alternative démocratique et auto-organisée « celle de la construction d’un socialisme, alliant les soviets et le numérique et la fin de l’Etat tout court plutôt que sa consolidation via une bureaucratie prédatrice… » Ou comme est titré le récent livre de Daniel Tanuro sur la crise climatique : « Trop tard pour être pessimiste ! »



Chapitre 3 : Du SRAS-CoV-2 à un virus social en Amérique latine



Pierre Salama revient sur la situation antérieure à la pandémie, « Le facteur exogène qu’est cette pandémie agit sur un tissu économique et social affaibli en Amérique latine », les politiques mises en place, les conséquences sociales et économiques, le retour de l’« Etat-nation », l’insuffisance des moyens de lutte contre la contagion, la minorisation des dangers, les inégalités devant la mort, les dépenses de financement de la santé très insuffisantes, « L’importance des dépenses privées, leur augmentation relative est un indicateur du déficit de solidarité du système de santé », la hausse de la mortalité directe et indirecte, les effets délétères de la globalisation et les secteurs à protéger, « On voit que derrière cette question c’est à la fois celle des limites du marchand et de sa logique de profit et celle d’une nouvelle définition de la frontière entre le marchand et le non marchand »…



Chapitre 4 : Contagion virale, risques politiques en Amérique latine



« L’objet de ce chapitre est 1) de rappeler ce qu’ont été les populismes au 21e siècle, 2) de montrer l’influence croissante desEglises évangéliques particulièrement dans les populations pauvres peut les conduire à appuyer de nouveaux courants populistes d’extrême droite ». L’auteur discute des politiques de redistribution, « Le vecteur commun des populismes progressistes est la solidarité entre citoyens, quelle que soit la race, la religion, la nationalité », de l’opposition des couches sociales à hauts revenus aux « options égalitaristes », de l’économie de rente, des analyses en termes de peuple, de l’exercice bonapartiste du pouvoir, des identifications religieuses, des populismes d’extrême droite et de la haine vis-à-vis des minorités, de la quête « de la nation idéale », des églises évangéliques et des références à la bible…



Je souligne les paragraphe d’analyse sur ces églises évangéliques et leurs discours, la baisse d’adhésion au catholicisme, les liens entre l’implantation évangélique et l’urbanisation très rapide, les oppositions à la « théologie de libération », les profils des adhérent·es, le refus de l’éducation des jeunes filles, « On sait que c’est parce que l’éducation libère que les groupes fondamentalistes religieux militent un peu partout dans le monde pour refuser l’accès à l’éducation des jeunes filles », les rapports « à l’ordre, l’avortement, le mariage entre homosexuels, l’aide aux pauvres », ce que peut signifier la haine, la culpabilisation individuelle et le déni de la société, la volonté de figer le temps et d’éterniser la famille, une radicalisation du discours « pour un Etat fort, compris comme un Etat qui n’a pas à s’encombrer du jeu des règles démocratiques »…

Pierre Salama n’oublie pas les mobilisations contre les violences faites aux femmes et les féminicides, et plus généralement les mobilisations féministes.



« Le futur n’est ni connu, ni inéluctable ». Aux crises et à leurs cortèges de misères, certain·es n’hésiteront pas à promouvoir des réponses réactionnaires autour d’un Etat fort avec leader charismatique, des nouvelles formes de populisme avec l’appui des Eglises évangéliques. « Mais la pandémie est peut-être aussi une opportunité pour changer en profondeur et décider un ensemble de mesures structurelles favorisant et le social et l’environnement afin d’emprunter enfin le chemin du développement durable »…



Il me semble important de développer les solidarités avec les mobilisations encours et à venir sur ce sous-continent, sans cependant considérer comme progressistes certains gouvernements dictatoriaux, à commencer par celui du Nicaragua…
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Nature et forme de l'état capitaliste : Analy..

Une contradiction politique fondamentale inscrite au sein même des rapports capitalistes de production



Ce livre renoue, enfin, avec des débats indispensables, présents notamment dans la défunte revue « Critique de l’économie politique » et les livres attachés à cette collection.



Alors que les débats et recherches me semblent trop souvent centrés sur les régimes politiques historiques, ce livre pose la question des « liens » entre Etat et mode de production capitaliste. Prendre à bras-le-corps cette question est toujours d’une grande actualité pour, d’une part, penser les réalités derrière les « voiles » tissés, et reconstruire d’autres part, de radicales critiques antiétatiques nécessaires à l’élaboration d’hypothèses stratégiques pour l’émancipation.



Dans son introduction, publiée avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse (lire sur le blog : entre les lignes entre les mots), Antoine Artous rappelle que Le Capital n’est pas un traité d’économie mais « une analyse du mode production capitaliste et de ses contradictions ». Il souligne, entre autres, que l’Etat n’est pas analysable « comme substance de classe trans-historique, mais comme « rapport de souveraineté et de dépendance », selon une formule de Marx, lié à un rapport d’exploitation spécifique ». Il évoque les traitements de l’Etat chez Antonio Gramsci, dans la « nébuleuse althussérienne », chez Nicos Poulantzas ou Michel Foucault et insiste sur les analyses de Jean-Marie Vincent, la thématique de la « critique de l’économie politique », du fétichisme… Il présente certains points présents dans les différents textes du volume et termine en forme d’invitation à débattre : « Au-delà, les caractéristiques propres à l’État capitaliste et les contradictions qu’il porte obligent, me semble-t-il, non de remettre en cause un radicalisme critique antiétatique, mais les apories de l’utopie marxienne du dépérissement de l’État « politique » au profit d’une problématique de démocratisation radicale du pouvoir politique. »



Sommaire :



Antoine Artous : Retour sur quelques difficultés et discussions



Tran Hai Hac : Etat et capital dans l’exposé du Capital



José Luis Solis Gonzalez : L’Etat comme catégorie de l’économie politique



Pierre Salama : L’Etat et ses particularités dans les pays émergents latino-américains. Une approche théorique à partir de l’école de la dérivation



Je n’aborde que certains points.



Dans son article, Antoine Artous revient sur les premières approches de l’Etat « comme institution spécifique, dotée d’une efficace et d’une certaine autonomie », en soulignant qu’elles font « de l’Etat une institution transhistorique porteuse de certains attributs… ». Mais quant-est-il de « la forme de l’Etat dans une période historique donnée », ici le capitalisme ?



L’auteur parle d’une relation (« de souveraineté et de dépendance ») qui prend forme dans un rapport de production spécifique, puis de « rapport social de production et d’exploitation intégrant, dans sa définition même, une dimension politico-juridique qui ne relève donc pas de la simple superstructure ».



Antoine Artous souligne les caractéristiques de l’Etat « moderne », « Etat politique séparé », cristallisation d’une nouvelle institution historique « l’Etat représentatif comme pouvoir public ». Il parle d’abstraction politique, « l’Etat se sépare (s’abstrait) de la société civile et produit l’abstraction du citoyen », d’individus saisis à travers une forme abstraite « l’égalité politico-juridique, et non plus selon la place qu’ils occupent dans une hiérarchie sociale définie par des statuts sociopolitiques »



L’auteur propose des développements sur « l’objectivité du mouvement », la bureaucratie comme autre face de l’Etat représentatif, comme autre face de la citoyenneté démocratique. Il poursuit sur le « travailleur libre », le « despotisme d’usine », la force de travail…



« Travailleur libre », libre (privé) de tout rapport direct à des moyens de production et libre de disposer de sa personne, « socialement saisi comme un échangiste marchand ; donc un individu équivalent, égal aux autres individus ». C’est une première source de contradictions. « En fait, le salarié est traversé par deux formes d’individualisation contradictoires : l’une portée par les formes de subjectivation juridico-politiques, l’autre structurée par les « disciplines » et la figure du « travailleur parcellaire ». ». Nous sommes évidement ici dans l’abstraction analytique, il convient dans chaque situation historique de prendre en compte les écarts entre le formel et le réel, c’est une seconde source de contradictions.



Après avoir rappelé des considération sur la « force de travail » (sujet qui sera plus longuement développé dans un article suivant), Antoine Artous poursuit sur des caractéristiques de l’Etat capitaliste, Etat politique séparé, « relations » entre Etat et marché, Etat souverain procédant au monnayage et le garantissant, Etat occupant une place « constitutive dans le rapport salarial », Etat en « autonomie relative par rapport à la classe dominante, comme effet de la séparation des rapports de propriétés et des rapports de souveraineté ». Il parle aussi de la bureaucratie…



J’ai particulièrement été intéressé par le chapitre sur « le sujet juridico-politique », la structuration de l’Etat et du droit « dans un seul et même acte », le fétichisme de la marchandise, l’existence « d’une contradiction politique fondamentale inscrite au sein même des rapports capitalistes de production »…



L’auteur poursuit sur les rapports entre Etat et territoire, la construction des Etats-nations, la mondialisation néolibérale, les instances transnationales de régulation.



Comme l’auteur, je parage la phrase de Daniel Bensaïd « L’ordre logique prime l’ordre génétique » et son complément « Naturellement, cela n’exclut pas l’histoire ». Antoine Artous parle de faire « dériver » l’Etat des rapports de production capitaliste. Touchant à la conceptualisation même des rapports de production capitaliste, il note « Certes la forme politico-juridique existe comme forme sociale (objective) fétichisée issue des rapports de production capitaliste, mais elle est également structurante de ces rapports ; plus exactement du rapport spécifique de souveraineté et de dépendance qu’elle porte. Elle n’est pas une simple forme phénoménale dérivée, elle structure aussi les contradictions « internes » à ces rapports ».



L’auteur parle des Etats dits de la « périphérie », ce sujet sera développé dans deux autres articles, de la formule dEtienne Balibar d’« égaliberté », de la place centrale de « l’énoncé de citoyenneté », de refondation du pouvoir politique sur une base démocratique radicale…



Tran Hai Hac revient sur l’Etat et le capital dans l’exposé de Karl Marx. « Une première hypothèse qu’explore le présent texte est que l’indétermination et les incertitudes qui concernent le traitement de la monnaie et de la force de travail dans l’exposé du Capital tiennent à ce que Marx semble faire abstraction de l’Etat dans la conceptualisation du rapport marchand et du rapport salarial » et au delà des écrits épars de Karl Marx sur l’Etat, « le présent texte, dans sa seconde partie, explore l’hypothèse d’une théorisation concomitante de l’Etat et du capital : Le Capital ne peut être pensé sans l’Etat ; conceptuellement capital et Etat se constituent dans un rapport de polarité ».



L’auteur revient sur une forme spécifique d’exploitation, l’appropriation par une classe du surtravail d’une classe, la spécification du rapport capitaliste d’exploitation par le rapport marchand et le concept de monnaie, « l’acte social par lequel une marchandise accède au monopole de la représentation sociale de la valeur ne peut-être qu’un acte de l’Etat en tant que représentant de la société ». Il parle de légitimité dans la représentation de la valeur, de polarité entre monnaie et marchandise, « la monnaie et la marchandise se supposent-elles l’un l’autre : aucune ne préexiste à l’autre », de rapport social pour le mode spécifique de monnayage…



J’ai notamment été intéressé par le chapitre sur la force de travail (lire cependant une remarque en fin de note) « marchandise imaginaire », le rappel que cette force de travail n’est pas le produit d’un procès capitaliste de production (idem), des objets pouvant « formellement avoir un prix sans avoir de valeur », la « forme marchandise », le rapport marchand entre « possesseurs d’argent et possesseurs de force de travail » rapport entre deux classes sociales. « Autrement-dit, la forme marchandise de la force de travail est le mode d’inscription dans les rapports marchands de ceux qui n’ont pas de marchandise à vendre »…



Loin des schématismes, souvent développés en regard de l’oeuvre de Karl Marx, Tran Hai Hac analyse les normes d’utilisation et de reproduction de la force de travail (sur cette reproduction, je renvoie une nouvelle fois à mon questionnement en bas de cette note). Il rappelle qu’il n’y a pas de « mécanisme économique » de détermination de la valeur d’échange de la force de travail, parle de rapports de forces sociales, d’antinomie de « droit contre droit » que seule la force peut trancher. Je souligne, contre les nouvelles théorisations autour de la « capacité d’agir », que le rapport salarial ne peut-être que conflictuel, et qu’il en est de même de tous les rapports sociaux, de tous les rapports de domination.



L’auteur poursuit sur le taux d’exploitation, l’inscription des normes sociales dans l’espace de l’Etat-nation, la nature politique et le caractère institutionnel des déterminants de la journée de travail, l’Etat comme rapport social constitutif du rapport salarial, l’unité contradictoire du rapport salarial et du rapport marchand, la polarité de l’Etat moderne et de la société civile bourgeoise, la nature de classe de l’Etat et la forme démocratique, « il désigne un Etat de classe spécifique – l’Etat des citoyens -, la domination politique sous forme spécifique, la forme démocratique », les formes particulières de régime politique…



Il termine sur le « double statut marchand et citoyen du travailleur libre », la non réduction du « travailleur salarié » à celle « d’un porteur de force de travail »…



« Aussi, la forme Etat moderne a-t-elle un double aspect : d’une part, il s’agit d’une catégorie fétichisée, forme illusoire d’universalité qui dissimule les relations d’inégalité et despotisme de la société bourgeoise, et en ce sens l’Etat moderne participe à la reproduction du capital. Mais d’autre part, la forme n’étant jamais totalement ni définitivement subsumée par le contenu, cette liberté et cette égalité, que l’Etat moderne institue formellement entre les citoyens, est aussi ce par quoi s’affirment – ne serait-ce que « potentiellement » – la négation du capital et le dépassement de son Etat de classe »



Contre des interprétations descriptives ou fonctionnalistes, José Luis Solis Gonzalez revient sur les apports de l’Ecole de la « dérivation ». Il faut expliquer pourquoi « dans le mode de production capitaliste, les rapports sociaux apparaissent en même temps sous des formes « économiques » (marchandise, valeur, argent, capital) et sous forme d’Etat ». L’auteur parle d’une « unité-dans-la-séparation » qui caractérise le rapport de l’Etat au capital.



Il analyse successivement « l’Etat comme « institutionnalisation » des intérêts généraux des capitalistes », « l’Etat comme forme particulière du rapport social capitaliste », la contribution de Pierre Salama et Gilberto Mathias.



De la première approche, l’auteur critique, entre autres, le fonctionnalisme (l’état n’est pas pensé comme rapport social), la mise en avant des aspects techniques et administratifs, le manque d’historicité, « on ne part pas de l’antagonisme qui spécifie la société capitaliste », l’éviction des contradictions propres au système…



De la seconde approche, il souligne l’accent mis « sur la nécessité de dériver l’Etat des déterminations de base du mode de production capitaliste, donc du rapport capitaliste de production lui-même », parle de la coercition consubstantielle aux rapports capitalistes, d’une instance sociale éloignée des rapports économiques,, du procès de centralisation de la force… Il indique la non-prise en compte de la dynamique contradictoire de l’accumulation capitaliste, la surestimation de la capacité d’autorégulation du marché, la sous-estimation de la capacité d’intervention étatique… « l’Etat et l’accumulation doivent être envisagés, à tous les niveaux de l’analyse, comme des expressions différenciées de la lutte de classes entre le travail salarié et le capital, comme des formes sociales de ce rapport antagonique dont la dynamique d’ensemble n’est que le processus permanent de sa restructuration »



Gilberto Mathias et Pierre Salama introduisent l’idée de l’Etat comme « abstraction réelle », forgent le concept de l’« économie mondiale constituée ».



L’auteur parle aussi de régime politique, « La notion de régime politique est donc fondamentale parce qu’elle nous permet d’expliquer pourquoi, dans des circonstances historiques précises, l’Etat capitaliste peut apparaître au niveau de la réalité immédiate avec un caractère non capitaliste », d’intervention publique, de procès de légitimation…



José Luis Solis Gonzalez indique que pour Gilberto Mathias et Pierre Salama « l’Etat n’est pas déduit des classes sociales, de leur existence et de leur jeu, mais du capital en tant que rapport social de base de la société bourgeoise », ce qui ouvre de nouvelles perspectives analytiques, entre autres, pour les économies dites « sous-développées ». « Dans les économies aujourd’hui sous-développées, la nature capitaliste de leurs Etats répond donc, non pas à l’émergence d’une bourgeoisie industrielle autochtone comme classe dominante, non pas au développement des contradictions de leurs propres formations sociales dans le sens d’une genèse interne du capitalisme, mais à l’insertion de leurs économies dans l’économie mondiale et à l’articulation spécifique de leurs Etats avec les Etats/nations des économies capitalistes dominantes »



Les rapports de production préexistants furent soumis à « un processus de décomposition/recomposition par l’effet d’une pénétration complexe et chaotique des rapports marchands, aidés par l’Etat, qui inclut la transformation de la force de travail en marchandise et une étendue intervention publique directe et indirecte dans la sphère productive ». Je pense que l’on pourrait élargir cette idée de décomposition/recomposition, de pénétration des rapports marchands, d’aide de l’Etat, à bien des rapports sociaux et pas seulement dans les économies dites sous-développées. Quoiqu’il en soit, l’auteur parle de propagation incomplète et spécifique de rapports d’échange, de propres contextes culturels de contenus de légitimation par l’Etat (j’ajoute, y compris les inventions de tradition), de processus inégal et contradictoire…



Pierre Salama analyse l’Etat et ses particularités dans les pays émergents. Il parle des bouleversements de l’économie mondiale, de régimes politiques formes phénoménales des Etats, de spécialisation internationale imposée, d’économie mondiale comme un tout structuré en mouvement… Il précise « que nous sommes en présence d’Etats-nations, c’est-à-dire de classes sociales et non pas de nations entretenant entre elles des rapports inégaux ».



L’auteur revient sur l’histoire de l’industrialisation dans certains pays et sur la classe des entrepreneurs, « Très souvent, l’Etat participe à l’émergence de cette classe sociale, et parallèlement, crée les règles qui permettront aux marchés de fonctionner. Paradoxalement, l’Etat a créé ainsi une grande partie la classe sociale qu’il est censé représenter ».



Pierre Salama interroge les régimes politiques, « L’Etat est une abstraction réelle un peu comme la valeur l’est ; le régime politique est la forme phénoménale de l’Etat comme le prix de marché l’est de la valeur » et les questions de légitimité qui ne prennent pas les mêmes voies que dans les pays « avancés ». Il évoque la multiplication de « gouvernements forts » jusque dans les années 1980 en Amérique du sud, le divorce très important « entre les progrès de la démocratie d’une part et le maintien des inégalités de revenus et de patrimoines très fortes », revient sur l’histoire de la gestion de la force de travail, l’épuisement progressif du modèle de croissance, le rôle important de l’Etat dans la formation du salariat…



Il fait un « détour » par la théorie pour expliquer pourquoi « L’Etat apparaît pour ce qu’il n’est pas », pourquoi la nature de classe de l’Etat est voilée, parle des mutations qualitatives lorsque « la lutte de classe prend de l’ampleur ». En citant Jean-Marie Vincent, il écrit « La lutte de classes exacerbée devient alors une « mise en question radicale de formes sociales fétichisées (rapport sociaux en extériorité combinées avec des catégories mentales objectivés), lorsqu’elle tend à restituer aux travailleurs les forces collectives de l’organisation économique et politique dont ils sont dépouillés ». »



Il ajoute que le capital et l’Etat sont liés de manière organique, parle de la généralisation de la marchandise, de légitimation de l’Etat reposant sur la fétichisation des rapports de production capitalistes, de « contradiction en soi » de la marchandise… Il précise que « L’autonomie relative de l’Etat existe par rapport à une classe alors que celle du régime politique se définit par rapport à l’ensemble des classes sociales »



L’auteur revient de manière critique sur ses anciennes analyses et indique « l’Etat n’est pas seulement le garant des rapports de production capitaliste, il est le canal par lequel ceux-ci se diffusent et ce faisant il produit la classe sociale qu’il est censé représenter ».



Il termine sur le minage de l’Etat national par la mondialisation, le brouillage entre l’illicite et le licite…



Aux « marges » de ces analyses, mais au cœur d’une incomplétude et d’une difficulté, je voudrai poursuivre un « débat engagé » avec certains auteurs dans ma note de lecture de Contre Temps N°21, 2ème trimestre 2014 (Les Cahiers de l’émancipation : Prolétariat, vous avez dit prolétariat ?), sur le travail domestique et gratuit des femmes en regard de la « constitution » de la force de travail.



Antoine Artous écrit ici : « La force de travail est bien achetée par le capital, mais elle n’est pas produite par lui. C’est le travailleur qui, par son salaire, prend en charge sa reproduction, notamment à travers la famille ». Je ne vois pas comment ne pas comprendre qu’il s’agit d’un travailleur-homme et dans un rapport social (de parenté, de domination, d’exploitation, etc.) l’organisation de la « reproduction de la force de travail-homme »… Quant-est-il donc de la mobilisation des femmes dans la reproduction de la force de travail-homme, dans la reproduction de leur propre force de travail ?



Les analyses, dont je partage les grandes lignes, de Tran Hai Hac, dans le paragraphe « les normes d’utilisation et de reproduction de la force de travail » sont muettes sur ce sujet. Et, comme il écrit que force de travail n’est pas le produit d’un procès capitaliste de production, il conviendrait d’indiquer de « quoi elle est le produit », d’autant qu’il note en annexe « La valeur d’échange de la force de travail n’est pas déterminée, comme celle de toute marchandise, par le travail socialement nécessaire à sa production, mais correspond au seul travail nécessaire à produire les biens de subsistance entrant dans la reproduction de la force de travail » mais quant-est-il, une fois de plus, du travail gratuit des femmes « socialement nécessaire à sa production » ?



Il s’agit d’une « difficulté » théorique à affronter, à l’aide, entre autres, d’analyses des féministes matérialistes.



Sans m’appesantir sur les conséquences de ce débat, ce petit livre sur « la nature et forme de l’Etat cap
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Des pays toujours émergents ?

L’économie mondiale forme un tout structuré, hiérarchisé et non figé



Voir présentation de l’auteur : https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2014/11/08/vient-de-paraitre-pierre-salama-des-economies-emergentes-toujours-emergentes/

De cette description résumée de la situation, je retient deux séries de questions :



« Les économies émergentes sont-elles à la veille de difficultés économiques importantes ? Le ralentissement de la croissance et des exportations de la Chine, de l’Inde, et de nombreux pays latino-américains, conjugué à un retour dans ces derniers de la contrainte externe, en sont-ils les signes avant-coureurs ? »



« Aussi, au-delà du mythe véhiculé sur « l’état de santé » des économies émergentes la question pertinente est de savoir si les économies émergentes ne sont pas à la fin d’un cycle d’expansion initié dans les années dans les années 1980 et 1990 en Asie et dans les années 2000 en Amérique latine, annonciateur de difficultés accrues pour le monde du travail »



J’indique que Pierre Salama, au long de l’ouvrage, propose des définitions critiques des termes habituellement employés (dont la notion d’émergence) et fournit des tableaux synthétiques de certaines données « économiques ».



Son intérêt s’est porté particulièrement sur le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, mais d’autres pays sont étudiés.



Pierre Salama montre que si « l’économie mondiale forme un tout structuré, cette organisation n’est pas figée », que « les pays émergents forment donc un tout différencié où les points de ressemblance côtoient les divergences ». Il souligne des caractéristiques communes : distribution très inégale des revenus, informalisation importante des emplois (sauf en Afrique du Sud – il explique cette situation en rapport avec la politique apartheid et de contrôle de la population), écarts de productivité du travail entre entreprises particulièrement prononcés, corruption répandue, opacité importante des décisions gouvernementales… L’auteur indique aussi des différences significatives : démographie, taux de croissance, taux d’investissement, spécialisation internationale (dont place des produits primaires), situation des comptes extérieurs, dette publique, développement des infrastructures, phénomènes de violence…



Pierre Salama analyse les changements de l’environnement international et ses impacts sur les économies des pays dits du Sud. Il insiste particulièrement sur l’« éclatement international de la chaine de valeur ». Il parle du développement des échanges internationaux (les exportations mondiales croissent plus vite que le produit intérieur brut (PIB) mondial), de l’accélération de l’ouverture commerciale (non synonyme de libre-échange absolu), du rôle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), des échanges de services, de l’intensification des échanges « Sud-Sud », des non-équivalences entre exportations de produits manufacturés et de produits primaires, des mouvements des multinationales, de reprimarisation (Amérique Latine et Afrique du Sud), des investissements (investissements directs étrangers – IDE) entrants et sortants. Il souligne un phénomène nouveau : « Les économies émergentes sont devenues exportatrices d’IDE » et ajoute « Cette montée en puissance des investissements sortants est probablement l’évolution la plus marquante de la dernière décennie. Il rend caduque toute une série de théorisations sur les économies de la périphérie ».



Le chapitre trois est consacré aux parcours économiques et aux fragilités différenciées de la Chine, de l’Inde et de l’Afrique du Sud, le quatrième aux parcours et vulnérabilités en Amérique latine.



Puis Pierre Salama s’interroge sur l’éradication de la pauvreté. Il critique l’approche monétaire de la pauvreté et montre que la pauvreté est en recul (trente dernières années), recul causé principalement par les évolutions en Chine et dans une moindre mesure en Amérique latine, le « contre-exemple » étant l’Afrique sub-saharienne. L’auteur poursuit sur la distribution inégale de revenus…



Les « classes moyennes » sont bien une catégorie sociale « fourre-tout ». De plus, les définitions en termes de revenus ne donne aucun indication sur les rapports sociaux réels. Quoiqu’il en soit, l’auteur montre le caractère illusoire des constructions faisant de l’essor des « classes moyennes » l’origine ou le support de la croissance.



Le dernier chapitre traite de cette « croissance qui coûte cher à l’environnement ».



Un petit ouvrage clair, présentant des changements importants et leurs limites.




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Les économies émergentes latino-américaines. Entr..

Clair et pédagogique, nourri comme toujours, avec Pierre Salama, d'une réflexion sur l'histoire (et son sens), l'ouvrage intéressera tous ceux, professeurs et étudiants, qui essaient d'y voir clair dans la redistribution en cour des cartes.
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Les économies émergentes latino-américaines. Entr..

Le dernier ouvrage de Pierre Salama, [...] ne manquent pas d’atouts pour retenir l’attention du public. [...] Il montre comment les pays émergents, terme devenu si banal qu’on peut y englober ce que l’on veut, sont loin de former un ensemble homogène.
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Quand les enquêteurs parlent...

— Il s’en est fallu d’un cheveu ! Sans son regard rapide, sans ses yeux de lynx, XXX XXXX, en ce moment, ne serait peut-être plus de ce monde ! Quel désastre pour l’humanité ! Sans parler de vous, Hastings ! Qu’auriez-vous fait sans moi dans la vie, mon pauvre ami ? Je vous félicite de m’avoir encore à vos côtés ! Vous-même d’ailleurs, auriez pu être tué. Mais cela, au moins, ce ne serait pas un deuil national ! Héros de Agatha Christie

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