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4.93/5 (sur 80 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Paris , le 19/04/1831
Mort(e) à : Paris , le 03/11/1900
Biographie :

Pierre Louis Véron est un journaliste et écrivain français.

À l'issue de brillantes études et après avoir envisagé d'entrer à l’École normale, il se tourne très tôt vers la littérature et le journalisme. Après avoir débuté en 1854, il collabore jusqu'en 1858 à la "Revue de Paris" et à "La Chronique" et publie en 1857 un recueil de poésies, "Réalités humaines". Au début des années 1860, il est le secrétaire de l'homme de lettres Philarète Chasles.

En 1859, Véron est entré au "Charivari", célèbre revue satirique, dont il devient le rédacteur en chef et le directeur après la mort de Louis Huart en décembre 1865. Il succède également à Huart en tant que rédacteur en chef du Journal amusant.

Chroniqueur attitré du Monde illustré, il collabore à de nombreux journaux dont "La Revue de Paris", "Le Monde illustré", "Le Courrier de Paris". En 1858, il devient rédacteur au "Charivari". En 1865, il en devient rédacteur en chef – à la suite de Louis Huart – jusqu’en 1899.
Il devient également rédacteur en chef du "Journal amusant" (1865-1899)

Pierre Véron est aussi l'auteur de très nombreuses œuvres d'esprit boulevardier, recueils d'articles et récits humoristiques de mœurs parisiennes comme "Paris s’amuse" (1861) ; en collaboration avec Henri Rochefort, le vaudeville "Sauvé, mon Dieu" (1865) ; "La Mythologie parisienne" (1867).

Membre de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, il a écrit quelques pièces de théâtre, a également mis des paroles sur des compositions de Charles Gounod et de Paul Henrion et a servi de librettiste à Robert Planquette.

Marié depuis 1856 à Nathalie-Laure Angerant, Pierre Véron divorce en 1885 et se remarie quatre ans plus tard avec Euphémie-Marie-Augustine Heuse.
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Source : http://www.juliettedrouet.org
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Citations et extraits (170) Voir plus Ajouter une citation
Chateaubriand arrivait au milieu de cette absurde littérature du premier empire qui fut le plus hideux mélange de prétention et de platitude.
Du premier coup, il fut écoeuré et rompit avec ses contemporains.
Mais il y avait du mauvais goût dans l’air ; il en respira sans le vouloir, sans le savoir.
Doit-on pour cela le démolir, comme font ces critiques d’estaminet qui ont cru tuer un homme d’un mot en vous disant :

Lamartine !… Peuh !… Un geigneur !

Ou bien :

Ne me parlez pas de Chateaubriand… Une ganache !

Tachez donc d’être ganaches ainsi, eunuques de lettres, qui ne faites rien et décriez tous ceux qui ont fait quelque chose !

La vérité est que beaucoup de choses ont vieilli dans le bagage de Chateaubriand.

Aujourd’hui, nous ne pouvons plus lire sans écoeurement certaines tirades ampoulées de René ou Atala. Mais ce n’est pas la faute de Chateaubriand, c’est la faute de son époque.

Il peut y avoir un corps vigoureux et harmonieux sous un costume ridicule.

D’ailleurs, les Mémoires et les Fragments poétiques suffiraient à faire vivre Chateaubriand.

Quant à l’homme privé, il fut, il faut bien le dire, pétri d’un amour-propre intolérable.
C’était un pape qui croyait à son infaillibilité.

Aussi fut-il profondément irrité par le succès des nouveaux venus dont la réputation vint disputer le soleil à la sienne.

On nous contait à ce propos une anecdote inédite qui est tout à fait caractéristique.

C’était à l’Abbaye Aux Bois, où Chateaubriand trônait d’ordinaire. On avait annoncé pour ce soir-là la venue d’un jeune poète qui en était à ses débuts, mais dont on commençait à affirmer le talent. Le jeune poète arriva, en effet, et, avec une certaine recherche de timidité, se met à réciter trois ou quatre pièces de vers à la fois simples et passionnées, rejetant les vieux moules et les emphases banales.
Ce jeune homme, c’était Alfred de Musset.
Quand il eut fini, Chateaubriand, qui avait écouté d’un air mécontent, fut questionné par quelqu’un sur ce qu’il pensait de ce qu’il avait entendu.
Et plissant dédaigneusement la lèvre :

- Je n’aime pas, fit-il, qu’on mène la Muse à la guinguette.

La prétendue guinguette vivra plus longtemps que le temple où Chateaubriand s’adorait lui-même.
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LA NUIT DES MORTS
HALLUCINATION
La scène se passe au cimetière Montparnasse, le soir du Jour des Morts.
La foule — il faudrait dire peut-être : la cohue — qui n'a cessé d'encombrer, durant toute la journée, les lugubres avenues, s'est dispersée avec la nuit.

Une épaisse obscurité enveloppe le funèbre enclos. Un silence profond règne dans le champ de repos, si étrangement populeux tout à l'heure.

Peu à peu, cependant, le calme nocturne est troublé par des chuchotements, confus comme un murmure. Les chuchotements deviennent de plus en plus distincts ; d'autres bruits leur répondent, et bientôt un dialogue général s'engage entre les tombes.

UN TOMBEAU PHILOSOPHE : « Enfin !... Le voilà passé encore une fois, ce jour où nous sommes expropriés de notre paix suprême — pour cause de fête publique. »

UN MAUSOLÉE VANITEUX : « Il me semble qu'il n'y a pas de quoi se plaindre... Cela change un peu, de voir du monde ! »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE : « Vous confondez, mon noble voisin... Ce qui vous charme, ce n'est pas de voir, mais d'être vu... Vous qui avez — jusque dans la mort — voulu posséder pignon sur rue. »

LE MAUSOLÉE VANITEUX : « C'est la jalousie qui vous fait parler... Parce que vous n'avez qu'un simple entourage de bois blanc. »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE : « Jaloux ! Moi !... Et de quoi, mon pauvre ami ?... Je n'eus jamais le goût de la propriété. Je suis locataire d'un humble coin après comme pendant la vie... Affaire d'habitude. Seulement, après comme pendant, j'aime ma tranquillité. Autrefois je n'allais jamais dans le monde... Aujourd'hui je regrette que le monde vienne à moi ! »

LE MAUSOLÉE VANITEUX : « Et pourquoi, s'il vous plaît ? »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE : « Pourquoi ?... Parce qu'à distance on peut encore se faire illusion sur les vivants, tandis que de près... Que voulez-vous ? Je ne comprends pas les douleurs de commande et les désespoirs à heure fixe... À regarder tous ces promeneurs gantés, pommadés, endimanchés, il m'a semblé que ces gens-là venaient faire ici un petit tour pour s'ouvrir l'appétit, et que notre dernière demeure était pour eux un bois de Boulogne comme un autre !... »

LE TOMBEAU D’UN LITTÉRAIRE.— « Vous avez raison ! Mille fois raison ! Les hommes ne sont que des ingrats et des oublieux. »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — « Je n'ai pas tout à fait voulu dire cela... Il y a des exceptions à la règle. »

LE TOMBEAU D’UN LITTÉRAIRE. — « Non ! Il n'y en a pas ! Quand je pense, moi qui vous parle, que, de mon vivant, je fus une célébrité académique ! »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — « Et qu'on a l'imprudence de ne plus s'occuper de vous ! »

LE TOMBEAU D’UN LITTÉRAIRE. — « Comment ? Ne plus s'occuper ! C'est bien pis encore ! Ils ne se rappellent même plus mon nom ! »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — « Et vous croyiez pourtant bien vous en être fait un ! »

LE TOMBEAU D’UN LITTÉRAIRE.— « Mais, il y a vingt ans, on ne parlait que de moi ! Mes ouvrages faisaient prime... Mon antichambre était assiégée d'admirateurs... Lorsqu'on m'a conduit ici, l'Institut entier faisait cortège ! On a prononcé sur ma dépouille six discours, six, où l'on déclarait que la littérature ne me remplacerait jamais ! Eh bien ! aujourd'hui, trois mille personnes au moins sont passées devant ma tombe ; et, en lisant l'inscription qui la décore, chacun de s'écrier : « Trois Étoiles ! Connais pas ! »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — « Ce qui prouve que la littérature a tenu parole. Elle ne vous a pas remplacé, elle se passe de vous. »

LE TOMBEAU D’UNE MÈRE. — « Mon pauvre cher enfant ! comme il est grandi ! Ah ! si j'avais pu m'échapper un instant de ma froide prison, quand il était là, à genoux sur le gazon ! comme je l'aurais embrassé ! Ils me l'ont laissé si peu de temps, ces étrangers qui ont, par charité, recueilli le malheureux orphelin... mon Dieu ! mon Dieu ! ils ne le rendent peut-être pas heureux ! Son mignon visage m'a semblé tout pâle ! Ils me le tueront de travail... »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — « Bienfaisance à 25% de rendement, il y en a beaucoup comme cela. »

LE TOMBEAU D’UNE MÈRE.— « Ah ! maintenant je regrette presque de l'avoir vu ! mieux aurait valu ignorer ce qui se passait après moi ! »

LE TOMBEAU D’UNE JEUNE FILLE. — « Elles étaient belles, ces deux riches demoiselles qui se sont arrêtées un instant devant ma pierre tumulaire... Belles ! je l'étais aussi ! je méritais d'être aimée, autant qu'elles le méritent... Mais est-ce qu'on est aimée sans dot ? celui que mon coeur avait choisi a préféré l'ambition à l'amour... il a eu raison, et moi j'ai bien fait de mourir, puisqu'il ne s'est pas même souvenu aujourd'hui ! »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — « Ainsi va le monde ! si j'avais rencontré cette âme-là là-haut, il y aurait peut-être ici deux habitants de moins ! »

LE TOMBEAU D’UN VIEIL ONCLE. — « Le sacripant ! le vaurien ! »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — « De la colère posthume ? Qui va là ? »

LE TOMBEAU D’UN VIEIL ONCLE. — « Dire que j'ai été assez sot pour me laisser trépasser en instituant ce coquin mon légataire universel ! »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — « Alors c'est un neveu qui a omis de se rendre à ses devoirs ? »

LE TOMBEAU D’UN VIEIL ONCLE. — « Au contraire ! Il s'y est rendu, et je l'aurais volontiers tenu quitte de sa visite. Venir me narguer par son luxe, c'est-à-dire qu'il avait un costume qui lui avait au moins coûté cinq cents livres ! ce que je dépensais en toute une année ! Malédiction ! »

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — « Tout beau ! Calmez-vous. »

LE TOMBEAU D’UN VIEIL ONCLE. — Me calmer ? Quand je pense que j'ai vécu cinquante ans de privations, que j'ai entassé sou sur sou pour que ce mécréant gaspille en prodigalités mes chères économies ! Je parie qu'il avait une voiture qui l'attendait à la porte ! Moi qui n'en ai jamais pris, de voiture, que le jour où l'on m'a amené ici ; encore parce que je ne pouvais pas m'y opposer... J'en mourrais de rage, si ce n'était déjà fait.

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — Les extrêmes se succèdent et se punissent. Il serait à souhaiter que votre exemple apprît à vivre... aux autres.

PLUSIEURS TOMBES. — Délaissées ! Délaissées ! Délaissées !

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — Oui, c'est vrai... L'abandon paraît plus dur le jour des Morts que les autres, à cause de la comparaison... mais mieux vaut souvent l'oubli complet qu'un souvenir hypocrite. Tout à l'heure encore, n'entendiez-vous pas d'ici les échos d'un bal voisin ? C'étaient les regrets éternels de Paris qui faisaient un avant-deux, et, dans les quadrilles comme au théâtre, on aurait pu reconnaître plus d'un visage que nous avions vu le matin !

LE TOMBEAU D’UN VIEIL ONCLE. — Scélérat de neveu !
LE TOMBEAU D’UNE MÈRE.— Mon cher petit !
LE TOMBEAU D’UN LITTÉRAIRE. — Ne pas connaître un ancien académicien !
LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — Allons, camarades, voici le jour qui se lève... silence et résignation !

LE TOMBEAU D’UNE JEUNE FEMME. — Le jour ! Il va venir, lui ! Car il n'a pas voulu se mêler à la multitude des indifférents ! Car il sait me pleurer, mon bien aimé ! Car il comprend que les larmes ont leur pudeur !

LE TOMBEAU PHILOSOPHE. — Vous l'entendez, mes amis... Il y a encore de nobles cœurs sur terre... voilà qui doit nous consoler. Quant aux autres... (La cloche du cimetière annonce un premier convoi.) Quant aux autres... voici qui nous venge ! »
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DORÉ (Gustave). — Un vin généreux coulant d’un fût inépuisable. Certains regrettent seulement qu’on n’en mette pas davantage en bouteille.



DUMAS (Fils). — Un merveilleux écrivain qui a le défaut de se guinder parfois. Quand on est grand, on n’a pas besoin de talons.

GAMBETTA. — Un grand homme !…
— Un scélérat !…
C’est entre ces deux extrêmes qu’oscille perpétuellement l’opinion de ce bon peuple français, à propos de tout personnage politique en évidence.
Inutile de dire que Gambetta n’a mérité ni les excès de l’adulation, ni les indignités de la calomnie.
Il y a là une éloquence qui, quand elle n’est pas possédée, possède les autres.
Ils lui reprochent de n’avoir pas terminé la guerre et ils ne se reprochent pas de l’avoir commencée.
Ils l’appellent dictateur borgne.
Mais, si ce borgne a régné, c’est ta faute, Empire des aveugles.

GARIBALDI. — Don Quichotte poussé au sublime.

HAUSSMANN. — Le haut de baron de l’Empire — et par droit de taille et par droit de l’influence.
Les officieux d’antan ont voulu nous faire admirer les embellissements de ce boulevardomane qui nous disait : C’est moi qui régale et c’est vous qui payez !
Pas malin de bien habiller sa femme en lui mangeant sa dot.

HUGO (Victor). — Le Poète-Soleil ! Il réchauffe, il féconde, il éclaire !
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Ce jour-là, paraissait à l’Officiel la déclaration de guerre à la Prusse.

On ne sait que trop, hélas ! Par quelles péripéties lamentables devait passer cette odieuse campagne, entreprise avec une si criminelle témérité.

Durantin avait suivi toutes les phases de la lutte avec une anxiété fiévreuse.
Secondment parce qu’il était patriote, mais premièrement parce qu’il était devenu propriétaire.

Au milieu de septembre, il n’y eut plus d’illusions à se faire, l’ennemi approchait, l’ennemi était arrivé.

On signalait sa présence à dix lieues, à huit lieus, à six lieurs.
Quand on fut tout à fait la vieille de l’investissement, Durantin frappa le sol au pied :

— Eh bien ! Non, je m’en irai pas. Eh bien ! Non, je n’aurai pas peur d’eux… Je resterai, quoi qu’il arrive, et si Clamart ne recèle qu’un Français dans son sein, ce sera moi… Quitter ma maison… Ma maison !… Ma maison !…

Ce disant, sa voix suivait un crescendo qu’aucune musique ne pouvait noter. C’était de la tendresse et du désespoir, de la douleur et de l’amour… un drame lyrique dans un cri…

Il en avait douze à loger.
Douze Bavarois du septième régiment :
— Vin… Vin… !
Ce fut le premier mot de la conversation.

Les trois pièces de Bordeaux que Durantin avait fait venir n’étaient plus qu’un souvenir à la fin de la semaine.

Vous connaissez par coeur cette sinistre histoire là. Un matin, Durantin rentra chez lui, trouva ses Bavarois, qui, avec la pointe de leurs sabres, enlevaient les parquets. Ses parquets !

— Sacrebleu ! Lieutenant. 

Le lieutenant se retourna d’un air qui coupa la parole au malheureux.

Le lendemain, à son réveil, ses Bavarois abattaient les cloisons.
— Mais je vous en supplie… Mon dieu, mon Dieu !

Le troisième jour ils fendaient les persiennes pour allumer le feu ; le quatrième jour on commença le déménagement par les pendules.

Pauvre Durantin ! Il avait été si heureux de trouver une occasion pareille : une maison toute meublée !

A la fin, il perdit patience, et s’en fut trouver un général.
— Général, il se passe des choses…

— En effet, monsieur, interrompit le général brusquement, il se passe, comme vous dites, des choses que je suis décidé à ne pas tolérer plus longtemps.

— a la bonne heure, général, je savais bien…

— Vous devriez, en effet, vous douter que, tôt ou tard, nous nous apercevrions du joli métier que vous faites.

— Moi ?
— N’essayez pas de feindre, vous êtes un espion français.
— Un espion ?…
— Es-ce que, sans cela, vous seriez resté ici quand toute la population est partie ?

Durantin répondit je ne sais quoi, le général fit un signe ; on l’empoigna et on le fouilla.

Dans sa poche, il avait écrit en abréviation toutes les notes relatives aux embellissements qu’il projetait.

— Voilà une preuve, s’écria le général triomphant, qu’on l’emmène au bout de son jardin, et…
Il compéta sa pensée par un geste significatif.
Cinq minutes après, il était à genoux, deux canons de pistolet sur les tempes.

Le général qui finit par comprendre les hiéroglyphes du pauvre homme, eut, par hasard, un accès d’humanité.

Son aide de camp intervint au moment même où l’on allait lâcher la détente.
A dater de ce jour, il fut interdit à Durantin de mettre le pied dehors.

D’ailleurs, le bombardement venait de commencer de part et d’autre.

Il vécut sept semaines dans sa cave, rampant pour aller chercher sa nourriture.
Et quelle nourriture !
Quelques pommes de terre, plus ou moins crues, du pain, plus ou moins noir.
Quelle drôle de villégiature !
Tout à une fin. Celle-là fut lugubre, mais c’était toujours une fin.

L’armistice fut signé, les Prussiens évacuèrent, Durantin respira.

D’abord, ses Bavarois n’avaient pas découvert un certain petit caveau où il avait muré tout ce qu’il avait de plus précieux ; ensuite il avait trouvé deux ou trois de ses meubles dans les plaines des environs. Il faut être philosophe.

Avec des réparations et de la patience, il n’y paraîtrait plus. Il se remit aussitôt à la tâche, repeignant, volant des papiers, nettoyant, ratissant.

Dame ! Ne s’agissait-il pas de ressusciter sa maison, sa chère maison !

Le 17 mars, le printemps aidant, cela vous avait déjà un petit air. On sait ce qui survint le 18 (en 1871)

Durantin jura une seconde fois de ne pas lâcher pied ; une seconde fois il tint parole.

La villa de Durantin se trouvait placée dans cette situation bizarre, qu’elle était à moitié chemin du fort de Vanves et des batteries versaillaises.

Les obus avaient l’air d’y siffler :
Les rendez-vous de noble compagnie.
Se donnent tous en ce charmant séjour.

Il fallut redescendre à la cave.
Une nuit, on heurta à la porte à grands coups de crosse.

Ah ! Mon Dieu ! Qu’y avait-il encore ?
— La cambuse n’est donc pas habitée ? Tonnait une voix enrouée et avinée, enfonçons la porte !

Une porte que Durantin avait fait replacer quinze jours avant. Tout en chêne, monsieur, avec des ornements de cuivre !

Il s’élança, hors de sa cachette et ouvrit.

— Ah ! Ah ! Le hibou se montre, empoignons-le.
— Mais…
— C’est un gendarme déguisé.
— Un roussin.
— A mort !
— Messieurs…
— Il nous appelle : Messieurs ! Tu vas te taire, vieux gredin ; ton affaire est bonne.
— Citoyens, c’est ma propriété !
— Il parle de propriété !
— A mort… A mort !…

On emmena Durantin, non sans avoir au préalable pillé sous ses yeux tout ce qui restait.

— le commandement du fort décidera de lui, avait dit le chef de la reconnaissance communarde.

Heureusement, d’une part, le vin coucha en route la moitié de ses gardiens ; d’autre part, la seconde moitié fut mise en fuite par un obus qui éclata dans le tas.

A la faveur du désordre, Durantin regagne à quatre pattes sa maison infortunée où il tomba à moitié mort.
Le surlendemain, dès l’aube, de nouveaux coups de crosse ébranlent la porte.

Les communaux qui reviennent !
Cette fois Durantin n’y tient plus.
Il gagne le fond du jardin, escalade un mur mitoyen.

— En voilà un qui s’évade, crie une voix, tirons dessus !

C’était la voix d’un soldat de Versailles, car l’armée allait prendre le fort de Vanves.
Une décharge cassa la jambe à l’ami des champs qui dégringola de son mur.
Il en eut pour trois mois d’hôpital ou plutôt d’ambulance ; car on l’avait emmené à Satory où il était gardé à vue.
Il guérit enfin, et, son innocence proclamée, il fut rendu à la liberté.

Dimanche dernier, le coeur ému, soupirant comme après un effroyable cauchemar, il descendait à ce qui fut la gare de Clamart avant d’être devenue un monceau de ruines.
De loin, sur la route, il découvrit sa maison.

C’était bien elle ! Deux ou trois bombes lui avaient ouvert des jour inattendus ; mais, bast ! Tout se répare.
N’avait-on pas recollé la jambe à Durantin ? Une ère d’ordre et de tranquillité s’ouvrait, il lui restait quelques écus.

Enfin, il allait pouvoir vivre en campagnard.
Quand il entra, il faillit s’évanouir de joie d’abord, d’étonnement ensuite.
Trois inconnus étaient là prenant des mesures.

— Messieurs, cette maison est à moi.

— En ce cas, Monsieur, nous sommes désolés de ce que nous allons vous apprendre… nous sommes officiers du génie ; cet immeuble a jadis été construit dans la zone militaire du fort, on a eu le tort d’en négliger la démolition avant le siège… des ordres vont être donnés pour qu’on y procède immédiatement… Vous savez que c’est le droit de l’État et qu’il ne doit aucune indemnité.

Durantin perdit connaissance.
On peut voir en ce moment à Charenton un pensionnaire qui, du matin au soir, reste assis dans une allée, accumulant des petits tas de sable en répétant avec un rire sinistre :
— encore un étage de plus à ma maison, comme elle sera belle !… Celle-là du moins, on ne la démolira pas !...

(Nouvelle que Pierre Véron a publiée dans le journal « Le monde illustré » du 22 juillet 1871 en précisant « histoire vraie » et recopié dans cet ouvrage, mais je n’ai pas vu d’autres sources à ce sujet dans d'autres journaux)
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Une publicité se pavanant depuis quelques jours, annonce un livre intitulé : « l’art de ne rien oublier. »
L’auteur du système s’imagine sans doute qu’il a fait une belle et féconde découverte.
Quoiqu’il m’en coûte de le détromper, je suis forcé de lui dire que si sa réclame était sincère, il aurait fait là une invention funeste à tous, et digne de malédictions de chacun.

L’art de ne rien oublier ! Mais ce serait là une vie rendue impraticable. Ce serait un martyre de chaque instant.
Qui n’a pas besoin d’oubli dans ce monde ?
Comment survivrait-on, si peu à peu l’oubli ne venait faire sa calmante besogne et endormir tous nos deuils ?
 Et les amoureux ? Que deviendraient-ils, s’ils ne leur était permis, au contraire, de pratiquer l’art de tout oublier ?

— Tu m’aimes ?
— Oh ! Oui.
— Tu m’aimerais toujours ?
— Toujours !

Si l’oubli réparateur et séparateur n’intervenait pas, comme ils seraient attrapés, ces galériens rivés à leur boulet éternel !
Et nos hommes politiques, grand Dieu ! Que voudriez-vous qu’ils devinssent avec votre art de ne rien oublier, inventeur inexorable ? Il n’est pas un d’entre eux qui n’ait donné des entorses à ses opinions de la veille, à ses serments d’antan.

Mais l’oubli bienfaisant, l’oubli providentiel, fait sa bonne besogne. L’orateur ne se souvient pas. Les auditeurs ne se souviennent pas non plus. Et l’on applaudit quand même.
Est-ce qu’il y aurait une politique possible dans un pays aussi secoué, aussi ballotté, aussi convulsé que le nôtre, si l’art de ne rien oublier était une désolante réalité ?
Où il fait encore sa tâche consciencieusement utile, le cher oubli, c’est en littérature et en art.

De quoi voudriez-vous que vécût le public autrement ? Grâce à l’oubli, merveilleux auxiliaire, le lecteur relit 150 fois, sous 150 titres divers, le même roman feuilleton. Et c’est toujours avec un nouveau plaisir.
Grâce à l’oubli, le monsieur assis dans son fauteuil d’orchestre entend indéfiniment le même drame et la même comédie, réédités par des auteurs naïfs, qui ont apporté avec conviction.

Ainsi du dilettante qui dodeline la tête et se pâme à ce grand air, à cette cavatine, à ce duo.
C’est à l’oubli qu’il doit cette douce pâmoison. Car il ne se rappelle pas que son oreille à déjà rencontré au coin de toutes les partitions ces motifs banalement agréables, qui le bercent si tendrement.

L’art de ne rien oublier ! Quand il n’y a rien de nouveau sous le soleil ! Mais ce serait le plus monstrueux des contresens, la plus illogique des tortures.
Oublions, au contraire ; oublions bien vite. C’est d’oubli qu’est faite notre résignation, c’est d’oubli que sont faits nos plaisirs, c’est d’oubli qu’est fait le pardon. C’est d’oubli qu’est faite l’amitié, qui a toujours à excuser, chez l’ami, quelque trahison volontaire ou involontaire.

Vive l’oubli ! Gardez votre brochure célébrée par les réclames, innovateur mal inspiré. Vive l’oubli !
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Franchement, la vie positive nous déborde, et sur tous les terrains elle fait la plus redoutable concurrence à la fantaisie.
Ici, ce sont des soucis de politique qui entrent en lice ; là, c’est le prosaïsme des temps qui déclare la guerre au roman ; ailleurs, ce sont les réalismes de cour d’assises qui monopolisent le terrible.

Allez donc, après cela, vous creuser la cervelle pour imaginer un moyen d’amuser ou d’émouvoir vos contemporains.
Les dits contemporains sont blasés par avance.
Tous les imbroglios que vous pourrez fabriquer leur paraîtront fades à côté des intrigues de la récente question politique chinoise ou de la question danubienne.
De même que les plus terribles complications à la Frédéric Soulié laisseront froids les lecteurs habitués à la lecture de la Gazette des Tribunaux.
Cela est si vrai que vous voyez le feuilleton, aussi bien que le théâtre, obligé de devenir lui-même une succursale des journaux judiciaires.
On n’a plus d’yeux, on n’a plus d’oreilles que pour ces récréations lugubres ; la cause célèbre règne et gouverne. Vainement vous racontez les horreurs les plus corsées ; si vous n’ajoutez pas que ces horreurs sont l’histoire d'un monsieur X... ou d’une madame Z... qui ont été jugés ou condamnés en l’année 18..., le public reste inattentif et indifférent.

Ce besoin de positivisme, cette matérialisation générale, se traduisent sous toutes les formes. S’agit-il de mise en scène ? Le goût du jour exige des réalités pour de bon, des animaux vivants luttant contre un belluaire, des vaisseaux de grandeur naturelle s’engloutissant au commandement.

Jadis on savait se contenter d’une autre façon. De jolis vers ou une saynète exquise débitée entre deux paravents suffisaient à la satisfaction des gourmets ; maintenant, s’agît-il d’un chef-d’œuvre, le directeur sera obligé d’éclairer le quatrième acte avec une lune à la lumière électrique.

Bonsoir l’idéal, il faut en prendre son parti. La vie vécue a triomphé à jamais de la vie rêvée.
La preuve de ce que je viens d’avancer, je la trouverais encore, si besoin était, dans l’épidémie de mémoires qui sévit depuis trois ou quatre ans sans discontinuer.

Voici qu'après Rigolboche, Thérésa (célèbre danseuse et chanteuse de l'époque) et bien d’autres, on annonce que Mlle Schneider a pris la plume pour raconter par le menu les faits et gestes de son existence illustre. Soyons assurés à l’avance que ces mémoires-là obtiendront un succès foudroyant.
Savoir combien de fois la Grande-duchesse a dîné dans tel restaurant, si elle aime ou n’aime pas les truffes, combien de robes elle use par mois, chez quel parfumeur elle prend son rouge et son blanc, l’adresse de son cordonnier et la mesure de ses bottines, voilà autant de questions palpitantes qui ne peuvent manquer de mettre le monde en émoi.

Autres temps, autres mœurs !

Lorsque jadis un écrivain éprouvait le besoin de rédiger ses mémoires, c’est qu’il avait été mêlé aux grands événements intelligents de son époque, c’est qu’il avait approché des sommités qui tenaient entre leurs mains le présent ou l’avenir du monde ; c’est qu’il pouvait dire aux lecteurs :

« J’ai étudié tel problème humain avec ce grand philosophe, les destinées européennes avec tel grand homme d’État. »

Aujourd’hui, on se met en face d’un encrier pour conter ses soupers au café Anglais ou ses folles dépenses chez la couturière.
C’est d’ailleurs une règle générale ; le cancan nous tue. Dans les journaux, il prend la place des articles, aussi bien des articles sérieux que des articles spirituels.
Là où l’on trouvait jadis une fantaisie ingénieuse ou un examen élevé, on ne rencontre plus que des petits faits hachés informant le peuple de l’heure à laquelle le ministre s’est levé, de la couleur du cheval que la marquise de B... étrennait à son coupé, du nombre de bougies brûlées au dernier raout du financier ***.

Et toujours le positivisme, toujours le prosaïsme, toujours le matérialisme !

Nous avons ri bien fort de nos aïeux qui nageaient dans l’Ether et qui poétisaient jusqu’au fumier de leurs bergeries. Si nos aïeux nous contemplent du haut du ciel, c’est à leur tour de rire à nos dépens.
Où ils nageaient, nous barbotons ; l’Ether a fait place au macadam.
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Dans un coin, cependant, gisait un vieux tonneau à demi-éventré et couché là, par je ne sais quel hasard ; il montrait par sa large blessure ses parois intérieures que le vin avait rougies.
Celui-là était le passé de l'avenir qui grondait dans la cuve voisine.

Si bien que, — sous l'influence d'une bizarre hallucination, — il me sembla soudain que ce vieux tonneau mêlait sa note à ces grondements et prenait la parole pour répondre par sa propre expérience aux interrogations de ma pensée.

« Je fus bien coupable, me dit-il ; oh ! oui, bien coupable ! Et j'ai maudit souvent ma fatale influence. Laisse-moi te faire l'aveu suprême de mes fautes, aujourd'hui que je traîne péniblement les restes d'une existence qui tire à sa fin.

Quand je pense aux heures de ma jeunesse, lors qu'en sortant des mains du tonnelier, tout battant neuf, frais cerclé, je pris part à ma première vendange !

Alors je voyais tout en rose. Alors je ne connaissais pas le remords. Alors je n'avais pas...

Mon premier crime, il m'en souvient encore, fut commis un dimanche ! Ils étaient deux amis, deux vrais amis, réunis pour fêter joyeusement le jour du repos.

Au dessert ils demandèrent une bouteille, puis deux, du vin que j'avais porté dans mes flancs. Les têtes s'échauffèrent, un mot aigre fut échangé, la querelle s'envenima. Ils se provoquèrent... et le lendemain un des deux amis de la veille avait grièvement blessé l'autre !

Mon second crime... Celui-là était une intelligence d'élite, un bon cœur, un homme de vrai talent.
Mais un chagrin le frappa ; pour oublier il but, et talent, cœur, intelligence sombrèrent dans le même naufrage.

J'ai contribué, avec beaucoup d'autres, hélas ! à cette décadence navrante, et je ne me le pardonnerai jamais.

Mon troisième crime est peut-être plus affreux encore. C'était un ménage modèle ; de braves ouvriers qui travaillaient toute la semaine, pour mieux savourer un repos conquis à la sueur de leur front. Le père, la mère et un cher petit... Tout cela s'aimant, il fallait voir.
Le vin s'avisa de troubler ce bonheur-là, — et je fus assez lâche pour m'en mêler, assez lâche pour donner à boire au père quand la mère et la fille pleuraient la faim au logis !
Exécrable folie ! J'ai honte de moi quand je me rappelle tout cela...

Le vieux tonneau s'interrompit un instant, puis reprenant :
"Ne crois pourtant pas, reprit-il, que je sois méchant et que je n'aie que de vilaines actions dans mes souvenirs.
Grâce au ciel, si j'ai fait du mal, j'ai fait du bien aussi, — et le plus que j'ai pu.
Par moi, je veux dire par le vin généreux que je contenais, la santé a été rendue au malade qui se soutenait à peine. J'ai donné au vieillard une seconde jeunesse, en évoquant devant ses yeux ranimés les riantes images d'autrefois.
La main de la charité a versé mon breuvage au pauvre qui grelottait sous la bise, et il a été réchauffé.
J'ai inspiré l'artiste et le poète ; j'ai rapproché plus d'un coeur, uni plus d'une pensée.
À maint attristé de la vie, j'ai apporté l'espérance et rendu la gaieté.
Au philosophe découragé, j'ai montré le monde sous des teintes plus riantes, et il a été rassénéré.
Voilà ce que j'ai fait, voilà ce que je fus. Ma confession est sincère. Que penses-tu de moi ?"

Le vieux tonneau s'était tu. La cuve bouillonnait toujours.
Et moi, répondant mentalement à cette confession en même temps qu'à mes propres idées :

« Je pense que la vie est ainsi remplie de contrastes.
Je pense que le mal y est partout à côté du bien, mais que le bien c'est la Providence qui l'y a mis, tandis que le mal est oeuvre humaine.
Je pense que la faute est à ceux qui du vin, un bienfait, font par l'abus un poison.
Je pense enfin, pauvre vieux tonneau, qu'il doit t'être beaucoup pardonné, parce que tu as su apporter de l’affection ! »
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La Fontaine raconte quelque part l'histoire d'un astronome qui, en levant constamment les regards vers le ciel, finit par se laisser choir dans un puits.

Nous sommes tous plus ou moins de ces astronomes-là.

Qu'un calendrier tout ce qu'il y a plus banal nous annonce une éclipse de soleil ou de lune pour un jour fixé, aussitôt nous voilà l'œil en arrêt, le morceau de verre à la main, occupés à interroger la voûte céleste dont pour la plupart nous ne comprenons pas les réponses.

Heure chérie des filous, qui profitent consciencieusement de nos distractions aériennes pour faire dans nos poches éclipse de porte-monnaie et de foulards.

Cependant, une éclipse est-elle par elle-même chose si extraordinaire que nous ayons lieu d'en guetter le passage avec cette anxieuse préoccupation ?

Éclipse des éclipses, tout n'est qu'éclipses ici-bas ! Laissons donc, si vous le voulez bien, les savants s'en aller bien loin épier ce phénomène réglementé, et, pour nous dédommager de n'avoir pas de billets de faveur à ce spectacle, donnons-nous la comédie à nous-mêmes en regardant les éclipses terrestres qui se renouvellent incessamment autour de nous.

Elles sont nombreuses, curieuses et à la portée de tout le monde.

C'est sans doute pour cela que personne n'y prend garde. Et pourtant, quels enseignements dans leurs évolutions !

Ignorants, mes collègues, ô vous tous que les lauriers de M. Leverrier n'empêchent pas de dormir — au contraire — tandis que l'Observatoire braque en l'air ses télescopes rayés, braquez en bas vos simples jumelles.

Ceci vous représente :

L'éclipse de l'amour :

L'amour ! Un astre capricieux qui se lève souvent quand les autres se couchent, et se couche aussi souvent, hélas ! quand les autres se lèvent.

Comme il est beau ! comme il est pur ! comme il brille ! C'est le soleil des soleils !...

Il éclaire et il éblouit, il échauffe et il brûle, il féconde et il dessèche.

N'importe. Tout le monde veut aller à ce feu-là. Allons-y !

Laure aime Alfred. Alfred aime Laure. Chère Laure ! Cher Alfred ! Le rayonnement est complet et mutuel.

Soudain, le ciel d'azur s'obscurcit : c'est l'éteignoir qui passe, c'est l'éclipse qui commence.

Pourquoi commence-t-elle l’éclipse ? Pour peu de chose : pour un pantalon noisette qui a déplu à Laure ; pour un chapeau qui a semblé disgracieux à Alfred ; pour une robe qu'on a refusée à l'idole, pour un mot qu'on a entendu, pour une ride qu'on a surprise, ou bien encore pour rien du tout.

Ce rien, c'est l'habitude, qui décolore toute chose.

L'éclipse de l'amour est totale dès qu'elle est. L'amour ne fait rien à demi.

Nota : Le soleil de l'amour ne s'éteint jamais ; seulement, il se rallume pour ou dans d'autres yeux. Je sais des gens qui en sont à leur vingtième éclipse.

Second nota : En amour, éclipse est tantôt du masculin, tantôt du féminin, quand il n'est pas des deux genres à la fois.

L'éclipse conjugale.

Il fut un temps où ce paragraphe aurait fait double emploi avec celui que nous avons consacré à l'éclipsé de l'amour.

Mais nous avons changé tout cela, comme dit Molière. Le mariage et l'amour ne se réunissent même plus, — sans doute parce qu'ils ne se rencontrent jamais.

Donc l'éclipse conjugale est une et invisible. C'est une éclipse de lune, appelée par antiphrase lune de miel.

D'une part, mademoiselle a été bien aise de sortir de tutelle et de devenir maîtresse de maison. De l'autre, monsieur était las de la vie de restaurant et le premier rhumatisme avait clandestinement sonné l'heure de prendre une garde-malade.

Total : On s'est épousé.

Pendant trois mois la lune a fait honnêtement sa besogne et donné une bonne petite lumière bien froide, bien blafarde, — lumière de veilleuse sur une table de nuit.

Au bout de ce temps l'éclipse a commencé.

Bonjour, petit cousin ! On vous attendait, mon ami. Vous voici, tout est dans l'ordre.

Et la pauvre lune disparaît, disparaît, disparaît. Il n'en reste bientôt plus qu'une corne. Vous m'entendez bien ?

Quand le petit cousin galant n'arrive pas du côté de madame, c'est une danseuse qui survient du côté de monsieur.

D'ailleurs, mêmes symptômes, même marche, même corne.

Si cousin et danseuse apparaissent en même temps, l'éclipsé est totale, ce qui fait que monsieur et madame ne voient pas ou feignent de ne pas voir la corne réciproque.

Assez d'autres la voient pour eux.

L'éclipse du courage.

Sang, enfer et damnation ! Connaissez-vous Z... ? Z... le farouche, le pourfendeur, l'astre de courage ?

Quand il passe sur les boulevards, ses yeux lancent des éclairs sur les humbles mortels qui osent graviter dans le même macadam que lui.

Les timorés à son aspect mettent la main devant leurs paupières. Il faudrait un aigle pour oser fixer en face ce flamboyant personnage.

Cependant un jour un monsieur qui n'est pas un aigle, mais simplement un homme, s'avise de mesurer l'orbite de l'astre. Ses satellites épouvantés de tant d'audace frémissent pour le mortel téméraire.

Un duel est décidé. Eclipse.

Ce n'est pourtant pas bien large la lame d'une épée ou le canon d'un pistolet ! Eh bien, l'une ou l'autre suffit pour obscurcir l'astre de bravoure.

La lumière tremblotte, vacille, puis disparaît tout à coup.

Sur quoi les satellites, pour se venger de leur crainte passée, se mettent à saluer, à l'instar des anciens, l'éclipsé par un charivari.

Morale : le vrai courage se cache pour se montrer ; le faux se montre pour se cacher.

Bravo, l'éclipse !

L'éclipse de la beauté.

Visible le matin. Avec l'aube les étoiles du ciel s'éteignent, avec l'aube les étoiles de la terre pâlissent.

Il est six heures, le bal tire à sa fin. Quelques imprudentes seules ont entamé un dernier quadrille ; mais, à l'improviste, une main perfide a ouvert une fenêtre : le jour, voici le jour !

Et la poudre de riz n'a plus de secrets ; le rouge, le bleu, le noir perdent les bénéfices de l’inconito...

Que de romans commenceraient par la fin, si les éclipses de ce genre étaient plus fréquentes !

L'éclipse financière.

-Hé là bas ! Pas si vite le boursicoteur, de grâce ! Souffrez qu'on vous regarde éclipser la planète de la spéculation.

Laissez-moi, les huissiers sont à mes trousses !

— De grâce, une minute ! rien que pour édifier ou consoler les malheureux honnêtes.

— Plus vite ! plus vite ! Je suis sauvé ! je suis à Bruxelles ! (lieu de refuge principal des brigands au XIXème)

Oh ! la Bourse ! quel observatoire… pour les observateurs !

L'éclipse de la raison.

Du Panthéon on voit Bicêtre (ville qui était principalement connue pour son asile psychiatrique), et vice-versa. Le génie et la folie sont mitoyens. Priez pour les pauvres éclipsés !

L'éclipse dernière.

Oh ! par exemple, parlez-moi de celle-là !

Comme elle arrange tout, comme elle réconcilie tout, comme elle embellit tout !

Dès que vous décédez, vous êtes parfait. Bon père, bon citoyen, bon époux — voir les épitaphes.

Vos amis vous regrettent au lieu de vous duper. Votre maîtresse vous pleure au lieu de vous berner, vos envieux vous exaltent, vos héritiers vous déifient.

— Ce cher oncle, ce cher-ci, ce cher-là ! Il était beau, noble, grand, généreux, spirituel. Il était — parce qu'il n'est plus.

Puisse cette éclipse-là vous consoler des autres !
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Petites fleurs qui sans culture
Aviez grandi dans la forêt,
Et que la main de la nature
venait féconder en secret ;

Vous qui de la saison nouvelle
Nous annonciez le cher retour,
Que la brise du bout de l'aile
Venait frôler avec amour ;

Quand, dans mes champêtres maraudes,
Je vous trouvai près du chemin
Où sur un tapis d'émeraudes
Brillaient vos robes de carmin,
Tout orgueilleux de ma conquête,
Je me mis à faire un bouquet,
Voyant d'avance ma chambrette,
Grâce à vous, prendre un air coquet,

Mais voici qu'à peine arrachées
A votre cher gazon natal,
Sur votre tige desséchées
Vous languissez dans le cristal ;

Déjà vos têtes délicates
Se penchent, vous semblez souffrir ;
Je vous aimais pourtant, ingrates ;
Pourquoi si tôt vouloir mourir ?

Chez moi vous n'auriez, je vous jure,
Jamais eu rien à désirer,
Et dans une belle eau bien pure
Vous auriez pu vous admirer ;
Vous eussiez été souveraines
Et maitresses de mon logis ;
Poète et fleurs avaient, vilaines,
Été jusqu'Ici bons amis !

Mais non I... Pour que vous puissiez vivre
Il vous faut un lit de gazon
Dont le frais parfum vous enivre,
il vous faut un coin d'horizon ;
Il vous faut la bonne visite
Du soleil venant se bercer
Dans le calice qui l'invite
Et qui se laisse caresser ;

Il faut à vos belles corolles
Le doux baiser des papillons,
Et leurs jeux tendres et frivoles,
Et le cri joyeux des grillons ;
Il vous faut la foule mutine
De mille insectes amoureux,
il vous faut sous chaque étamine
Loger un hôte bienheureux ;

Il vous faut le plaintif murmure
De l'eau coulant à petit bruit
Et promenant à l'aventure
Son mince filet qui s'enfuit ;
Il vous faut la chanson aimée
De vos oiseaux mélodieux
Venant redire à la ramée
Des refrains appris dans les cieux ;

Il vous faut, quand avec ses voiles
La nuit prend son manteau flottant,
Le regard tremblant des étoiles
Auxquelles vous ressemblez tant ;
Il vous faut la lumière blanche
De la lime aux rayons d'argent,
Sur votre tête qui se penche
Promenant son disque changeant ;

Il vous faut, quand toute rosée
Sourit l'aurore au bout du ciel,
Les pleurs féconds de la rosée
Qui deviendront gouttes de miel ;

Il vous faut enfin la nature,
La terre, l'eau, l'air et le feu ;
Il faut à toute créature
Sa part dans les présents de Dieu !

Si vous êtes, ô mes fleurettes,
Mortes si tôt dans ma maison,
C'est qu'à la fois pour vous, pauvrettes,
C'était l'exil et la prison ;
C'est qu'ici-bas tout a sa vie,
Mais aussi tout a ses douleurs ;
Que mortelle est là nostalgie
Pour les hommes et pour les fleurs !
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C’était pendant le siège de Paris.
On était arrivé à la période aigüe, quand, dans les premiers jours de janvier 1871, la pauvre grande ville assiégée n’était plus q’une sorte de cadavre vivant.
Un soir, — c’était, ma foi ! Les Rois, — nous étions réunis huit ou dix chez un ami.
Il faisait froid et noir au dehors. Plus de gaz dans les rues ; plus d’espoir dans les coeurs.
Le canon prussien tonnait sans interruption, vomissant la mitraille à travers les ténèbres…
Cependant le Parisien, fidèle à ses anniversaires, célébrait quand même la fête de la galette traditionnelle. Seulement ladite galette avait été remplacé par le pain noir que vous savez.
Quand on eut cherché la fève dans un morceau de ce pain mémorable, on se regarda, ne sachant que faire et ne pouvant parvenir à oublier, malgré les efforts que l’on faisait pour grimacer une minute de gaieté !

La conversation elle-même s’était arrêtée, les femmes inclinaient la tête, les enfants respectaient cette rêverie sans la bien comprendre.
Tout à coup, au dehors, une voix se fit entendre, voix à l’accent plaintif et comme épuisée. La voix disait : Lan…terne… magique ! Mais l’orgue n’était pas là pour lui donner la réplique.

Lanterne magique !… Parbleu ! C’était la diversion souhaitée par tous.
Cinq minutes après, le montreur était là, dépliant son appareil.
C’était un vieillard à la tête toute blanchie.
D’une main tremblotante, il installa sa lanterne. On fit la nuit. Il commença.
Je remarquai que la voix était si faible, si faible, qu’on avait peine à entendre les explications du vieux. Sans doute l’effet de l’âge.
Mais soudain, à un tableau comique qui représentait un paysan changeant de tête avec son oie, et pendant que les bébés de l’assistance éclataient de rire, la voix se tut tout à fait, en même temps qu’un bruit étrange sa produisit.
On aurait dit la chute d’un corps.

Il y eut un instant d’hésitation. On attendait ; mais comme la voix ne recommençait pas sa démonstration, on alla chercher de la lumière.
Le vieillard était gisant à terre…
On s’empressa. Quand on le rappela à la vie, ll confessa qu’il mourait absolument de faim, n’ayant pas mangé depuis quarante-huit heures et n’ayant pas un sou pour aller chercher la maigre ration que l’on allouait à chaque assiégé…

Pendant ce temps-là, la neige tombait à gros flocons ; la bise soufflait plus âpre que jamais, et le canon prussien semblait redoubler de rage…
Telle est la scène que la lanterne magique fait revivre dans mon souvenir.
Oh ! Cet hiver de 1871 !…

(La « lanterne magique » était l’ancêtre du projecteur de diapositives)
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