Les larmes coulaient comme si elles n'allaient jamais cesser. Des années de larmes qui lui secouaient les épaules. L'orphelinat, Madame, Nox, tout déferlait sur elle comme un tsunami, jusqu'à ce qu'il ne reste plus d'eau dans la mer. Le désespoir qu'elle avait éprouvé lorsqu'elle avait cru que les bretteurs l'abandonnaient l'avait paralysée. Elle avait failli devenir folle du besoin d'être aimée par la seule famille qu'elle ait jamais vraiment connue.
Il existe un mot qui désigne le laps de temps entre deux instants, un terme qui désigne le souffle infime entre deux battements de coeur, le vide impalpable qui sépare les choses. Hélas, le mot a depuis longtemps été oublié. Ce néant ressemble un peu à la parenthèse du sommeil : le temps qui paraît s'arrêter avant de reprendre son cours, entre la dernière once de conscience et la première pensée au réveil. Il peut durer quelques secondes, des minutes ou des heures, voire des mois qui s'étirent en années, lorsque tout se brouille comme si rien n'advenait entre-temps. Le mot désigne le temps qui passe quand le temps ne passe pas pour soi, mais que tout change malgré tout.
Au fond d'elle-même, elle était libre, portée par le vide, une étoile dans le ciel nocturne.
Elle se sentait vide sans son étoile. Elle était une nuit sans lune.
Le duc avait l'intelligence d'un pot de marmelade.