Citations de Pierre Willi (44)
Elle était impressionnée, presque effrayée. Ainsi, c’était donc vrai : vous envoyez votre manuscrit par la poste, un type le lit, s’enthousiasme aussitôt et saute sur son téléphone. Elle ne devait surtout pas décevoir son futur éditeur ! Il fallait qu’elle assure !
Il y avait de quoi se sentir énervé : il sortait d’un entretien avec un hurluberlu qui voulait à tout prix qu’on lui fournisse un biographe. Il voulait même payer d’avance ! Ce mythomane, limite grossier, imbus de sa personne, se présentait comme l’un des plus grands tueurs en série de tous les temps.
Certains tueurs en série étaient passés à la postérité, projecteurs médiatiques et fan-club, fascination des foules. Un tueur, célèbre aux États-Unis, s’était mis à la peinture en attendant la chaise électrique et les people s’arrachaient ses toiles qui valaient une fortune. Hollywood en chérissait d’autres…
Il n’avait jamais eu d’ambition. Et les circonstances, elles seules, l’avaient toujours mené. Une porte s’entrouvrait devant lui et il se précipitait. L’affaire réglée, il se jetait aussitôt en arrière, refermait la porte, s’évaporait. Les circonstances et un sens aigu de la méthode. Sans oublier la chance, bien sûr, compagne fidèle sans laquelle rien n’est possible. Cojeul, qui n’était pas cinéphile, se souvenait d’un film des années 70, L’angoisse du gardien de but au moment du penalty . Le tueur en série est comme le gardien de but : s’il n’a pas la chance de son côté, sa carrière sera brève. Pas de grand gardien de but sans la chance.
Le verbe disparaître ne convient pas. En fait, il est toujours là mais on ne le voit pas, anodin, indiscernable dans la foule. Son image ne s’imprime pas dans les mémoires… Quand les enquêteurs l’approchaient pour cause de trop grande proximité avec la victime, il leur jetait aux yeux une sorte de poudre magique et il devenait transparent. Ils finissaient toujours par écarter cet insignifiant personnage, enrobé dans sa graisse, sa mollesse, son apathie. Une poudre magique qui s’appelle aussi la chance.
Il avait échappé à la justice. Des inconnus avaient été inculpés puis jugés et condamnés à sa place. C’était hier, jadis, si loin… Il avait oublié leurs noms, effacés dans la vapeur du temps comme le paysage urbain derrière cette vitre. D’autres, nombreux, subissaient l’outrage des longues gardes à vue avant d’être relâchés.
Comme s’il ne vivait plus qu’à travers sa maladie, comme si le crabe était devenu son compagnon, un camarade un peu trop envahissant qui lui mangeait le gras de la vie.
Alors le reste...
Il n’était pas nécessaire de lui fournir un dessin explicatif : quand l’organe malade cesserait de fonctionner, l’empoisonnement serait fulgurant. Le cancer ne serait qu’indirectement responsable de sa mort.
L’instinct de survie avait toujours été le plus fort : Alain Cojeul se dissimulait dans sa gangue de chair, crapaud qui s’enfouit au plus profond d’une mare, indécelable, indétectable. Sa graisse l’absorbait, il y disparaissait.
La gloire ne dure qu’un temps, l’apothéose précède toujours la chute, le triomphe vous mène directement à l’échafaud. Au panthéon du fait-divers, Alain Cojeul ne voulait pas entrer prématurément. Pour reprendre un terme à la mode, il avait choisi la méthode « durable ».
L’anonymat, tel était le secret de son invulnérabilité. Alors pourquoi maudire cet escroc de Jean-Marie Mirnat devenu soudain la coqueluche des médias ? La célébrité avait toujours effrayé Cojeul. Quand ses exploits remplissaient les pages des journaux, il jouissait dans l’ombre en suant de peur.
Au terme d’une pénible adolescence, le mollusque découvrit les avantages qu’il pouvait tirer de cette disgrâce physique. Elle lui offrait un abri, une protection caoutchouteuse étanche aux agressions extérieures. Il s’arrondissait, s’enfonçait en lui-même, disparaissait au centre d’un bunker de chairs, boule de mousse qui ne donnait aucune prise aux dents les plus agressives. Une limace visqueuse qui utilisait la répulsion physique comme arme de défense, une défense passive redoutablement efficace qui lui avait permis de traverser victorieusement tous les orages.
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ou
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Dans ce qui devait être un vestiaire, je retrouve les couvertures volées à la crèche de Bienvenu. Elles ressemblent à des carapaces de tortues insérées les unes dans les autres sous lesquelles roule une houle de sommeil.
Des pressés slaloment entre les badauds, qui en rollers, qui en trottinette électriques, qui à grandes enjambées d'hommes stressés, en lutte contre l'affichage impitoyable de leur montre.
Entre deux gouttières s'étrangle un coin de ciel bleu ou blanc, quelque fois rose, quelquefois gris comme une aquarelle inversée où infuse la crasse de la rue.
Préserver la discipline et prêcher les valeurs de la République dans le périmètre grillagé de l'école Alfred de Musset est un voeu pieux qui n'émoustille que les inspecteurs de l'éducation nationale (imaginez un capitaine fou convaincu de gouverner un bateau à la dérive).
Aujourd'hui il n'est plus guère possible de molester le père de Jérémie, il se casserait de suite en morceaux. Il se tient face aux envahisseurs, tout sec et ratatiné.Si c'est le boulot qui l'a osé comme ça, son image n'encourage pas au travail.
Sur les lignes de béton brut, tags anti-flics et inscriptions à vocation obscène se poursuivent par ligne d'âge.
Les artistes amateurs se sont largement répandus sur la façade et dans le hall en larges traînées arc-en-ciel : fresques érotico suggestives, cris d'amours aérosols, exhortations à tuer du flic, calligraphies ésotériques intraduisibles.